Goro nickel, tuyau et classement du récif
Le jugement du TANC du 7 mai 2008 sur le « tuyau » de Goro Nickel, c’est-à-dire l’émissaire de rejet, est important. Sans doute plus par ce qu’il ne dit pas que par ce qu’il dit. Si le recours des associations ACTION BIOSPHERE et COORDINATION DE DEFENSE DU SUD est en effet rejeté, les conclusions du commissaire du gouvernement BRISEUL éclairent un raisonnement juridique intéressant.
Les associations évoquaient les dispositions du classement au titre du patrimoine mondial de l’UNESCO du récif calédonien pour contester le rejet des effluents de l’usine du Sud dans le lagon. Si le Tribunal rappelle que la légalité de l'arrêté d’autorisation attaqué s’apprécie au regard de la situation de droit et de fait existant à la date de sa signature et que les stipulations de la convention ne peuvent être utilement invoquées ici, ces dispositions internationales n’en ont pas moins une portée utile pour revendiquer une protection du récif.
Comme le rappelle le commissaire du gouvernement, la convention de l’UNESCO du 16 décembre 1972 concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel ne crée d’obligation qu’entre les Etats signataires et est dépourvue de tout effet direct à l’égard des particuliers. Elle n’est pas à ce titre directement invocable.
Mais, l’article 28 de la loi de pays n° 2001-017 du 11 janvier 2002 sur le domaine public maritime de la Nouvelle-Calédonie et des provinces, qui impose de prendre en compte la vocation des zones concernées et celle des espaces terrestres avoisinants ainsi que les impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques, doit s’analyser implicitement mais nécessairement comme un instrument juridique national de mise en oeuvre des objectifs de protection et de conservation découlant de la convention UNESCO. En d’autres termes, l’autorité publique qui a formulé la demande de classement du récif corallien de Nouvelle-Calédonie au patrimoine mondial de l’UNESCO, en choisissant ce site, en a reconnu, devant la communauté internationale, l’importance pour la préservation de la biodiversité exceptionnelle de ce récif. Cela ouvre le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur les décisions prises.
Cette potentialité serait à même de se concrétiser un jour positivement sur un sujet ; ce n’est néanmoins pas le cas en l’espèce.
Vous trouverez le jugement du TANC n° 0868 et 0863 du 7 mai 2008 Associations Action Biosphère et Coordination de défense de Sud ici : tanc_tuyau
Avec les conclusions du commissaire du gouvernement Jean-Paul BRISEUL ci-dessous :
N 0863 et 0868
COORDINATION DE DEFENSE SUD
ACTION BIOSPHERE
Rapporteur : M. Bichet
Audience du 24 avril 2008
Lecture du 7 mai 2008
CONCLUSIONS DU COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT Jean-Paul BRISEUL
L’exploitation de ce complexe industriel générera diverses catégories d’effluents. Pour le traitement des effluents liquides résultant du procédé de traitement du minerai, la société exposante a opté pour une solution technique permettant de les rejeter après traitement dans le canal de la Havannah relevant du domaine public de la province Sud.
L’occupation du domaine public est subordonnée à l’obtention d’une autorisation qui doit être expresse. ( CE 17 décembre 1975 Soc Letourneur frères p 1083 ).L’article 99 de la loi organique modifiée n°99 209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie prévoit en son septième alinéa que « les règles du droit domanial de la Nouvelle-Calédonie et des provinces » sont fixées par une loi du pays .
C’est ainsi que le principe a été codifié par l’article 27 de la loi du pays n°2001-017 du 11 janvier 2002 sur le domaine public maritime de la Nouvelle-Calédonie et des provinces : « Nul ne peut, sans autorisation, occuper une dépendance du domaine public maritime ou l’utiliser dans les limites excédant le droit d’usage qui appartient à tous. »
Dans ces conditions, en application de l’arrêté du 24 janvier 2008, pris par le deuxième vice-président de la province Sud, la société Goro Nickel est autorisée, à titre précaire et révocable, à occuper les dépendances du domaine public de la province Sud, sises dans la baie de Prony et dans le canal de la Havannah, sur le territoire des communes du Mont-Dore et de Yaté, pour la réalisation et l’exploitation d’un émissaire marin de rejet des effluents de l’usine de traitement de minerais.
Nous voudrions, tout d’abord, procéder à une présentation générale de cet émissaire.
Goro Nickel va exploiter ses concessions de gisements latéritiques de nickel et de cobalt de Goro, pour produire de l’oxyde de nickel et du carbonate de cobalt en application du procédé hydrométallurgique. Le complexe industriel nécessaire à cette exploitation est conçu pour produire 60 000 tonnes par année d’oxyde de nickel et 4500 tonnes de carbonate de cobalt. Ce complexe industriel regroupe un certain nombre d’unités ou d’usines qui génèrent des effluents .Ces effluents sont acheminés jusqu’à l’unité de traitement des effluents et affinage du traitement des effluents liquides contenant du manganèse, où ils sont traités afin que leurs rejets dans le milieu récepteur respectent la réglementation applicable.
Au nombre des rejets figurent des effluents liquides, dont la destination finale est d’être rejetés dans le canal de la Havannah, au large de la Baie de Kwé, via un diffuseur.
L’autorisation concerne l’installation de l’émissaire marin véhiculant ces effluents depuis l’usine où ils sont générés, jusqu’au diffuseur par lequel ils sont rejetés.
L’émissaire est une conduite en polyéthyléne haute densité d’une longueur d’environ 25 km, comportant une section terrestre d’une longueur de 4,2 km, qui va de la sortie de l’usine de traitement des effluents jusqu’à son entrée en mer dans le port de Goro Nickel, et une section marine d’environ 20,8 km qui va de l’entrée dans l’eau de mer jusqu’à l’extrémité du diffuseur sous-marin .La conduite est ancrée par des lests en béton pour garantir le maintien et la stabilité sur le fond. La zone d’emprise de l’émissaire sur le domaine public maritime de la province Sud, porte sur une superficie de 1282 ha 23 a 59 ca environ, dont 334 ha concernent le polygone du diffuseur de l’effluent.
Par une ordonnance en date du 6 mars 2008, le juge des référés a rejeté les requêtes de ces deux associations tendant à la suspension de cet arrêté sur le fondement de l’article L.521-1 du code de justice administrative.
Par un jugement en date du 11 mars 2008, vous avez rejeté la requête du haut-commissaire de la République, vous demandant de prononcer le sursis à exécution de l’article 7.2 de l’arrêté du 24 janvier 2008, relatif à la fixation du montant de la redevance d’occupation de dépendances du domaine public maritime, et cela conformément à nos conclusions.
L’association Coordination de Défense du Sud, et l’association Action Biosphère, vous demandent d’annuler cet arrêté.
Nous procéderons à l’examen des moyens invoqués dans ces pourvois en suivant le diptyque classique : légalité externe puis légalité interne.
S’agissant de la légalité externe.
Les associations requérantes invoquent, tout d’abord, la violation des dispositions de l’article 29 de la loi du pays sur le domaine public maritime de la Nouvelle-Calédonie et des provinces. Cet article est ainsi rédigé : « Le président de l’assemblée de province ou l’autorité gestionnaire peut autoriser des occupations temporaires et de stationnement sur les dépendances du domaine public maritime.
Lorsqu’il s’agit de portions du domaine public dont l’occupation temporaire est de nature à intéresser l’exercice des compétences de l’Etat (défense, navigation,….), l’avis du haut-commissaire doit être préalablement recueilli. »
L’avis du haut-commissaire devait-il être préalablement recueilli ? C’est la question que vous devez trancher.
Vous constaterez le caractère très général de la rédaction de ces dispositions. L’énumération des compétences de l’Etat, limitée à la défense et à la navigation, est laissée ouverte par l’emploi de points de suspension.
Tout d’abord, en ce qui concerne la navigation, nous considérons que l’avis du haut-commissaire ne devait pas être recueilli en ce qui concerne l’exercice de ses compétences en matière de police et de sécurité de la circulation maritime dès lors que l’occupation domaniale concerne les eaux intérieures.
Ensuite, en ce qui concerne la défense, en vertu de l’article 21 de la loi organique, la défense doit s’entendre au sens de l’ordonnance n°59-147 du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense. Le concept de défense ainsi défini incorpore, selon les termes de la loi, la défense civile. Elle implique donc la protection du site contre les actes susceptibles de porter atteinte aux capacités économiques du territoire, et elle concerne sans aucun doute un site industriel de cette importance. L’émissaire nous semble bien, par ses caractéristiques, être une installation d’intérêt général qui concerne des ressources d’intérêt général relevant de la défense civile et donc de la défense au sens de l’ordonnance du 7 janvier 1959.
Mais il y a selon nous un second argument : la défense civile s’insère fonctionnellement dans la politique publique de sécurité civile, qui concerne l’élaboration et la mise en œuvre des plans de secours du site industriel, pour la prévention des pollutions marines, des risques industriels, des risques chimiques, de la prévention cyclonique, et qui relèvent de la compétence de l’Etat ; cela nous renvoie au concept général de compétences régaliennes de l’Etat celles que l’Etat conservera au terme du processus de transferts de compétence, et avant l’intervention du scrutin d’auto-détermination .
Il nous semble donc bien que l’avis du haut-commissaire devait être recueilli préalablement à la délivrance de l’autorisation, comme l’exige l’article 29 de la délibération sur le domaine public de la Nouvelle-Calédonie et des provinces.
Toutefois, la commission nautique, qui est une instance consultative et qui agit pour le compte de l’Etat sur les projets d’ouvrages portuaires et installations en mer, ainsi que sur les réglementations ayant un impact sur la sécurité de la navigation,. en application de l’article 5 de l’arrêté du 23 novembre 1988 instituant une commission nautique sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, a été consultée à deux reprises, et par voie de conséquence, a rendu des avis pour le compte du Haut-Commissaire. Il nous semble que cette consultation du Haut-Commissaire par le truchement de la commission nautique soit de nature à purger le défaut de consultation sur le fondement de l’article 29 de la loi de pays sur le domaine public maritime. Si vous nous suivez dans cette analyse, vous serez conduits à considérer que le moyen manque en fait.
Un second moyen de légalité externe est soulevé.
Il est tiré de la violation des dispositions contenues dans l’alinéa 2 de l’article 28 de la loi de pays, selon lesquelles tout changement substantiel d’utilisation des zones du domaine public maritime est préalablement soumis à enquête publique. Les associations requérantes font valoir que le dossier présenté à l’enquête publique précisait que les travaux de pose de l’émissaire ne seraient pas réalisés pendant la période cyclonique. L’article 11.1 de l’arrêté attaqué autorise expressément les travaux pendant cette période, sous réserve de l’élaboration et de la mise en œuvre d’un plan opérationnel détaillé exposant les mesures de prévention et de protection de l’environnement en cas d’alerte cyclonique. Une modification postérieure à l’enquête ne nécessite une nouvelle enquête qu’à la condition de porter atteinte à l’économie générale du projet. (CE16 novembre 1977 Consorts Déprez p 859)
Le changement dont font état les associations ne présente pas un caractère substantiel, dès lors que la modification n’a pas affecté l’économie générale du projet. (CE , 10 juin 1992 Association indépendante pour un réseau de circulation libre et autres req.n 128246).
Ce moyen ne peut qu’être rejeté.
Nous devons maintenant procéder à l’examen des moyens de légalité interne.
La violation des dispositions de l’article 28 de la loi de pays est invoquée. Aux termes de cet article : «Les décisions d’utilisation du domaine public maritime tiennent compte de la vocation des zones concernées et de celles des espaces terrestres avoisinants ainsi que des impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques. »
Il nous semble que ces dispositions sont de nature permissive, dans le droit fil de la jurisprudence (CE Ass 29 mars 1968 Société du lotissement de la plage de Pampelonne GADU p 575).Par cet arrêt, le Conseil d’Etat affirme explicitement son droit de regard par le recours à la notion d’erreur manifeste d’appréciation, à. propos de l’atteinte au caractère des lieux prévue par un POS (CE 8 janvier 1993 Assoc. pour la sauvegarde de l’environnement de la villa d’Alésia ).
Il vous appartient donc, en conséquence, de vous prononcer sur le point de savoir si en autorisant les travaux que nous avons décrits sur les dépendances du domaine public maritime, le président de l’assemblée de la province Sud a commis une erreur manifeste dans l’appréciation de la vocation des zones concernées et de celles des espaces terrestres avoisinants, ainsi que dans l’appréciation des impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques.
Il est tout d’abord soutenu que l’installation de l’émissaire porterait atteinte aux massifs d’aiguilles géothermales qui ont été repérées dans des cuvettes sur les étendues vaseuses du fond de la baie de Prony, qui constituent des zones riches et sensibles car elles rassemblent des organismes vivants mal connus et originaux.
Or, il résulte des pièces versées au dossier que le tracé de l’émissaire proche du littoral, se trouve à plus de 100 mètres de la zone de localisation de ces aiguilles, et qu’aucune concrétion n’est présente dans la zone d’emprise.
Nous vous proposons d’écarter cet argument.
Beaucoup plus délicat, selon nous, est l’argument tiré de l’incompatibilité de l’occupation et des travaux autorisés sur le domaine public maritime avec la procédure d’inscription du lagon calédonien au patrimoine mondial de l’UNESCO. La demande de classement du récif corallien de Nouvelle-Calédonie au patrimoine mondial de l’UNESCO est une procédure majeure pour la préservation de la biodiversité exceptionnelle de ce récif. Nous voudrions, avant de rentrer dans l’analyse des arguments développés, citer un bref passage de l’intervention du professeur Prieur, au colloque « Le droit de l’environnement en Nouvelle-Calédonie, Etat des lieux et perspectives »sur les conséquences juridiques de l’inscription d’un site sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, en application de la convention UNESCO : « La convention est aussi devenue le chien de garde international du patrimoine, témoignant ainsi de sa grande efficacité aussi bien pendant la procédure d’inscription sur la liste qu’après l’inscription. Selon certains commentateurs, le rôle de la convention serait le plus important au moment de l’instruction des dossiers d’inscription sur la liste car elle aurait alors une force d’incitation et de dissuasion face à des menaces réelles pesant sur un patrimoine donné (cas de la médina de Tunis menacée d’être coupée en deux par une avenue et cas du site archéologique de Delphes menacé par une usine de traitement de bauxite) »
Nous examinerons ce moyen en deux temps. :
Tout d’abord en ce qui concerne l’invocation de la violation de stipulations d’une convention internationale, en l’espèce la convention de l’UNESCO, par des particuliers.
Le principe de la primauté des traités ou accords internationaux sur les actes administratifs est reconnu de longue date par la jurisprudence administrative .(CE 30 mai 1952 Dame Kirkwood R 291).Toutefois, pour qu’un particulier puisse se prévaloir, devant le juge, de la primauté des dispositions d’un traité ou d’un accord sur le droit interne, il faut que ces dispositions soient directement applicables en droit interne(CE Sect 29 janvier 1993 Mme Bouilliez R 15).En effet, une personne ne saurait utilement invoquer devant une juridiction nationale la méconnaissance de dispositions internationales dépourvues d’effet direct à l’égard des particuliers (CE 3 juillet 1996 Paturel R 246).On comprend l’absence d’effet direct des conventions de Berne et de Ramsar, relatives, notamment à la conservation de la flore et de la faune sauvage (CE 17 novembre 1995 Union juridique Rhône-Méditerranée R 412, CE 30 décembre 1998 Chambre d’agriculture des Alpes-maritimes R 516, CE 8 décembre 2000 Commune de Breil-sur-Roya).
S’agissant de la convention de l’UNESCO pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, la question a été tranchée par une jurisprudence récente, (CAA Paris 26 septembre 2006 Comité des Quartiers Mouffetard et des bords de Seine req.03PAO1892) La convention de l’UNESCO du 16 décembre 1972 concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel ne crée d’obligation qu’entre les Etats signataires et est dépourvue de tout effet direct à l’égard des particuliers.
A ce premier degré d’analyse ce moyen ne peut qu’être rejeté.
En revanche, à un second degré d’analyse, il vous appartient d’envisager les conséquences juridiques de l’inscription d’un site sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. La reconnaissance internationale d’un site UNESCO implique que ce site ait une « valeur universelle exceptionnelle » (art.11.2 de la Convention), comme « patrimoine mondial de l’humanité. ».Avant même l’inscription sur la liste, l’autorité publique a des obligations générales sur les biens considérés par elle comme ayant une valeur universelle.
L’article 28 de la loi de pays qui impose de prendre en compte la vocation des zones concernées et celle des espaces terrestres avoisinants ainsi que les impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques s’analyse implicitement mais nécessairement comme un instrument juridique national de mise en oeuvre des objectifs de protection et de conservation découlant de la convention UNESCO. En d’autres termes, l’autorité publique qui a formulé la demande de classement du récif corallien de Nouvelle-Calédonie au patrimoine mondial de l’UNESCO, en choisissant ce site, en a reconnu, devant la communauté internationale, l’importance pour la préservation de la biodiversité exceptionnelle de ce récif.
Certes, comme le fait remarquer la Société Goro Nickel, l’examen du dossier présenté à l’UNESCO concernant spécifiquement le Grand Lagon Sud, démontre que la zone d’implantation de l’émissaire de rejet n’est nullement concernée par la demande d’inscription. Cette assertion n’est pas aussi nette, puisque le rapport de l’UCIN au comité national du patrimoine mondial, établi postérieurement au dépôt du dossier de candidature, indique : « L’exclusion de la baie de Prony doit être clairement mentionnée et expliquée ».Cette exclusion de la zone d’implantation de l’ouvrage incriminé de l’espace retenu dans le dossier de candidature n’est pas tranchée avec netteté.
Mais cette question nous paraît secondaire pour l’examen que vous devez conduire. Rappelons-le , et cela découle de nos précédentes analyses, le périmètre retenu n’emporte aucune conséquence juridique directe en droit interne. Mais vous ne pouvez exclure une zone ou miter l’espace du Grand Lagon Sud pour exercer votre contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation de la prise en compte de la vocation des zones concernées et de celles des espaces terrestres avoisinants ainsi que des impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques, lors de l’autorisation d’occupation de dépendances du domaine public maritime sises dans la baie de Prony et dans le canal de la Havannah, ainsi que la réalisation de travaux sur ces dépendances. La procédure d’inscription n’emporte pas d’effet juridique direct, mais elle devient un élément substantiel d’évaluation de la valeur de l’espace considéré qui a vocation à devenir un bien dont la communauté internationale reconnaît la valeur exceptionnelle comme patrimoine mondial de l’humanité. La procédure d’inscription d’un site sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO est autonome par rapport à la procédure d’autorisation d’occupation du domaine public maritime, mais cette autonomie juridique n’exclut pas que le site soit reconnu dans son appartenance potentielle au patrimoine mondial de l’humanité.
C’est en ces termes que se pose le problème selon nous.
Vous écarterez sans difficulté les arguments développés et se rattachant aux conséquences des rejets des effluents de l’usine de traitement de minerais, laquelle est en cours de construction et dont le fonctionnement est subordonné à la délivrance d’une autorisation d’exploiter l’émissaire au titre de la réglementation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) comme l’indique d’ailleurs l’article 4.1 de l’arrêté attaqué. Une argumentation de cette nature se rattache à une autre catégorie juridique qui concerne le contentieux des installations classées. Et les moyens invoqués sur ce fondement deviennent inopérants.
Cela nous permet à présent de nous concentrer sur la problématique de fond.
Vous pourriez considérer qu’eu égard aux caractéristiques de l’occupation domaniale, une zone d’emprise de l’émissaire sur le domaine public maritime de la province Sud, portant sur une superficie de 1282 ha 23 a 59 ca environ, dont 334 ha concernent le polygone du diffuseur de l’effluent, et un émissaire constitué d’une conduite d’une longueur de 25 km, composée d’une section terrestre de 4,2 km et d’une section maritime de 20, 8 km de longueur ancrée par des lests en béton pour garantir le maintien et la stabilité sur le fond, est compatible avec la vocation des zones concernées et de celles des espaces terrestres avoisinants ainsi que dans l’appréciation des impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques, dès lors que ce site est considéré comme ayant une valeur universelle exceptionnelle.
C’est à cette question que vous devez répondre.
La jurisprudence nous donne quelques exemples de projets manifestement surdimensionnés ou inadaptés par rapport au caractère des lieux : ainsi, un immeuble de 20 000 m2 dans un site inscrit, (CE 21 juillet 1989 Féd des assoc.du sud-est pour l’environnement), dix bâtiments totalisant plus de 50 000 m2 dans un parc, (CAA Paris 10 février 1994 SCI Rentilly), musée d’art moderne de Nice, (TA de Nice 10 mai 1991, Monidesipa ).
Mais nous pouvons affiner notre analyse en nous référant à la jurisprudence issue de l’article L.321-5 du code de l’environnement, rédigé en termes identiques à l’article 29 de la loi de pays du 11 janvier 2002. et qui concerne le domaine public maritime. Ainsi, l’arrêté préfectoral autorisant la réalisation sur la plage de constructions non démontables pouvant atteindre 200 mètres carrés est incompatible avec les impératifs de préservation du site.( CE 13 novembre 2002 Cne de Ramatuelle :req n 219034). Les parcelles en cause étaient situées sur la plage de Pampelonne, elle-même située dans la presqu’île de Saint-Tropez, présumées constituer des sites ou paysages remarquables, qui n’étaient pas compatibles avec la réalisation sur la plage de constructions non démontables pouvant atteindre 200 m2, c’est à dire, n’étaient pas compatibles avec les impératifs de préservation du site.
En revanche, n’est pas entaché d’erreur manifeste l’arrêté qui autorise l’installation d’une exploitation de cultures marines sur une superficie de dix ares à proximité d’une section littorale que le plan d’occupation des sols réserve aux activités nautiques et balnéaires, cette installation n’étant pas susceptible d’engendrer des inconvénients, notamment en ce qui concerne la qualité des eaux, de nature à faire obstacle à l’utilisation de la zone littorale telle que prévue par les dispositions du POS (CE 21 juin 1996 Sarl Aquamed :req 136044 et 137008).
Mais les portions du domaine public maritime concerné sont présumées constituer un paysage remarquable ou caractéristique du patrimoine naturel et culturel du littoral, nécessaires au maintien des équilibres biologiques ou qui présentent un intérêt écologique, dans la mesure où ils ont fait l’objet d’une procédure de classement ou d’inscription prévue par la loi du 2 mai 1930.
Seulement voilà, le site dont s’agit, qui est fondamental pour la préservation de la biodiversité exceptionnelle de ce récif, ne fait l’objet, à l’heure actuelle, d’aucune protection juridique, en dehors de la réserve spéciale de Prony et de la réserve Merlet qui ne sont pas concernées par l’implantation litigieuse, et la procédure d’inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, ne confère, en elle-même, à ce stade de la procédure, comme nous l’avons démontré, aucun statut juridique, à la portion du domaine public maritime considéré. La reconnaissance internationale du lagon comme étant un bien d’une valeur universelle exceptionnelle susceptible d’ appartenir au patrimoine mondial de l’humanité, au sens de la convention de l’UNESCO, et la prise en compte de cette valeur dans l’élaboration de la décision publique ne relève pas, alors même que l’inscription serait acquise, en l’absence d’une traduction en droit interne de cette norme internationale, d’une contrainte juridique, mais d’ exigences éthiques qui relèvent de votre contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation .
Comme le souligne François Cheng, dans ses Cinq méditations sur la beauté :« Il faut bien que les humains fassent quelque chose de cette beauté que la Nature leur offre ».
L’ouvrage installé sur le domaine public maritime sera, pour l’essentiel, sous-marin, l’impact visuel sera donc très faible. La vraie question sera celle des rejets, mais, comme nous l’avons exposé, cette problématique relève d’un autre débat juridique.
L’autorisation d’occupation du domaine public maritime n’est pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation des impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques.