Le projet d’ordonnance portant adaptation de l’état d’urgence sanitaire à la Nouvelle-Calédonie


Ce projet d’ordonnance portant adaptation de l’état d’urgence sanitaire aux collectivités d’Outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution et à la Nouvelle-Calédonie demeurera représentatif de la période exceptionnelle de l’état d’urgence sanitaire, qui bouleverse le droit, mais aussi l’État de droit.

La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid19 a instauré sur l’ensemble du territoire national un état d’urgence sanitaire à compter du 24 mars 2020.

En application du nouvel article L 3131-12 du Code de la santé publique introduit par la loi du 23 mars 2020, « l’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle- Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ».

Dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est officiellement déclaré, le Premier ministre peut prendre par décret, aux seules fins de garantir la santé publique, un certain nombre de mesures dont la plupart restreignent les libertés publiques, dont le trop célèbre confinement. L’article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 sur le confinement a été rendu expressément applicable en Nouvelle-Calédonie, par son article 14. Cela signifie que la mesure de confinement s’y applique directement sans autre formalité depuis le 24 mars 2020. La France étant « en guerre », difficile que la Calédonie n’y soit pas…

Le décret n° 2020-432 du 16 avril 2020 l’a ainsi complété : « Le représentant de l’État dans le département est habilité à adopter des mesures plus restrictives en matière de trajets et déplacements des personnes lorsque les circonstances locales l’exigent. Toutefois, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, le représentant de l’État est habilité à prendre des mesures d’interdiction proportionnées à l’importance du risque de contamination en fonctions des circonstances locales, après avis de l’autorité compétente en matière sanitaire, notamment en les limitant à certaines parties du territoire ».

Or ce simple décret du Premier ministre pose la question du respect des compétences de la Nouvelle-Calédonie.

C’est la raison pour laquelle un arrêté conjoint n° 2020-4608 a été signé le 23 mars 2020 par le Haut-commissaire et le président du gouvernement, instrument unique dans lequel on retrouve les atteintes, fortes et très réelles, aux libertés publiques élémentaires et les mesures sanitaires. Il avait l’avantage de cacher la poussière sous le tapis.

Pour faire simple, la loi organique confie au pays la compétence de la « protection sociale, hygiène publique et santé et contrôle sanitaire aux frontières » (article 22-4° de la loi organique), alors que l’État est compétent pour « la garantie des libertés publiques » (article 21 I 1° de la loi organique), ainsi que pour « la desserte maritime et aérienne entre la Nouvelle-Calédonie et les autres points du territoire de la République » (article 21 I 6° de la loi organique), c’est-à-dire la continuité territoriale qui limite sa compétence localement à la France, Wallis-Et-Futuna et la Polynésie, mais pas aux autres vols internationaux.

Le projet d’ordonnance portant adaptation de l’état d’urgence sanitaire aux collectivités d’Outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution et à la Nouvelle-Calédonie vise aujourd’hui à permettre au Haut-commissaire de reprendre la main et d’exercer l’essentiel des compétences du pays, qui deviennent simplement consultatives.

L’article 4 du projet d’ordonnance introduit un nouvel article L. 3841-2 du Code de la santé publique qui précise que : « Dans les champs de compétence de l’État, le Haut-commissaire de la République est habilité à décider, au regard des circonstances locales, par arrêté motivé, et après consultation du président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, compétent en matière de santé publique, de l’applicabilité, en Nouvelle-Calédonie des mesures prises par le Premier ministre et le ministre de la santé au titre des articles L. 3131-15 et L. 3131-16, assorties des adaptations nécessaires s’il y a lieu ». La réserve des « compétences de l’État » paraît bien fragile. C’est à la Nouvelle-Calédonie qu’il revient de prendre les mesures nécessaires à la protection de la population du pays à la frontière à Tontouta, au titre du « contrôle sanitaire aux frontières ». C’est bien à la Nouvelle-Calédonie qu’il revient d’ordonner les mesures individuelles de quarantaine au titre de sa compétence « santé », et bien d’autres mesures encore, pourtant énumérées dans l’article L. 3131-15 du Code de la santé publique.

Ces compétences santé ou de contrôle sanitaire aux frontières sont exclusives à la Nouvelle-Calédonie et ne se partagent pas, comme l’indique leur mention à l’article 22 de la loi organique. Prétendre que la compétence sanitaire de l’État découle implicitement de sa compétence sur la desserte aérienne entre tous les points du territoire national aboutit à une divisibilité des compétences exclusives de la Nouvelle-Calédonie et à leur rétrocession pratique à l’État. Cette interprétation empêche la Nouvelle-Calédonie d’exercer une politique sanitaire globale de protection des populations.
Pour rappeler l’originalité de la construction constitutionnelle du pays, l’Accord de Nouméa, qui a été constitutionnalisé, prévoit à son point 5 l’irréversibilité du transfert des compétences à la Nouvelle-Calédonie : « Tant que les consultations n’auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l’organisation politique mise en place par l’accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d’évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette « irréversibilité » étant constitutionnellement garantie ». Le principe d’irréversibilité a une fonction politique majeure, elle-même dérivée de la versatilité des politiques françaises menées envers la Nouvelle-Calédonie. Cette fonction politique est de garantir la paix civile, quand la consultation est une garantie du principe démocratique de l’acquiescement des populations intéressées. Si les deux parties savent que rien d’essentiel ne bougera, alors ils éviteront le conflit ouvert. Ni la loi organique, ni la loi, ni une simple ordonnance ne peuvent porter atteinte à cette disposition constitutionnelle, état d’urgence ou pas. Ce texte paraît illégal.

On comprend alors que cette atteinte aux compétences du pays ait suscité une légitime émotion lors de la consultation de la Commission permanente du Congrès, formation du Congrès qui se réunit en dehors des sessions. Signalons que le président du gouvernement est également perçu par ses collègues du gouvernement collégial comme celui qui doit prioritairement défendre le pays et le libre exercice de ses compétences. Par un avis rendu le 21 avril 2020, les élus à la Commission permanente ont demandé le maintien du principe de l’arrêté conjoint, à titre de compromis ; le groupe UNI a toutefois considéré que ce n’était pas assez protecteur des compétences de la Nouvelle-Calédonie et il a émis un avis particulier demandant à ce que chacun exerce séparément ses propres compétences. Ces deux avis sont joints ci-dessous.

On comprend la grande inquiétude qui a saisi les élus indépendantistes et, dès lors, la multiplication des communiqués en tous sens. Si l’État peut, avec autant de facilité, revenir sur l’irréversibilité constitutionnelle des compétences de la Nouvelle-Calédonie à l’occasion d’une crise sanitaire, qu’en sera-t-il demain après les consultations, après le Oui ou après le Non ? L’émotion qui a saisi les coutumiers, les membres indépendantistes du gouvernement comme nombre de Calédoniens à l’occasion de l’annonce des vols de rotations militaires, dont le confinement serait géré par le seul État, dans des conditions dérogatoires aux mesures patiemment prises par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, pour faire du pays un territoire non contaminé, est de nature à susciter également une profonde méfiance. Cette affaire du confinement, outre ses conséquences économiques très lourdes, aura ainsi de nombreux prolongements politiques.

Vous trouverez l’avis de la Commission permanente du Congrès du 21 avril 2020 et l’avis particulier du groupe UNI ici : Avis + opinion du groupe UNI

Finalement, l’ordonnance a été publiée sous le n° 2020-463, signée le 22 avril, soit le lendemain de la commission permanente du Congrès, et a été publiée au JORF du 23 avril 2020. L’État a décidé de ne pas tenir compte de l’avis de la Nouvelle-Calédonie et l’ordonnance confie l’exercice des compétences sanitaires de la Nouvelle-Calédonie au Haut-commissaire de la République pendant l’état d’urgence sanitaire. Il pourra ainsi seul, à la place du président du gouvernement,  décider des mesures de confinement individuel à l’arrivée à Tontouta, et signer les arrêtés, sans avoir pourtant la direction hiérarchique sur les services de santé de la Nouvelle-Calédonie qui les préparent (art. 2 I. de l’ordonnance). Cette situation surprenante au regard de l’irréversibilité des compétences du pays l’est également au regard du financement. C’est la Nouvelle-Calédonie qui finance aujourd’hui les mesures sanitaires, l’État limitant son aide à un prêt garanti, alors que ces mesures sont dorénavant décidées souverainement par ce même État…

Vous trouverez le texte de l’ordonnance publiée ici : Ordonnance 463 du 22.04.2020

Mathias Chauchat, professeur de droit public, à l’Université de la Nouvelle-Calédonie