Goro nickel, tuyau et DPM
● Conclusions du commissaire du gouvernement Jean-Paul Briseul
Cette procédure d’urgence trouve son fondement dans deux niveaux de textes reliés par une connexion logique et par un ordre chronologique inverse.
Un bref exposé de cette procédure nous paraît nécessaire avant de vous présenter les termes du présent litige.
En vertu de l’article L.554-1 du code de justice administrative, les demandes de suspension assortissant les requêtes du représentant de l’Etat dirigées contre les actes des communes sont régies par le 3° alinéa de l’article L.2131-6 du Code général des collectivités territoriales ci-après reproduit :
Art. L 2131-6 alinéa 3 : « Le représentant de l’Etat peut assortir son recours d’une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l’un des moyens invoqués paraît, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué. Il est statué dans un délai d’un mois. »
Les textes sources de ces dispositions sont : CGCT, article L 2131-6, alinéa3 ; loi n° 2000-597 du 30 juin 2000, articles 13-III-4-a et 16-1 ; loi n° 2004-193 du 27 février 2004, articles 16-7.
Ces textes ne sont pas applicables en Nouvelle-Calédonie.
Toutefois, une induction logique du texte codifié sous l’article L.554-1 du Code de justice administrative dispose qu’il en va de même pour les requêtes visées à l’article 204 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 199 relative à la Nouvelle-Calédonie et à l’article L.121-39-2 du code des communes de la Nouvelle Calédonie. Cette induction logique figurant à la fin de l’article L554-1 rend applicable en Nouvelle-Calédonie des dispositions qui ne l’étaient pas lors de leur adoption.
Nous vous invitons maintenant à vous reporter au texte de l’article 204, VI, al. 3, de la loi organique, chronologiquement antérieur : « Le haut-commissaire peut assortir son recours d’une demande de sursis à exécution. Il est fait droit à cette demande si l’un des moyens invoqués dans la requête paraît, en l’état de l’instruction, sérieux et de nature à justifier l’annulation de l’acte attaqué. Il est statué dans le délai d’un mois. Jusqu’à ce que le tribunal ait statué…… »
Notons tout d’abord le caractère indicatif du délai d’un mois (CE 13 mai 1987 Comité de sauvegarde du patrimoine de Montpellier, Dalloz 1987 n° 34).
Vous constaterez entre ces deux niveaux de textes reliés par une induction logique, mais chronologiquement inversés, un certain nombre de différences rédactionnelles qui pourraient être source de difficultés si vous n’y preniez pas garde. Il vous appartient de trancher ces contradictions textuelles.
Ainsi, l’article L 554-1 du CJA est inséré dans le titre du Code « le juge des référés statuant en urgence ». Le juge des référés, c’est-à-dire le juge unique qui peut renvoyer l’affaire devant une formation collégiale, alors que l’article 204 de la loi organique dispose « jusqu’à ce que le tribunal ait statué », ce qui implique nécessairement un jugement par une formation collégiale.
L’article L 554-1 fait état d’une demande de suspension, alors que l’article 204 se réfère au très classique sursis à exécution.
L’article L 554-1 exige pour suspendre qu’un moyen invoqué paraisse, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute quant à la légalité de l’acte attaqué, l’article 2 se réfère au moyen sérieux de nature à justifier l’annulation de l’acte attaqué.
Pour trancher ces contradictions de textes, nous vous suggérons de retenir le vocabulaire le plus récent qui épouse toute la philosophie des procédures d’urgence.
Vous retiendrez donc qu’il s’agit d’une procédure d’urgence qui incombe au juge des référés, que le juge peut suspendre l’acte déféré, dès lors qu’un moyen invoqué parait, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute quant à la légalité de l’acte attaqué. C’est précisément la procédure qui a été suivie aujourd’hui, puisque votre juge des référés a procédé au renvoi de cette affaire devant votre formation collégiale.
C’est sur la base de cette procédure, dont nous venons de lever les contradictions textuelles, que le haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie vous demande de suspendre les dispositions de l’article 7.2 de l’arrêté du 24 janvier 2008 par lequel le président de l’assemblée de la province Sud a autorisé l’occupation de dépendances du domaine public maritime dans la baie de Prony et dans le canal de la Havannah, communes du Mont-Dore et de Yaté, au profit de la société Goro Nickel, ainsi que la réalisation de travaux sur cette dépendance, la suspension étant demandée pour l’ensemble de l’acte dans l’hypothèse où les dispositions incriminées ne seraient pas divisibles.
Un mémoire en intervention a été déposé par la société Goro Nickel au soutien du déféré préfectoral. Vous n’aurez guère de difficulté à admettre cette intervention dont on comprend l’intérêt objectif.
En revanche, l’admission des interventions de deux associations, la « Coordination de défense du Sud », et « Action biosphére » est plus délicate. Vous êtes saisi de requêtes motivées (CE Sect. 12 juin 1981 Grimbichler p. 256), mais les conclusions formulées tendent à l’arrêt des travaux de pose du tuyau et d’occupation du domaine public maritime entrepris dans la Baie de Prony et dans le canal de la Havanah sur le fondement de l’arrêté du 24 janvier.
Les conclusions du haut-commissaire ne visent pas à l’arrêt de l’exécution des travaux mais à la suspension d’un acte fixant la redevance domaniale. Les conclusions des associations sont différentes des conclusions du haut-commissaire, leur intervention ne présente donc pas un caractère accessoire et vous n’aurez guère de difficulté à considérer que l’intervention accessoire n’est pas unie à l’instance par un lien suffisant. En effet, les conclusions du haut-commissaire concernent le montant de la redevance, l’intervention des associations concerne l’exécution des travaux. Le haut-commissaire est partie à un procès administratif dont la partie adverse est l’auteur de l’acte incriminé, à savoir le président de l’assemblée de la province Sud, le bénéficiaire de la décision attaquée étant l’industriel.
La question centrale que vous avez à trancher se formule de la manière suivante : un moyen invoqué paraît-il, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué ? Si vous répondez favorablement à cette question vous pouvez faire droit à la demande de suspension du haut-commissaire, cette demande emporte elle-même un effet suspensif jusqu’à ce que le TA y ait statué au fond.
Tels sont les enjeux.
Nous exposerons dans leurs grandes lignes les modalités générales de la gestion du domaine public maritime des provinces. Cette gestion résulte de trois niveaux de textes, la loi organique, la loi de pays sur le domaine public maritime de la Nouvelle-Calédonie et des provinces, et la délibération provinciale fixant les tarifs d’occupation privative à des fins économiques, notamment, du domaine public maritime.
Nous examinerons successivement ces trois niveaux de textes :
– l’article 45 de la loi organique du 19 mars 1999 dispose : « le domaine public maritime des provinces comprend,…la zone dite des cinquante pas géométriques, les rivages de la mer, les terrains gagnés sur la mer, le sol des eaux intérieures, dont ceux des rades et des lagons ainsi que le sol et le sous-sol des eaux territoriales » ;
-la loi de pays du 11 janvier 2002 sur le domaine public maritime de la Nouvelle-Calédonie et des provinces, dispose que « nul ne peut, sans autorisation, occuper une dépendance du domaine public maritime, le président de l’assemblée de province peut autoriser des occupations temporaires et de stationnement sur les dépendances du domaine public maritime, sous réserve des usages coutumiers de jouissance qui s’exercent sur la zone des pas géométriques située au droit des terres coutumières, les autorisations de toute nature délivrées sur le domaine public maritime sont subordonnées au paiement d’une redevance, les redevances fixées par l’autorité compétente doivent tenir compte des avantages de toute nature procurés au concessionnaire ;
-la délibération du 2 avril 2003, fixant les redevances d’occupation du domaine public et privé de la province Sud, est un outil de management pour fixer le montant de la redevance due en fonction des caractéristiques de l’occupation envisagée. Cette délibération est accompagnée d’une annexe, énumérant des catégories d’occupation, selon les espaces considérés, et fixe un mode de calcul découlant du choix de la catégorie d’occupation. En fonction de sa nature, l’ouvrage est rangé dans une catégorie d’occupation, ce qui entraîne mécaniquement la mise en route d’un mode de calcul pour la fixation du montant de la redevance.
Nous voudrions maintenant examiner les éléments essentiels de la demande.
Nous présenterons tout d’abord les caractéristiques de l’émissaire, nous présenterons ensuite la méthode de calcul pour fixer le montant de la redevance domaniale.
L’émissaire
La zone d’emprise de l’émissaire sur le domaine public maritime de la province Sud porte sur une superficie de 1282 ha. 23 a. 59 ca. dont 334 ha. concernent le polygone du diffuseur de l’effluent. L’émissaire est constitué d’une conduite en polyéthylène haute densité d’une longueur d’environ 25 km. composée d’une section terrestre de 4,2 km. de longueur et d’une section marine de 20,8 km. de longueur. La conduite est ancrée par lests en béton pour garantir le maintien et la stabilité sur le fond. L’axe de l’émissaire marin s’inscrit dans un corridor d’une largeur minimale de 100 mètres.
Cet ouvrage se trouve dans un environnement écologiquement très sensible, comme le fait apparaître le rapport au Comité national du patrimoine mondial de l’UICN : « la Nouvelle-Calédonie possède en effet la deuxième plus grande barrière récifale. Selon les études publiées par « Conservation International », elle constitue non seulement un point chaud de biodiversité, mais aussi un haut lieu d’endémisme marin. »
La méthode de calcul pour fixer le montant de la redevance domaniale
Les dispositions tarifaires sont ainsi libellées dans l’arrêté portant autorisation d’occupation du domaine public : « 7.2.2. Pendant toute la période d’exploitation de l’émissaire, le montant de la redevance correspond aux tarifs prévus par : 1) le code 111 de l’annexe 1 -domaine public- de la délibération du 2 avril 2003 (occupation économique du terrain et du plan d’eau), étant précisé que la surface retenue pour le calcul est celle de la zone d’emprise visée à l’article 3.1 c’est à dire la zone d’emprise totale.
Le code 213 de l’annexe (construction à caractère permanent sur le domaine public maritime) précise que le chiffre d’affaires retenu pour le calcul de la redevance est celui qui résulte de l’exploitation de l’usine de traitement de minerais et que la surface retenue pour le calcul est celle de la zone d’emprise calculée à l’issue des travaux, à partir des plans de recollement.
Si vous admettez un chevauchement entre les surfaces concernées par les articles 111 et 213, la différence (entre les surfaces) qui en résulte est très minime par rapport à l’économie globale du projet. Elle nous semble entrer dans la tolérance administrative.
Il convient maintenant d’examiner la marge de manœuvre dont dispose le gestionnaire pour la fixation du montant de la redevance domaniale.
Le gestionnaire est lié par la grille tarifaire, mais il dispose d’une libre appréciation de la catégorisation de l’occupation du domaine public, sous le contrôle du juge.
Le président de l’assemblée de la province Sud a utilisé deux critères non pas cumulativement, mais de manière complémentaire en segmentant l’occupation en deux catégories distinctes, entraînant deux modes de calcul complémentaires pour la détermination de la redevance globale.
Il nous semble que si la grille tarifaire présente un caractère impératif pour l’application des tarifs, elle ne lie pas l’autorité administrative sur le choix d’une catégorie d’occupation, l’autorité administrative chargée de la gestion du domaine public peut, il nous semble, déterminer des catégories d’occupation différentes au regard du mode d’occupation, dès lors que ce mode d’occupation peut relever de deux catégories distinctes.
Le moyen se développe ensuite dans une autre direction : le caractère excessif du montant de la redevance qui concerne la partie de l’ouvrage rangée dans le code 213. La redevance est calculée sur la base d’un pourcentage du chiffre d’affaires, fixé à 1%, le chiffre d’affaire retenu est celui qui résulte de l’exploitation de l’usine de traitement de minerai.
Sur ce premier point, l’assise de la redevance sur le chiffre d’affaires, le Conseil constitutionnel a admis qu’aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle ne s’oppose à ce qu’une redevance domaniale soit fonction du chiffre d’affaires réalisé par l’occupant du domaine. » (DC 27 décembre 2001). Dans une affaire récente » (CE, Ass.16 juillet 2007, Syndicat national de défense de l’exercice libéral de la médecine à l’hôpital et syndicat national de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique) dans une catégorie juridique très voisine, la détermination des redevances pour service rendu, le Conseil d’Etat a réaffirmé le principe du pourcentage, en l’espèce d’honoraires, pour évaluer le montant de la redevance.
Il vous reste maintenant à apprécier si le pourcentage retenu résulte d’une erreur d’appréciation.
De manière liminaire, nous voudrions vous rappeler que la jurisprudence a ouvert à l’administration le droit de se déterminer, en matière d’octroi ou maintien des autorisations d’occupation, par des considérations proprement financières. Le Conseil d’Etat n’a plus dissimulé que des considérations financières peuvent être des motifs d’intérêt général, de nature à justifier le comportement des gestionnaires du domaine public. Le domaine public peut et doit être considéré comme une « richesse collective », et être l’objet d’une exploitation patrimoniale propre à en assurer la valorisation. Bien plus, il incombe au gestionnaire du domaine public, en fixant le montant de la redevance, de veiller à la meilleure exploitation possible du domaine public (CE, 18 mars 1963, Cellier p. 189, AJ 1963, p. 484, note J. Dufau)
La gestion du domaine public doit se faire de manière « managériale ».
Les redevances doivent être calculées en fonction de la valeur locative d’une propriété privée comparable à la dépendance du domaine public dont l’autorisation est accordée ainsi que de l’avantage spécifique que constitue le fait d’être autorisé à jouir d’une façon privative d’une partie du domaine public (CE, 10 février 1978, Min. de l’économie c/Scudier p. 66, aux conclusions de M. Denoix de Saint Marc).
Il vous appartient d’examiner si le montant des redevances n’est pas excessif, compte tenu de l’avantage que le redevable est susceptible de tirer de l’occupation de la dépendance du domaine public, (CE, 11 octobre 2004, Prouvoyeur).
Quel est cet avantage au sens de la jurisprudence ?
La valeur immatérielle : le coût de l’environnement.
L’environnement qui appartient à notre patrimoine collectif a une valeur économique qui s’impose à l’industriel et qui constitue un avantage spécifique. Or, nous l’avons signalé en nous reportant au rapport de l’UICN, l’industriel est autorisé à occuper une portion de domaine public maritime dans un environnement très sensible, un des plus sensibles de la planète.
La jurisprudence reconnaît la possibilité de prendre en compte de telles considérations immatérielles dans l’évaluation de l’avantage. Ainsi, des préoccupations d’ordre esthétique peuvent être retenues dans la prise de décision, généralement pour fonder une décision de refus (CE, 13 juillet 1951, SA La Nouvelle Jetée-Promenade de Nice, p. 404 : légalité du retrait d’autorisations d’occuper le domaine public maritime « fondé sur l’intérêt esthétique qu’il y avait à assurer la protection du site de la baie des Anges » .).
L’avantage économique substantiel : le caractère stratégique de l’occupation du domaine public maritime.
L’autorisation permet l’installation d’un équipement stratégique pour l’ensemble du processus industriel dont il est structurellement et fonctionnellement indissociable.
L’avantage nous semble considérable et il n’est nullement disproportionné par rapport à la redevance. Il ne nous semble pas que dans le choix des critères, comme dans l’évaluation de la redevance qui en résulte, le président de l’assemblée de la province Sud ait commis une erreur d’appréciation et par voie de conséquence nous ne considérons pas, en l’état de l’instruction, qu’un moyen sérieux puisse être retenu.
Nous concluons donc au rejet du déféré préfectoral.