Gouaro Deva au TANC
La SAS GOUARO DEVA , rejointe par le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, sur le fondement de l’article 204 de la loi organique, vous demandent d’annuler la délibération du 26 février 2009 par laquelle l’assemblée de la province Sud a retiré la délibération du 18 décembre 2003 relative à la vente de diverses parcelles dépendant de la propriété provinciale de Gouaro Déva, sur le territoire de la commune de Bourail.
Le fond du présent litige porte, d’une part, sur le point de savoir à partir de quel moment commence à courir le délai de quatre mois avant l’expiration duquel il est possible de retirer une décision réactivée après une annulation d’un jugement de première instance, dans l’hypothèse où elle serait illégale mais créatrice de droits, nous vérifierons ensuite si cette délibération est créatrice de droits.
Nous donnerons tout d’abord la teneur de la délibération qui a fait l’objet d’un retrait. de manière à éclairer les points essentiels du raisonnement que nous allons conduire.
Par cette délibération, la province Sud a été autorisée à vendre des parcelles du lot n°11 de Déva dans les conditions suivantes :
-335 hectares environ à la SAS Foncière de Nouvelle-Calédonie pour le prix de cent dix millions de francs (110 000 000 de francs) en vue de la réalisation d’un projet touristique, 7300 hectares environ, à la SAS Gouaro Déva pour le prix de six cent soixante dix millions (670 000 000) de francs en vue de la réalisation d’un projet agropastoral.
Le projet touristique et le projet agropastoral forment le noyau dur de la négociation, et constituent ainsi des modalités substantielles de la négociation. Les conditions relatives à ces opérations seront fixées par les actes particuliers que le président est appelé à signer.
Voilà le contenu de la délibération, il vous appartient maintenant de vous prononcer sur la légalité de son retrait.
Pour ce faire, nous allons tout d’abord présenter le cadre contentieux dans lequel s’inscrit cette affaire.
La délibération en date du 18 décembre 2003 a été annulée par votre Tribunal, pour le motif que ces prix étaient notablement inférieurs aux valeurs réelles des biens et qu’il n’existait pas de contrepartie en faveur de la collectivité qui serait de nature à les justifier. En raisonnant ainsi, vous vous placiez résolument sur le terrain de l’interventionnisme économique local, la notion de contrepartie en compensation d’une minoration du prix étant un décalque de la jurisprudence en la matière, voir Commune de Fougerolles. Dans des conclusions ultérieures, nous avons considéré que nous n’étions pas dans l’hypothèse de l’interventionnisme local, mais que ces mesures étaient de simples aménagements de la négociation.
Les requérants ont formé appel.
La Cour administrative d’appel de Paris, dans un arrêt en date du 18 décembre 2008, a, au contraire, considéré qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier, alors d’une part que l’ensemble du domaine de Gouaro Déva, y compris donc la bande côtière, d’une valeur à l’hectare nécessairement supérieurs à la moyenne, dont la vente à la société Foncière de Calédonie, était par ailleurs prévue pour la réalisation d’un projet touristique, avait été acquis par la province en 1992 au prix de 325 millions de francs CFP et d’autre part que, ce qui n’est pas contesté, le domaine en cause mis en vente depuis 1999 n’avait pas trouvé acquéreur, que le prix de 670 millions de franc CFP pour la partie du domaine dont la vente à la SOCIETE GOUARO DEVA aurait été manifestement inférieur à ce qu’à la date de cette délibération la province pouvait raisonnablement espérer retirer de cette vente.
La Cour procède ensuite à une analyse méthodique des arguments sur lesquels elle se place pour fonder son appréciation et pour estimer la valeur de ce bien.
-les prix auxquels se référaient les demandeurs et sur lesquels s’est fondé le tribunal, étaient relatifs à des transactions, portant sur des parcelles de dimensions réduites, qui révélaient des prix à l’hectare variant dans des proportions considérables et parfois inférieures au prix litigieux, que ces prix ne pouvaient pas être directement utilisés pour apprécier la valeur d’un domaine de 7 300 hectares de terrains variés pour lequel il n’existait aucune référence sur le marché foncier de la Nouvelle-Calédonie dés lors qu’avait été fait le choix de ne pas le morceler.
-les contraintes pesant sur l’acquéreur à raison d’un projet « agro-pastoral » qui nécessitait la prise en charge de travaux notamment hydrauliques, alors que les seuls avantages en retour étaient constitués par l’exploitation d’une carrière de sable.
La substance de cette jurisprudence était donc de considérer que les prix n’étaient pas manifestement inférieurs au marché contrairement à ce que votre tribunal avait jugé. La propriété en cause n’a pas été cédée à vil prix.
De cela il résulte que la délibération de l’assemblée de la province Sud du 18 décembre 2003 en tant qu’elle autorisait que fût cédée à la SOCIETE GOUARO DEVA la parcelle en cause, c’est à dire la parcelle de 7300 hectares pour le prix de six cent soixante dix millions de francs en vue de la réalisation d’un grand projet agropastoral reprenait toute sa force juridique.
Vous le comprenez aisément, ce « lazare juridique », pour reprendre l’expression d’un auteur, contrariait quelque peu les nouvelles situations juridiques crées postérieurement à votre annulation contentieuse. L’assemblée de la province Sud, sous la nouvelle présidence, et du fait de cette annulation contentieuse, a tiré toutes les conséquences de ce qu’elle n’était plus liée par la délibération du 18 décembre 2003, et qu’elle pouvait renoncer à ce projet agropastoral, les parcelles en cause étant maintenues dans son domaine privé.
C’est dans cette optique qu’un vaste programme d’aménagement du territoire, -complexe hôtelier, projet de mise en valeur touristique et écologique- respectueux du contexte cotumier, qui n’emportait pas la disposition des parcelles, mais qui s’analysait comme la simple gestion patrimoniale de celles-ci dans le cadre du pouvoir « managérial » du domaine provincial par le président de la province, selon l’expression que nous avons déjà utilisée à l’occasion d’autres dossiers se rattachant à cette problématique.
Le temps administratif, qui est celui de l’action, ne recoupe pas nécessairement le temps juridictionnel qui implique une nécessaire maturation. Pour réconcilier ces deux durées, et neutraliser le temps perdu en le régularisant l’assemblée de la province Sud, par une délibération en date du 26 février 2009, a retiré la délibération du 18 décembre 2003 relative à la vente de diverses parcelles dépendant de la propriété provinciale de Gouaro Déva, sise commune de Bourail de manière à ce que cette délibération ne vienne pas chambouler tout l’édifice administratif et juridique construit après votre jugement, pour mettre en valeur ce site exceptionnel, d’une grande valeur écologique et patrimoniale. En effet, cette délibération, sortie du néant, par l’effet de l’annulation contentieuse, ne devait plus perturber le nouvel ordre juridique découlant des nouvelles délibérations, qui ont fait l’objet d’un examen approfondi à la faveur de nos précédentes conclusions.
A ce stade du raisonnement, vous pourriez considérer que le retrait l’arrêt de la cour d’appel annulant votre jugement est sans incidence sur le déclenchement du délai de quatre mois au delà duquel il n’est plus possible à l’administration de retirer une décision créatrice de droits, si elle est illégale. Cette inclination de votre pensée pourrait vous être suggérée par la jurisprudence Ternon qui a eu pour effet de découpler le régime juridique du recours contentieux et celui du retrait, alors que ce parallélisme entre les deux voies de sorties d’un acte de l’ordonnancement juridique, annulation et retrait, était assuré avant l’intervention de cette jurisprudence. Nous allons nous appuyer sur une construction jurisprudentielle innovante pour tenter de renouer, ne fût-ce que sur un point très ténu, avec le parallélisme retrait annulation, ce qui vous conduirait à admettre que le retrait a été opéré à l’intérieur du délai critique de quatre mois.
L’arrêt (CE 3 juillet 1998 EARL Matrey) dispose que le jugement d’annulation fait courir de nouveau le délai de recours à l’encontre de la décision ramenée à l’existence. Si la décision est illégale, elle peut être retirée alors même qu’elle est créatrice de droits. Mais cette jurisprudence est née dans des circonstances très précises, à savoir lorsque l’acte de retrait fait lui même l’objet d’une annulation juridictionnelle. Il a été jugé que la notification du jugement d’annulation fait partir un nouveau délai de repentir pour l’administration.
Notre collègue Berthoud, dans une note publiée sous l’arrêt (CAA de Lyon du 11 janvier 1999), considère que cette jurisprudence était transposable sans grande difficulté au cas où la décision initiale revit à la suite de l’annulation contentieuse non pas d’une décision de retrait intervenue soit spontanément, soit à la suite d’un recours gracieux, mais d’une décision d’annulation prononcée par le ministre compétent sur recours hiérarchique.
Il nous semble que cette jurisprudence puisse être transposée cette fois au cas de l’annulation d’un jugement, pour ouvrir un nouveau délai de grâce à l’administration et retirer la décision dans le délai de quatre mois qui suit la notification de l’arrêt. Nous considérons que le principe de sécurité juridique, qui est au cœur de la jurisprudence Ternon, ne serait pas affecté par cet effort de créativité jurisprudentielle.En effet, la réactivation du délai originel de vulnérabilité de la décision, pendant une période de quatre mois, après l’étape juridictionnelle qui a pour eu pour effet de l’exhumer de son néant juridique, offre une seconde chance de purger les vices qui peuvent l’entacher, mais cela dans un délai opérationnel qui reste très court. Il est vrai, et nous avons conscience de ce point, s’il est de bonne manière pour l’administration de détecter l’illégalité d’un acte qu’elle prend, et de procéder à son retrait, il lui était loisible de procéder à cette détection et au retrait dans le délai de quatre mois initial. On comprend mal que plusieurs années après l’édiction de son acte, l’administration découvre, enfin, l’illégalité qui le frappait ab initio. Toutefois, l’idée de la seconde chance, l’intérêt qu’il y a à la purification de l’ordre juridique, sans méconnaître le principe de sécurité juridique, nous semble autoriser l’extension jurisprudentielle que vous nous avez proposée.
Si vous nous suivez dans notre raisonnement il faudrait alors passer à l’étape suivante cde notre examen.
Dans cette voie, il vous appartient donc de trancher maintenant la question de la légalité de la délibération de 2003, dont nous vous avons donné la teneur il y a quelques instants.
Certes, cette question peut d’abord être examinée par défaut. La délibération n’était pas illégale en tant que la cession, contrairement à ce que votre tribunal avait jugé, n’avait pas été consentie à vil prix. Ce qui ne signifie pas, compte tenu de la technique contentieuse de l’économie des moyens, qu’il n’y avait pas d’autres moyens d’annulation possible. L’arrêt de la Cour d’Appel ne constitue un « blanc seing » en matière de légalité de l’acte.
Voyons les motifs d’illégalité invoqués par la province Sud. Nous en retiendrons un.
La délibération de 2003 disposait en son article 2 : « Les conditions particulières relatives à ces opérations seront fixées par actes particuliers que le président est habilité à signer. » Le président pouvait bien décider de la conclusion du bail, en fixer les conditions, durée, les obligations du preneur, mais seule l’assemblée était compétente pour fixer les conditions financières, en application de l’article 16 de la délibération du 11 juillet 1990, relative à l’administration des intérêts patrimoniaux et domaniaux de la Province Sud. De plus, comme nous l’avons déjà souligné, les opérations en cause concernent la réalisation d’un projet touristique et d’un projet agropastoral, qui forment un bloc insécable avec la négociation sur le prix. Nous reprenons à rebours notre argumentation développée dans les affaires précédentes. Il s’agissait en l’espèce de mesures de gestion, le président était plénipotentiaire, sous réserve d’une délibération de principe de cadrage. Ici, il s’agit de mesures de disposition, puisqu’il y a aliénation des parcelles en cause, l’assemblée est plénipotentiaire, sous réserve d’une délégation minimaliste au président de simples mesures d’exécution, se développant d’ailleurs dans le champ de la contractualisation, ressortissant au domaine du droit privé.
En matière de disposition du domaine, l’assemblée dispose d’une compétence générale alors que le président dispose d’une compétence d’attribution. La disposition du domaine fait partie intégrante de la démocratie locale, alors que la gestion se rattache au management personnalisé du président. Cette règle du partage de compétence a été méconnue en l’espèce..
Si vous nous suivez dans les arborescences du raisonnement, alors vous admettrez que le retrait opéré à l’intérieur du délai de quatre mois à compter de la décision de la Cour, dés lors que la décision était illégale et dans la mesure où elle serait créatrice de droits, ce retrait est légal.
Mais il faut que cette décision soit créatrice de droits, ce que nous ne pensons pas, comme nous allons tenter de le démontrer maintenant. Pour ce faire nous vous proposerons un condensé jurisprudentiel éclairant. Sont créatrices de droits les délibérations d’un conseil municipal décidant de vendre un terrain à un particulier ou à une société civile immobilière (CE 8 janvier 1982, Epx Hostelter, tables p 498) ( CE 16 décembre 1988 SCI Paule c/Ville de Pontarlier, Rec 1988, tables p 609 ).
En revanche les décisions assorties d’une condition, suspensive ou résolutoire, explicite ou même implicite, sont créatrices de droits mais uniquement dans la mesure où la condition, fixée par l’acte lui même ou par le texte le régissant, est satisfaite. Si cette dernière n’est pas remplie, l’acte peut faire l’objet d’un retrait total ou partiel. Le Conseil d’Etat a jugé que toute décision assortie d’une condition qui ne serait pas réalisée n’est pas de nature à créer un droit au profit de ceux qu’elle intéresse : elle peut donc être rapportée même après l’expiration du délai de recours (consorts Cadamuro). La délibération se présente sur un champ minimal, se rapportant à deux projets de développement économique dont les modalités seront fixées dans le cadre contractuel de la négociation. Il nous semble que les droits, à supposer qu’ils existent, sont tout entiers contenus dans le champ de la négociation privatiste. La condition dont va découler le champ opérationnel de la délibération est précisément l’accord contractuel à venir, après l’acte administratif, qui, en lui même ne génère pas de droits, puisque le principe même du transfert de propriété peut être remis en cause si les parties ne se mettaient pas d’accord sur la consistance de deux vastes projets d’aménagement du territoire. La délibération, en tant qu’elle contient une très forte densité d’éléments conditionnels ne sauraient créer des droits. Comme nous l’avons déjà exposé les deux grands projets d’aménagement du territoire font partie du noyau de l’acte de disposition. Ils conditionnent d’une certaine manière, le transfert de propriété. Il y a une identité substantielle entre le transfert de propriété et les conditions de réalisation des deux grands projets. Nous inclinons à penser que la délibération est essentiellement conditionnelle, c’est à dire que la naissance de droits est subordonné à la réalisation de conditions et que, par voie de conséquence, elle n’est pas créatrice de droits.
Si vous nous suiviez dans notre raisonnement tous les doutes qui pouvaient vous envahir au stade des étapes antérieures de la progression de notre réflexion seraient dissipés, l’acte n’étant pas créateur de droits, il peut être retiré à tout moment.
PCMNC au rejet.