L’avis du Conseil d’État sur le jour d’après
L’avis du Conseil d’État n° 395203 du 4 septembre 2018 sur l’échéance de l’accord sur la Nouvelle-Calédonie, dit de Nouméa, a été demandé lors de la réunion du groupe de dialogue sur le chemin de l’avenir du 30 mai 2018.
Vous trouverez l’Avis ici : Avis CE provinciales post 4_11 395203
La question était de savoir si l’Accord se poursuivait au-delà d’une durée de 20 ans, mentionnée au point 5 de l’Accord de Nouméa, et en particulier si les provinciales de mai 2019 allaient bien se tenir. C’est une vieille question qui perdure depuis qu’il a été signé, à savoir la controverse sur son caractère provisoire, c’est-à-dire s’arrêtant à une certaine date, ou transitoire, c’est-à-dire jusque l’accession du pays à la pleine souveraineté, comme le mentionne d’ailleurs le titre XIII de la Constitution.
L’avis du Conseil d’État est utile sans régler la totalité des questions qui se posent à nous.
Pour le Conseil d’État, « il résulte de l’accord lui-même que son application pourrait s’étendre au-delà de cette période [de 20 ans] ». On le savait puisque trois référendums doivent être organisés. Pour le Conseil d’État, « une nouvelle consultation pourrait se tenir jusqu’au 3 novembre 2020, suivie le cas échéant (si refus de la pleine souveraineté) d’une troisième consultation dans la deuxième année suivante ». Il ajoute ensuite que, même après la troisième consultation, l’irréversibilité constitutionnelle s’applique, sauf à modifier la Constitution française. Sa conclusion est que les provinciales auront lieu en mai 2019 et que le corps électoral gelé demeure sans changement. C’est évidemment un élément de « l’organisation politique de la Nouvelle-Calédonie » qui définit le périmètre de l’irréversibilité.
Le mandat du Congrès sera de 5 ans, même si l’accession du pays à la pleine souveraineté pourrait être de nature à l’interrompre.
Toutefois, même si le délai de deux ans entre les consultations est mentionné au point 5 de l’Accord, le Conseil d’État ne paraît pas prendre en compte la rédaction particulière de la loi organique sur la demande d’organisation des second et troisième scrutins. La formulation date de 1999 et a été reprise en 2015, faisant consensus : « Si la majorité des suffrages exprimés conclut au rejet de l’accession à la pleine souveraineté, une deuxième consultation sur la même question peut être organisée à la demande écrite du tiers des membres du congrès, adressée au haut-commissaire et déposée à partir du 6èmemois suivant le scrutin. La nouvelle consultation a lieu dans les 18 mois suivant la saisine du haut-commissaire à une date fixée dans les conditions prévues au II de l’article 216. Aucune demande de 2èmeconsultation ne peut être déposée dans les 6 mois précédant le renouvellement général du congrès. Elle ne peut en outre intervenir au cours de la même période. Si, lors de la 2èmeconsultation, la majorité des suffrages exprimés conclut à nouveau au rejet de l’accession à la pleine souveraineté, une troisième consultation peut être organisée dans les conditions prévues aux 2èmeet 3èmealinéas du présent article. Pour l’application de ces mêmes 2èmeet 3èmealinéas, le mot : « deuxième » est remplacé par le mot : « troisième » ».
L’écriture de la loi organique change beaucoup. On demande « à partir du 6èmemois » et on organise dans les 18 mois. 18 et 6, cela fait 2 ans. Mais « à partir du » 6èmemois, c’est à partir du 7ème, du 8ème, etc. Il n’y a aucune urgence, ni aucune automaticité. La loi a déverrouillé le temps. On notera que le Conseil constitutionnel a mentionné que ces dispositions « étaient conformes aux stipulations de l’Accord de Nouméa ». On sait qu’aucune question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ne peut plus être soulevée, sauf bouleversement des circonstances. La référence aux années 2018, 2020 et 2022, si elle garde une force politique, n’a ainsi plus nécessairement de consistance juridique.
L’interprétation du Conseil d’État, si elle est confirmée, signifierait qu’il faudrait demander la consultation aussitôt les provinciales passées. C’est sans doute mauvais pour la stabilité institutionnelle, pour les compromis politiques et préjuge des majorités issues des urnes en 2019. Le Conseil ne répond pas non plus sur la question (qui ne lui était pas posée) de savoir quel tiers du Congrès peut demander la consultation. La logique et l’esprit de l’Accord donnent ce pouvoir au tiers « perdant ». Penser que le tiers « gagnant » pourrait demander la consultation consisterait à imposer aux Kanak indépendantistes un scrutin dont ils ne voudraient pas. L’État serait sans doute le premier à ne pas se sentir lié par la demande, pour des motifs évidents d’ordre public qui rappelleraient trop le précédent du 13 septembre 1987.
Rappelons que le statu quo peut être une des « sorties » de l’Accord de Nouméa, faute d’achèvement de la décolonisation et de modification de la Constitution française.
Mathias Chauchat, Professeur de droit public à l’Université de la Nouvelle-Calédonie