La Calédonie et l’€ : le débat


19-03-2010
Par Admin Admin

Le débat sur l’introduction de l’Euro a été relancé par le vœu d’auto saisine du Conseil économique et social en date du 5 mars 2010.

Ce vœu peut être téléchargé à l’adresse suivante :

http://www.ces.nc/portal/page/portal/ces/avis_voeux_ces

 

Le débat sur l’introduction de l’€ est hypocrite :

Ce débat trace d’abord une ligne de clivage entre indépendantistes et non indépendantistes. Il préempte le débat politique sur l’usage des compétences souveraines à l’issue de l’Accord de Nouméa. Suivant cet Accord, la justice, l’ordre public, la défense et la monnaie ainsi que le crédit et les changes, et les affaires étrangères, resteront de la compétence de l’Etat jusqu’à la nouvelle organisation politique résultant de la consultation des populations intéressées, jusque 3 fois successivement de 2014 à 2018.

Ce débat donne ensuite l’illusion que la France est souveraine sur cette question. L’admission de la Nouvelle-Calédonie dans la zone euro ne pourra en aucune façon résulter d’une décision unilatérale de la France, comme pourrait le suggérer une lecture au 1er degré du protocole sur la France annexé au traité de Maastricht suivant lequel « la France conservera le privilège d’émettre des monnaies dans ses territoires d’outre-mer selon les modalités établies par sa législation nationale, et elle sera seule habilitée à déterminer la parité du franc CFP ». L’introduction de l’€ à Mayotte et Saint-Pierre et Miquelon a nécessité une décision à la majorité qualifiée du Conseil européen du 31 décembre 1998, après avis de la BCE. Un avis du Conseil d’Etat du 30 novembre 1999 avait déjà enfoncé le clou : « Un Etat membre ne peut en effet procéder unilatéralement à une extension, fût-elle partielle, du traité. La modification du champ d’application géographique d’un accord constitue une révision de cet accord… ». 

Ce débat tranche ensuite une discussion économique, sans que les arguments n’aient été débattus. Les partisans de l’euro ont des motivations inavouables : sécuriser leur patrimoine dans la perspective d’une dévaluation. Quand on est propriétaire d’une entreprise qui pèse 2 milliards de FCFP, et qu’on souhaite la vendre, quand on est investisseur métropolitain ou promoteur en défiscalisation et qu’on souhaite faire une plus-value, on préfère que l’€ empêche un changement de parité qui pourrait, comme avec le CFA africain, transformer 2 milliards en 1 milliard… Ceux qui sont contre veulent à l’opposé garder ouverte la possibilité de modifier cette parité, c’est-à-dire de dévaluer, ce dont il est impossible de parler, sauf à provoquer une fuite immédiate devant la monnaie.

L’entrée dans l’euro signifierait la fin de la possibilité de dévaluer, mais également que les déséquilibres et les ajustements dans les relations entre le pays et les autres pays de la zone euro seraient pris en charge, par définition, par d’autres voies que par le taux de change : par les transferts publics, ce qui est déjà le cas, par la fiscalité et la politique douanière, éventuellement par les politiques de l’emploi et des salaires, etc. Il est difficile de prétendre gagner sur tous les tableaux à la fois…

Or , il existe une politique économique alternative indépendantiste, qui a été formulée dans les années 1980, et qui peut être brutalement résumée sous le triptyque : industrialisation, désindexation, dévaluation. Elle n’est ni parfaite, ni tout à fait abandonnée : l’industrialisation se réalise. La désindexation voit ses premières alertes avec la fin du flux des retraités, même si le stock a été préservé. La dévaluation n’a pas été testée, même si le lien du FCFP, du Franc français à l’Euro, a été fait sur un arrondi… dévalué. Tous les économistes s’accordent à dire que le FCFP est surévalué, ce qui à la fois encourage l’importation (« l’économie de comptoir ») et tue tout développement touristique. Une dévaluation, unique et contrôlée, annonce, certes, un plan de rigueur, mais plus doux pour la population. Elle permet la baisse des prix relatifs, la relance de la production et l’envol du tourisme.

L’argument le plus souvent avancé pour le passage à l’Euro et qui semble avoir été déterminant en Polynésie est que l’€ défend le pouvoir d’achat des pauvres. On peut importer plus de biens alimentaires avec une monnaie forte. Mais on se situe dans une simple perspective d’économie d’assistance. Au contraire, afficher une parité raisonnable et soutenable est se situer dans une économie d’émancipation et de développement. Mieux vaut des emplois et du travail que des biens importés. Les Polynésiens, dont le tourisme est la seconde ressource après les transferts de la France, devraient y songer.

La double circulation monétaire, comme suggéré par le CES, ne se fera pas

Cette proposition est un choix de l’Euro présenté comme un non choix. La mauvaise monnaie chasse la bonne. En réalité le FCFP se résumera vite à être la monnaie des Kanak et des épiciers, tandis que l’Euro deviendrait la monnaie des banques et des entreprises. Il est d’ailleurs très difficile d’emprunter aujourd’hui en FCFP. Il faudra certainement veiller, lors d’une éventuelle dévaluation, qu’une part de la dette individuelle de chaque Calédonien, peut-être d’un ordre de grandeur de 20 MFCFP,  lui soit garantie par sa banque lorsqu’elle a inséré au contrat une clause scélérate qui la couvre de tout risque de change. Il est par ailleurs extrêmement peu probable que l’Union européenne se satisfasse d’un tel dispositif.

Quel serait en définitive le mérite de l’€ ?

A l’issue de l’Accord de Nouméa, il faudra, au-delà de la simple irréversibilité constitutionnelle de l’Accord, faire un pas de plus. Ce quelque chose en plus sera peut-être l’Etat associé, la Calédonie passant du titre XIII de la Constitution au titre XIV qui stipule à l’article 88 : « La République peut conclure des accords avec des États qui désirent s’associer à elle pour développer leurs civilisations ». Cette Calédonie décidera peut-être librement de partager sa souveraineté monétaire. Ce serait le moment, sur la base d’un changement de parité, de passer à l’Euro. Le véritable mérite de l’Euro, serait alors d’éviter toute fuite devant la monnaie et d’empêcher de manière irréversible une nouvelle dévaluation.