Où en est l’emploi local ?


16-03-2009
Par Admin Admin

Le Laboratoire est largement sollicité sur l'emploi local.

Ce petit dossier permet de  comprendre les enjeux :

CHRONOLOGIE :
Jeudi 26 février 2009 : la commission consultative du travail a adopté le projet de loi du pays relative au soutien et à la promotion de l’emploi local. Sept partenaires ont voté pour (Medef, CGPME, UPA, Cogetra, Usoenc, FO, et CGC), alors que deux autres ont écarté le document (USTKE et CSTNC).

Mardi 3 mars 2009 : Vote au gouvernement à l’unanimité du projet de loi de pays. Direction l’avis du Conseil d’État, puis retour au gouvernement, avant l'inscription à l'ordre du jour du Congrès (pas de date d’examen, arrêtée à ce jour avant les élections provinciales du 10 mai 2009).

Vendredi 27 mars 2009 : Avis favorable du Conseil Economique et Social de la Nouvelle-Calédonie.

 

Le Conseil d'Etat a rendu un avis favorable sur  le projet de loi du pays. Ce document peut être obtenu ici :  ce_avis_emploi_local_382639

À compter de la promulgation de la loi du pays, les partenaires sociaux auront un an afin de rédiger le tableau des métiers pour chaque branche professionnelle. Opération qui permettra, en fonction de la qualification et de la ressource humaine locale disponible, de définir le degré de difficulté de recrutement. Ce tableau devrait être disponible fin 2011.

Le projet de loi du pays est disponible ici : projet_loi_du_pays_emploi_local


LE PROJET EN 4 POINTS FONDAMENTAUX

1) Création d’un avantage de recrutement pour les citoyens ou personnes justifiant d’une durée de résidence suffisante (valable dans le projet pour les conjoints et pacsés) par la mise en place d’un examen prioritaire des candidatures des personnes justifiant d’une durée de résidence et inscrites comme demandeurs d’emploi. Si pour l’Accord dès son préambule, l’emploi local s’effectue au bénéfice de ses «habitants» et «des personnes durablement établies», la citoyenneté est «une référence pour la mise au point des dispositions qui seront définies pour préserver l'emploi local», la loi organique (article 24) l’organise «au bénéfice de ses citoyens», mais en y ajoutant la notion de «personnes justifiant d’une durée suffisante de résidence». On ne peut pas tout réduire à la citoyenneté.

2) Création d’une commission paritaire sur l’emploi local (CPEL) qui aura des attributions consultatives, précontentieuses, et de conciliation.

3) Établissement d’un tableau des activités professionnelles qui classera les activités professionnelles en fonction des difficultés de recrutement. Le texte encadre les conditions d’accès et de recrutement aux différents métiers et professions en fonction du taux d’occupation de ces emplois par des citoyens calédoniens ou des personnes justifiant d’une résidence suffisante : – Inférieure à trois ans, si l’offre d’emploi concerne une activité professionnelle qui connaît d’extrêmes difficultés de recrutement (moins de 25% de citoyens ou assimilés);   – Au moins égale à trois ans si l’offre d’emploi concerne une activité professionnelle qui connaît d’importantes difficultés de recrutement (de 25 à 50% de calédoniens ou assimilés) ;  – Au moins égale à cinq ans, si l’offre d’emploi concerne une activité professionnelle qui connaît des difficultés de recrutement (de 50 à 75% de calédoniens ou assimilés) ; – Au moins égale à dix ans, si l’offre d’emploi concerne une activité professionnelle principalement satisfaite par le recrutement local (plus de 75% de calédoniens ou assimilés).

4) Mécanisme de sanctions en cas d’infraction à la loi.

LE DEBAT
par Mathias Chauchat, professeur des universités et agrégé de droit public et Nadège Meyer, maître de conférences en droit privé

Un impératif de l’accord de Nouméa
L’immigration et l’emploi local sont deux débats liés. Il faut donner les termes juridiques et politiques du débat.
Point 3.2.1 de l’accord de Nouméa : « Le cheminement vers l'émancipation sera porté à la connaissance de l'ONU ». La France reconnaît le processus de colonisation et s’inscrit dans le droit de la décolonisation des Nations Unies. Ce droit est fondé sur les résolutions de l’Assemblée Générale dont la résolution 35/118 du 11 décembre 1980 stipule dans son point 8 : « Les Etats-membres adoptent les mesures nécessaires pour décourager ou prévenir l’afflux systématique d‘immigrants extérieurs et colons dans les territoires sous domination coloniale, susceptible de perturber la composition démographique de ces territoires et qui pourrait constituer un obstacle à l’exercice du droit d’autodétermination et à l’indépendance des peuples de ces territoires ».
La question a été réglée dans l’accord de Nouméa essentiellement sur la base du corps électoral restreint et de l’emploi local. Toutefois cette obligation internationale demeure et devrait peser sur toutes les politiques publiques (retraités, Intérêts matériels et moraux des fonctionnaires, etc…). Mais, l’Accord n’a pas porté atteinte à la libre circulation entre la Métropole et la Nouvelle-Calédonie.
S’agissant de l’emploi local, il n’y a pas à se poser la question de savoir si cette loi est une nécessité dictée par la réalité socio-économique, en clair si c’est une bonne ou une mauvaise chose. Ce débat est tranché. C’est une obligation faite aux élus calédoniens par la loi organique. Cette mesure va sans doute à l’encontre de la tendance mondiale qui vise à faciliter l’embauche, la débauche et le déplacement des salariés. Mais elle répond à une tendance bien locale qui est de privilégier l’embauche de Métropolitains… parce qu’ils sont plus faciles à débaucher que les Calédoniens. L’Accord rappelle aussi « l’étroitesse du marché de l’emploi » calédonien.
Ce qui est novateur, c’est la méthode : la discussion des partenaires sociaux. Il est souvent de bonne politique pour les partis de gouvernement, lorsqu’un accord intervient, d’en respecter les grandes lignes. La méthode avait été vigoureusement relancée par Philippe GOMES lors des assises sociales de 2006.

Une loi à contretemps
Cette loi vise à gérer et encadrer les conditions d’embauche au profit des Calédoniens. Mais elle va entrer en vigueur dans une période de crise mondiale où le problème social majeur risque de devenir les débauches, les réductions d’effectif, et non plus les embauches. La loi est muette sur le sujet. Elle ne correspond pas aux besoins immédiats.
Mais il est difficile d’aller plus loin. La loi organique, dans son article 24 signale que ces mesures s’appliquent « sous réserve qu'elles ne portent pas atteinte aux avantages individuels et collectifs dont bénéficient à la date de leur publication les autres salariés ». Il y a donc garantie des droits acquis. Ce n’est qu’à l’occasion d’une embauche que le mécanisme jouera. Une crainte est que les syndicats et salariés s’en saisissent pour servir de critère de licenciement prioritaire. Cela se fera en dehors du cadre légal. Par ailleurs, le licenciement pour un Métropolitain signifiera une réembauche très incertaine…
Le projet en phase d’élaboration limite, lors de sa mise en œuvre, cette garantie aux personnes embauchées depuis au moins six mois, si elles ne sont pas citoyennes ou assimilées. Il est ainsi possible que cette disposition soit censurée par le Conseil d’État, car cela ajoute à la loi organique.

Un texte facile à contourner
La loi n’encadre pas le portage salarial (l’entreprise commande une prestation de service à une autre entreprise qui, elle, salarie la personne en cause ; c’est de plus en plus le cas pour les cadres consultants), le prêt de main-d’œuvre et l’intérim (les contrats de moins de 3 mois sont exclus) ou la question des faux travailleurs indépendants (les patentés).
Un Métropolitain pourra toujours s’installer comme patenté dans le Pays. C’est sans doute là qu’il y aura le plus de difficultés d’application.
La loi organique (article 24) permet néanmoins de réglementer l’installation dans les professions indépendantes (sauf avocats qui sont des collaborateurs de la justice, donc relèvent de l’Etat).

Risque de censure pour les conjoints et pacsés
Dans la première mouture du texte, le conseiller d’État Jean-François Merle avait exclu les conjoints et personnes pacsées avec un Calédonien du bénéfice de l’emploi local. Dans la mouture actuelle, ils y figurent. On leur étend le bénéfice de l’emploi local.
Le Conseil d’État a déjà tranché cette question par la négative en 2005, lors d’un avis concernant l’emploi dans la fonction publique. Il y est dit qu’ « une telle dérogation ne trouve aucun fondement dans l’Accord ou la loi organique ». Il y a donc de grandes chances pour que ce dispositif soit censuré.

La liberté du recrutement battue en brèche ?
C’est une difficulté que pose ce texte pour les employeurs.
Le principe est le suivant : Si l’employeur après avoir publié son offre d’embauche ne reçoit aucune candidature qui répond aux qualifications qu’il souhaite (compétence) ainsi qu’aux conditions légales (durée de résidence), il peut recruter sans condition de résidence… Il «peut» saisir la CPEL pour faire vérifier la carence, mais ce n’est pas obligatoire… Ce point pourrait être modifié en débat au congrès. Les syndicats peuvent aussi agir en interne pour contraindre l’employeur à la saisine de la CPEL. Ils peuvent aussi la saisir eux-mêmes, tout comme un candidat…
Mais si un employeur ne reçoit qu’une réponse calédonienne correspondant à un appel à candidatures lancé par ses soins, son choix est limité : il devra embaucher cet unique candidat ou renoncer. Si le postulant ne lui convient pas pour une raison ou une autre, il n’obtiendra plus le certificat de carence nécessaire pour embaucher à l’extérieur. Le problème va inévitablement se poser dans un marché du travail aussi étroit que celui de la Calédonie. Or, la liberté de choix de l’employeur est un principe constitutionnel. Il est possible que ce point pose problème devant le Conseil d’État.

Des sanctions pas franchement dissuasives
Les employeurs qui enfreindraient la loi encourent une amende administrative pouvant atteindre 400 fois le montant horaire du SMG. En cas de récidive dans les trois ans, ou d’infraction continuée, l’amende peut être doublée. Au total, on avoisine moins de un million CFP sur trois ans.
Mais aucune obligation n’est faite à l’employeur contrevenant de débaucher. Certains pourront être tentés de payer les amendes administratives pour embaucher qui ils veulent plutôt que se conformer à la loi.
Beaucoup dépendra in fine du travail de la CPEL et de sa future autorité…

Et l’emploi local public ?
Un premier projet de loi du pays a été transmis au Conseil d’Etat en novembre 2005 par Alain SONG du gouvernement de Marie-Noëlle THEMEREAU, pour l’avis préalable obligatoire. L’idée générale était de réserver l’accès aux concours de la fonction publique de la Nouvelle-Calédonie pour les catégories B, C et D aux citoyens ou à ceux justifiant de 10 ans de résidence et de leur donner une priorité de nomination pour les catégories B+ (dont le niveau de diplôme requis est supérieur au baccalauréat) et A. Le dispositif était élargi aux conjoints de citoyens calédoniens.
Le Conseil d’Etat a rendu son avis le 17 novembre 2005.
Il a estimé que « l’exclusion totale pour les catégories B, C et D allait au-delà des restrictions strictement nécessaires à la mise en œuvre de l’accord ». Il ajoute qu’elles seraient incompatibles avec l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui protège « l’accès aux fonctions publiques ». La priorité de nomination des citoyens dans les emplois de catégorie A et B+ ne serait conforme aux exigences constitutionnelles « qu’à égalité de mérites ». L’épuisement nécessaire d’une liste des citoyens ou assimilés par recrutement avant de puiser dans la réserve « métropolitaine » risquerait ainsi de contredire l’ordre de mérite individuel. Enfin, il ajoute que la protection du conjoint d’un citoyen n’a aucun fondement dans l’accord. Il suggère néanmoins l’organisation de concours doubles, dotés de jurys communs et de quotas justifiés et invite à permettre à ce que le jury puisse modifier la répartition des quotas en fonction des résultats obtenus.
Le Conseil d’Etat, dans son avis sur la loi, reprend finalement l’analyse assez classique de la discrimination positive, en veillant à rappeler la règle méritocratique et la prohibition des interdictions absolues. Toutefois, sa prise en compte de l’impératif constitutionnel est réelle, bien qu’elle relève de l’implicite. En ne s’interrogeant pas sur l’objectif de tendre vers une égalité des chances entre les deux groupes de citoyens et non citoyens, le Conseil respecte la règle constitutionnelle particulière à la Nouvelle-Calédonie. Ce point a été tranché et il relève d’une logique politique et historique de construction d’un pays plus que d’une volonté de réduire les inégalités. Ce document est disponible également sur ce site (ce_avis_emploi_local). Rien de nouveau depuis… On pourrait s’intéresser aux Intérêts matériels et moraux (IMM) des fonctionnaires de l’Etat.

Les IMM des fonctionnaires
Cette question a un intérêt parce qu’elle permet à des fonctionnaires venus dans le cadre de «séjours» de 2×2 ans de rester… Curieux, car ils sont rarement Calédoniens ; ils bloquent ainsi la rotation des emplois et ferment la porte aux jeunes Calédoniens qui souhaitent revenir sur le Caillou…
Ces IMM permettent surtout à l’Etat de justifier d’économies de bout de chandelle (plus de primes de séjour, ni de voyage pour le remplaçant) au détriment de la nécessaire mobilité de ses personnels.
En vertu de l'article 2 du décret du 26 novembre 1996, la durée d'affectation ne s'applique pas aux personnels « dont le centre des intérêts moraux et matériels se situe dans le territoire où ils exercent leurs fonctions ». Le Conseil d’Etat a maintenu ouverte la porte du maintien sur place en jugeant que «la localisation du centre des intérêts moraux et matériels d'un agent, qui peut varier dans le temps, ne doit être appréciée ni à la date de la première affectation de l'agent (…), qu'elle soit intervenue ou non antérieurement à l'entrée en vigueur du décret du 26 novembre 1996, ni à la date d'entrée en vigueur dudit décret mais, dans chaque cas, à la date à laquelle l'administration, sollicitée le cas échéant par l'agent, se prononce sur l'application d'une disposition législative ou réglementaire».
Les critères de la résidence sont eux-mêmes variés : les plus invoqués sont l’achat d’une résidence, le terme «investisseur» se substituant judicieusement à immigrant dans le vocabulaire calédonien, l’emploi du conjoint qui se limite souvent d’ailleurs à une simple patente de circonstance, la situation des enfants dont certains ont pu naître sur le Caillou, les activités sociales, associatives ou humanitaires… Le mariage avec un Calédonien est un argument puissant. Le moyen le plus opposé est le fait d’avoir perçu les avantages matériels liés à «l’expatriation» ou des durées de séjour insuffisantes. Aucun de ces éléments n’est en lui seul décisif.
Le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a utilement contribué à cette réflexion que l’administration pourrait reprendre à son compte . Dans une affaire pittoresque de 1999, où l’administration refusait le versement des primes à un enseignant qui les revendiquait, le tribunal a noté que l’intéressé avait expressément indiqué qu’il était au nombre des électeurs admis à voter pour les référendums d’autodétermination de 1988 et de 1998. Ce moyen déterminant permettait le rejet de la demande d’attribution de l’indemnité d’éloignement. Il serait judicieux de l’utiliser pour éviter les reconnaissances artificielles des intérêts matériels et moraux, problème qui disparaîtrait d’ailleurs subitement si l’Etat alignait les rémunérations locales avec celles de la Métropole.
Si, a priori, la catégorie juridique des IMM reconnue par le décret de 1996, antérieur à l’accord de Nouméa, paraît étrangère à la notion de citoyenneté, rien n’empêcherait aujourd’hui la jurisprudence comme l’administration d’en faire un élément déterminant du lien au Pays, à défaut qu’il puisse être exclusif.  Cela éviterait la multiplication de catégories hybrides de non citoyens sans limitation de séjour. On pourrait alors reconnaître aux côtés de la citoyenneté, le mariage avec un citoyen calédonien ou une citoyenne et exclure des critères des IMM la propriété, qui a un aspect censitaire peu républicain et qui relève du choix de vie personnel.