Emploi local et Conseil d’Etat
La question de l'emploi local a été, sur le principe, tranchée par l'accord de Nouméa. Mais rien n'est venu la concrétiser. En 2004, l'Avenir ensemble dans sa campagne pour les élections provinciales avait créé une dynamique politique sur des thématiques simples et souvent sociales : allocations familiales, logement social, salaire minimum et emploi local.
Un premier projet de loi du pays a été préparé sous la direction de Alain SONG, alors membre du gouvernement THEMEREAU, pour l'accès à la fonction publique. Le Conseil d'Etat a rendu un avis critique en novembre 2005. C'est cet avis que vous pouvez retrouver ici :
Cet avis est commenté en page suivante de cet article avec les références juridiques indispensables. Vous pouvez vous reporter également à l'article de Mathias CHAUCHAT sur la citoyenneté calédonienne qui aborde la problématique.
La question de l'emploi local dans le secteur privé a été renvoyée à la discussion des partenaires sociaux. Une majorité des conflits sociaux éclate directement ou indirectement sur la question de l'emploi local et, historiquement, ce sont toujours sur les questions démographiques que les affrontements se sont noués en Calédonie. Le LARJE entend participer aux débats par ses recherches et propositions.
La loi organique, dans son article 24, utilise une formule un peu différente : « Dans le but de soutenir ou de promouvoir l'emploi local, la Nouvelle-Calédonie prend au bénéfice des citoyens de la Nouvelle-Calédonie et des personnes qui justifient d'une durée suffisante de résidence des mesures visant à favoriser l'exercice d'un emploi salarié, sous réserve qu'elles ne portent pas atteinte aux avantages individuels et collectifs dont bénéficient à la date de leur publication les autres salariés. De telles mesures sont appliquées dans les mêmes conditions à la fonction publique de la Nouvelle-Calédonie et à la fonction publique communale ». Il est précisé que « la durée et les modalités de ces mesures sont définies par des lois du pays » et non de simples délibérations.
Si pour l’accord, l’emploi local s’effectue au bénéfice de ses « habitants » et « des personnes durablement établies », la citoyenneté est « une référence pour la mise au point des dispositions qui seront définies pour préserver l'emploi local », la loi organique l’organise « au bénéfice de ses citoyens », mais en y ajoutant la notion de « personnes justifiant d’une durée suffisante de résidence ».
L’expression « personnes justifiant d’une durée suffisante de résidence » est couramment sollicitée pour nier tout lien avec la citoyenneté et donner des assurances aux nouveaux arrivants. Cette interprétation n’est assurément pas la bonne. D’abord, parce que l’article 24 utilise expressément le mot « citoyen », même s’il n’est pas exclusif ; ensuite, parce que la cohérence politique peut être recherchée par rapport à la définition même de la citoyenneté. Le corps électoral étant glissant pour les personnes établies avant le 8 novembre 1998, il paraît raisonnable de les inclure dans la protection de l’emploi local, puisque, à échéance de 10 ans de résidence continue, elles vont bénéficier de la citoyenneté. C’est d’abord sous cet angle que cette disposition peut être comprise, l’emploi devant être réservé aux citoyens ou aux personnes susceptibles de le devenir. La date d’adoption du dispositif de protection de l’emploi local, qui ne cesse d’être repoussée, éloigne toutefois cette possibilité, le gel du corps électoral figeant la liste des citoyens au plus tard en 2008. Le congrès pourrait alors fixer une autre durée, plus réduite, ou reprendre la durée de 10 ans hors date d’arrivée. Mais il s’éloignerait sans doute de l’esprit de l’accord de Nouméa et une discussion juridique sur ce point pourrait être ouverte devant le Conseil constitutionnel à l’occasion d’une saisine éventuelle contre la loi du pays .
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999, avait néanmoins soulevé une réserve d’interprétation sur cet article 24 de la loi organique : « qu'il appartiendra aux "lois du pays" prises en application de l'article 24, et susceptibles d'être soumises au contrôle du Conseil constitutionnel, de fixer, pour chaque type d'activité professionnelle et chaque secteur d'activité, la "durée suffisante de résidence" mentionnée aux premier et deuxième alinéas de cet article en se fondant sur des critères objectifs et rationnels en relation directe avec la promotion de l'emploi local, sans imposer de restrictions autres que celles strictement nécessaires à la mise en oeuvre de l'accord de Nouméa ; qu'en tout état de cause, cette durée ne saurait excéder celle fixée par les dispositions combinées des articles 4 et 188 pour acquérir la citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie ».
La durée ne saurait ainsi excéder les 10 ans. Mais cette interprétation paraît s’éloigner de l’impératif de citoyenneté en liant étroitement la durée de résidence avec la promotion de l’emploi local et en semblant faisant l’impasse sur la notion de citoyenneté. Le renvoi en deuxième partie de phrase aux « restrictions strictement nécessaires à la mise en oeuvre de l'accord de Nouméa » qui n’exclut pas la nécessité de respecter d’autres normes ou principes de valeur constitutionnelle, tel le principe de l’égal accès des citoyens aux emplois publics, paraît montrer une hiérarchisation inverse des priorités dans les choix politiques à accomplir sur l’emploi local. Il est vrai que l’affaire du corps électoral a déjà démontré que l’interprétation que le Conseil donne de l’accord ne coïncidait pas toujours avec la volonté des trois partenaires politiques qui en sont à l’origine.
Un premier projet de loi du pays a néanmoins été transmis au Conseil d’Etat pour l’avis préalable obligatoire. L’idée générale était de réserver l’accès aux concours de la fonction publique de la Nouvelle-Calédonie pour les catégories B, C et D aux citoyens ou à ceux justifiant de 10 ans de résidence et de leur donner une priorité de nomination pour les catégories B+ (dont le niveau de diplôme requis est supérieur au baccalauréat) et A. Le dispositif était élargi aux conjoints de citoyens calédoniens. Le Conseil d’Etat a rendu son avis le 17 novembre 2005 .
Il a estimé que l’exclusion totale pour les catégories B, C et D allait au-delà des restrictions strictement nécessaires à la mise en œuvre de l’accord. Il ajoute qu’elles seraient incompatibles avec l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui protège « l’accès aux fonctions publiques ». La priorité de nomination des citoyens dans les emplois de catégorie A et B+ ne serait conforme aux exigences constitutionnelles qu’à égalité de mérites. L’épuisement nécessaire d’une liste des citoyens ou assimilés par recrutement avant de puiser dans la réserve « métropolitaine » risquerait ainsi de contredire l’ordre de mérite individuel. Enfin, il ajoute que la protection du conjoint d’un citoyen n’a aucun fondement dans l’accord. Il suggère néanmoins l’organisation de concours doubles, dotés de jurys communs et de quotas justifiés et invite à permettre à ce que le jury puisse modifier la répartition des quotas en fonction des résultats obtenus.
Le Conseil d’Etat, dans son avis sur la loi, reprend finalement l’analyse assez classique de la discrimination positive, en veillant à rappeler la règle méritocratique et la prohibition des interdictions absolues. Toutefois, sa prise en compte de l’impératif constitutionnel est réelle, bien qu’elle relève de l’implicite. En ne s’interrogeant pas sur l’objectif de tendre vers une égalité des chances entre les deux groupes de citoyens et non citoyens, le Conseil respecte la règle constitutionnelle particulière à la Nouvelle-Calédonie. Ce point a été tranché et il relève d’une logique politique et historique de construction d’un pays plus que d’une volonté de réduire les inégalités.