Le statut de la terre en Nouvelle-Calédonie


L’article de Bernard Grand, Professeur des Université en Sciences de gestion, IAE d’Aix-en-Provence, Aix-Marseille Université, CERGAM (EA 4225), et chercheur associé au LARJE, intitulé « Le statut de la terre en Nouvelle-Calédonie » et sous-titré Analyse d’une réponse juridique à un problème interculturel au travers du prisme de la théorie économique standard,va susciter un débat, peut-être un malaise.

En Nouvelle Calédonie se côtoient le peuple kanak et la communauté française, majoritairement européenne, par ailleurs soumises aux mêmes institutions politiques. Le statut de la terre n’est pas perçu par la population mélanésienne comme un « bien » au sens juridique. Jean-Marie Tjibaou, figure politique du nationalisme kanak, écrivait : « Nos terres ne sont pas à vendre, elles sont l’unité de notre peuple. Elles sont l’univers que nous partageons avec nos dieux» (cité par Bensa et Wittersheim, 1996, p.98). La terre fait ainsi partie de son identité et à ce titre elle doit faire l’objet de protection particulière. La mise en valeur des terres coutumières se heurte à cette particularité qui fait que les outils habituellement mobilisés par l’économie et le droit libéral ne peuvent être appliqués en l’état. Le législateur a donc tenté de satisfaire les besoins légitimes des acteurs en créant une structure juridique particulière : le Groupement de Droit Particulier Local (GDPL), avant d’ailleurs que le droit ne reconnaisse juridiquement les clans (https://larje.unc.nc/fr/le-clan-kanak-est-une-personne-morale/). Cette réponse juridique des autorités à un problème culturel visait à permettre le développement économique lié au foncier coutumier. Les GDPL ont été mis en place comme véhicule de redistribution des terres au bénéfice du peuple kanak. Cette répartition administrative a permis d’établir un cadastre en affectant les terres aux organismes juridiques que sont les GDPL. Pour le peuple kanak, ceci était un moyen de récupérer les terres de leurs ancêtres. Toutefois, l’Etat français subordonnait la remise de ces terres à une condition de mise en valeur des terres coutumières, qui n’était pas forcément un objectif des nouveaux propriétaires, et peut expliquer les nombreux échecs économiques des GDPL fonciers.

Pour Bernard Grand, ces structures juridiques ne peuvent pas concurrencer le modèle de propriété privée prôné par l’économie libérale. Dans le modèle libéral, la propriété collective est moins efficace que la propriété privée. Le GDPL ne peut mettre en valeur les terres autrement que sur des petits projets du fait de l’absence de garantie pour les prêts bancaires. S’il s’adresse aux investisseurs privés, ces derniers exigeront des rentabilités élevées et des retours sur investissements rapides pour pallier l’absence de règles de gouvernance claires et pérennes. Ils investiront dans des projets courts et peu onéreux. Les pouvoirs publics, quant à eux, sont des structures en théorie moins efficaces que les sociétés privées. Tout ceci conduit à des comportements économiques sous optimaux.

Même si l’analyse économique objective donne une réponse, on n’empêchera pas une large partie de la population de penser que l’identité de la Nouvelle-Calédonie et de ses populations ne doit pas nécessairement se fondre dans le grand creuset d’un modèle mondialisé et que la moindre financiarisation de l’activité peut également être un atout de survie lors des grandes crises bancaires ou monétaires, un peu à la manière de la diversité biologique dans les périodes d’extinction. Reprenons une parole de Jean-Marie Tjibaou : « notre identité est devant nous », elle est à construire avec des valeurs partagées propres à la Nouvelle-Calédonie (La parole, journal d’informations du Sénat coutumier, décembre 2012, n° 16, p. 25).

Mathias Chauchat, professeur de droit public à l’Université de la Nouvelle-Calédonie

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https://www.cairn.info/revue-rimhe-2018-3-p-85.htm