Un référendum sur le nom du pays ?


22-08-2012
Par Admin Admin

Harold Martin, président du gouvernement et président de l’Avenir ensemble, a proposé le 17 août 2012 un référendum sur le nom du pays. Cette proposition paraît faussement naïve en demandant à ce que les Calédoniens bénéficient du droit au référendum d’initiative locale ouvert depuis 2003 à tous les citoyens de France et d’Outre-mer par l’article 72-1 du titre XII de la Constitution, et qui n’est justement pas applicable à la Nouvelle-Calédonie qui relève du titre XIII : « Dans les conditions prévues par la loi organique, les projets de délibération ou d’acte relevant de la compétence d’une collectivité territoriale peuvent, à son initiative, être soumis, par la voie du référendum, à la décision des électeurs de cette collectivité ». La proposition fait l’impasse sur la définition du corps électoral calédonien appelé à se prononcer sur la question, comme sur sa compatibilité avec l’Accord de Nouméa.

La proposition fait suite à la polémique, un peu artificielle, sur les propos du ministre des Outre-mers. « Les membres de ce gouvernement s’intéressent à l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, de la Kanaky ». La phrase est de Victorin Lurel, ministre en charge des Outre-mers. Il l’avait prononcée le 30 juillet 2012, à l’issue d’un entretien avec le président de la province Nord, Paul Néaoutyine. Rien que de très banal. « On dit Nouvelle-Calédonie, mais c’est connoté. Je dis ça pour respecter toutes les parties. Pas de volonté de choquer, juste une volonté d’équilibre », avait indiqué Victorin Lurel.

Le point 1.5 de l’Accord de Nouméa, qui s’intitule lui-même « les symboles », les détaille ainsi : « Des signes identitaires du pays, nom, drapeau, hymne, devise, graphismes des billets de banque devront être recherchés en commun pour exprimer l’identité kanak et le futur partagé entre tous. La loi constitutionnelle sur la Nouvelle-Calédonie prévoira la possibilité de changer ce nom, par loi du pays adoptée à la majorité qualifiée. Une mention du nom du pays pourra être apposée sur les documents d’identité, comme signe de citoyenneté ». Il est repris, à l’exception du tout dernier point, à l’article 5 de la loi organique : « La Nouvelle-Calédonie détermine librement les signes identitaires permettant de marquer sa personnalité aux côtés de l’emblème national et des signes de la République. Elle peut décider de modifier son nom. Ces décisions sont prises dans les conditions fixées au chapitre II du titre III et à la majorité des trois cinquièmes des membres du congrès ». Même si on peut longuement ergoter, comme pour se rassurer, sur la capacité d’une région ou d’un département français à se doter d’un drapeau identitaire, voire à changer de nom, il est évident qu’on ne se situe pas sur un même plan en Nouvelle-Calédonie. La mention de la monnaie et des documents d’identité est très significative du quasi Etat. La symbolique étatique est ainsi très présente dans cet Accord, qui est avant tout d’autodétermination.

Philippe Gomès avait, dans sa déclaration de politique générale du 31 août 2009, exprimé le vœu que le Comité des signataires s’emparât de la question : « En ce qui concerne le drapeau et le nom du pays, il me semble préférable que ces sujets soient d’abord examinés – au moment opportun – dans le cadre d’un comité des signataires spécifique de l’Accord de Nouméa, seul organe légitime pour traiter politiquement de ces questions, qui touchent à l’âme même du pays et à son histoire». Le VIIIème comité des signataires de juin 2010 en a arrêté le principe.

Pourtant, le surplace domine sur la question du nom du pays. Il est vrai qu’il ne s’agit que d’une éventualité. Les indépendantistes militent pour prendre l’appellation Kanaky, tandis que les non indépendantistes restent attachés au maintien du nom de la Nouvelle-Calédonie, voire de Calédonie sans l’adjectif nouveau. Une proposition circule largement, y compris dans les milieux indépendantistes, d’unir les deux termes de manière pragmatique, à l’exemple de la Papouasie-Nouvelle-Guinée,  « Kanaky-Nouvelle-Calédonie ».  Le nom se situerait bien dans la lignée combinée des deux drapeaux.

Rien n’empêche de chercher un nom dénué de toute connotation politique ou issu d’une langue kanak. Pendant les Evènements, Jean-Pierre Aïfa et la Fédération pour une Nouvelle Société Calédonienne (FNSC), alliés à Gabriel Païta qui fonde le parti fédéral kanak d’Opao, sont les seules forces politiques calédoniennes à se prononcer le 26 juin 1985 en faveur du projet d’« indépendance association » proposé par Edgard Pisani, Haut-commissaire, puis ministre chargé de la Nouvelle-Calédonie. Ils optent à l’époque pour la création d’une République fédérale d’Opao. Mais l’imagination a ses limites dans ce domaine. Comme pour le drapeau, il est difficile de créer de toutes pièces une identité.

La proposition de Harold Martin se heurte, comme sur l’élargissement du corps électoral des citoyens, à des obstacles insurmontables. Il faudra nécessairement une révision de la Constitution et remettre en cause à la fois la lettre, mais aussi l’esprit de consensus de l’Accord de Nouméa, qui s’exprimait dans la recherche de larges majorités (3/5ème), nécessairement multiethniques, au Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Ce que le Constituant a fait, il peut certes le défaire, mais cette hypothèse demeure la plus improbable. Trouvera-t-on une majorité des Kanak et des indépendantistes pour acter d’un consensus sur un référendum populaire ouvert à tous les résidents ? Trouvera-t-on une majorité des 3/5ème du Parlement français pour tout bousculer en modifiant unilatéralement la Constitution ? Quel président de la République se lancera dans la convocation du Congrès de Versailles au risque de rallumer les feux ?

A y regarder de plus près, il s’agit d’une fausse bonne idée. Tout référendum n’est pas gage de démocratie. Plusieurs pays, comme l’Allemagne par exemple, ne l’ont pas inclus dans leur système pour ne pas ouvrir la porte justement à la démagogie référendaire.  Le référendum est inadapté aux sujets complexes ou à forte dimension émotionnelle. La tradition bonapartiste n’est pas celle de la démocratie et la recherche d’une majorité des 3/5èmes à l’assemblée du pays est loin d’être un procédé antidémocratique.

Finalement, le plus inquiétant des surenchères issues du simplisme de la campagne électorale des législatives est la révélation que la « sortie de l’Accord de Nouméa » est de plus en plus comprise au premier degré par les politiques non indépendantistes et une large frange de la population : comment en sortir, comment s’en débarrasser, comment le modifier pour n’avoir pas à l’appliquer ? Alors que tous les signaux économiques et sociaux sont au rouge avec le retournement simultané des trois moteurs de la croissance connue par la Nouvelle-Calédonie ces dernières années (cours du nickel, immobilier et transferts de l’Etat), le manque de consensus sur les perspectives de l’émancipation politique, le blocage des compromis institutionnels et le refus pathologique de construire des majorités incluant les indépendantistes, laisse augurer des jours agités.

Vous trouverez l’interview de Harold martin aux Nouvelles calédoniennes du 17 août 2012, en suivant ce lien :

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Mathias Chauchat, professeur des universités, agrégé de droit public à l’Université de la Nouvelle-Calédonie