L’impact de la modification du corps électoral provincial en Nouvelle-Calédonie
Ce court article de Sylvain Brouard, directeur de recherche à Sciences-po au CEVIPOF, tente d’appréhender l’effet de la loi constitutionnelle sur le « dégel » du corps électoral citoyen calédonien. On rappellera ici les termes du débat : l’accord de Nouméa est un accord de décolonisation. Si on arrête la colonisation, on arrête le peuplement français ou on en neutralise les effets conformément aux résolutions de l’ONU. C’est pourquoi les personnes installées en Nouvelle-Calédonie après le 8 novembre 1998 n’ont pas le droit de vote y compris leurs enfants natifs. Si les indépendantistes acceptent l’inscription des natifs, même sans parents citoyens, ils refusent de légitimer une nouvelle colonie de peuplement.
Le Gouvernement français propose dans le projet de loi constitutionnelle l’ouverture du corps électoral aux natifs du pays, sans durée de résidence, ainsi qu’aux résidents installés en Nouvelle-Calédonie depuis plus de 10 ans. Ce corps est glissant de manière indéfinie, c’est-à-dire qu’il a vocation à s’appliquer à des personnes qui ne résident pas encore en Nouvelle-Calédonie.
Comme il s’agit d’une loi constitutionnelle, les règles classiques d’adoption de la loi ne s’appliquent pas et le gouvernement s’est dispensé de publier une étude d’impact qui aurait pu donner des éléments objectifs d’appréciation.
Sylvain Brouard cite comme une solution possible pour améliorer la transparence des listes électorales en Nouvelle-Calédonie, la nécessaire connexion des communes calédoniennes au répertoire unique. Cette connexion permettrait de vérifier la réalité des départs de prétendus résidents calédoniens dont le nombre a permis en France, comme en Nouvelle-Calédonie, de justifier de la nécessité et de l’urgence d’une réforme au niveau des seuls principes de la démocratie et du nombre, sans tenir compte des nécessités de la décolonisation qui impose de définir les « populations intéressées ».
L’inscription des populations au répertoire national d’immatriculation des personnes physiques (RNIPP) pose des questions tout à fait originales en Nouvelle-Calédonie. Le numéro était à l’origine le numéro de sécurité sociale de tout Français, puis avec l’informatisation croissante de la société, il s’est transformé de proche en proche en numéro national. C’est ainsi que les Français peuvent se connecter à France-Connect.
La Nouvelle-Calédonie dispose de sa propre protection sociale avec la CAFAT, fondée en 1958 et les Calédoniens n’ont pas de numéro national, mais un numéro CAFAT. Les Kanak ont un état-civil de droit particulier local, devenu le statut coutumier. De plus, il existe ici un établissement territorial de la statistique, l’ISEE. Le transfert du droit civil est acté par la loi du pays n° 2012-2 du 20 janvier 2012 au 1e juillet 2013. L’État a ainsi perdu toute compétence pour intervenir.
C’est pourquoi le point 5.4. du document dit martyr de l’État français (Bastille-Darmanin) disposait : « en l’absence d’intégration de la Nouvelle-Calédonie au répertoire national d’identification, des personnes physiques (RNIPP) dans un délai de 18 mois à compter de la signature, du présent accord, la compétence de droit civil sera transféré à l’État ». Ultérieurement, dans ses versions modifiées, la formule est devenue au point 3.3. : « la Nouvelle-Calédonie dispose d’un numéro national d’identification des personnes physiques attribués par l’institut national de la statistique et des études économiques ».
Les partis indépendantistes voient dans cette immatriculation de tous les Calédoniens au répertoire national, une réintégration hypocrite dans la nationalité française et le transfert à Paris à l’INSEE de la gestion des états-civils du statut civiliste et du statut coutumier qui sont actuellement tenus par la direction de la gestion et de la réglementation des affaires coutumière (DGRAC) pour le statut coutumier et par la direction des affaires juridiques (DAJ) pour le statut civiliste des personnes. Sans doute faudra-t-il ici aussi une solution originale qui permettrait de concilier les inconciliables.
Ce commentaire est de Mathias Chauchat, professeur de droit public
Vous trouverez ici l’article de Sylvain Brouard à télécharger : SB_impactmodificationcorpselectoral_mai2024_VF2