Le citoyen calédonien est parfaitement défini
La notion de citoyen calédonien est parfaitement définie par la Constitution et la loi organique, à ses articles 4 et 188. On connaît le corps électoral au nom près (Mathias Chauchat, « Les institutions en Nouvelle-Calédonie », CDPNC 2011, p. 33 et suivantes). On rappellera ici succinctement que, puisque l’Accord de Nouméa met fin à la colonisation, il met fin au peuplement. C’est l’explication simple des restrictions apportées au corps électoral.
Sous prétexte de définir la citoyenneté, il est périodiquement proposé d’en élargir le périmètre. Les prises de position publiques de Anne Gras, qui était déjà intervenue dans une réunion consacrée au corps électoral à la demande du Haut-commissaire, n’y font pas exception.
1. La citoyenneté est précisément définie par le point 2.2.1. de l’Accord de Nouméa et les articles 4 et 188 de la loi organique
Selon l’Accord de Nouméa, au point 2.2.1., « le corps électoral aux assemblées des provinces et au Congrès sera restreint : il sera réservé aux électeurs qui remplissaient les conditions pour voter au scrutin de 1998, à ceux qui, inscrits au tableau annexe, rempliront une condition de domicile de dix ans à la date de l’élection, ainsi qu’aux électeurs atteignant l’âge de la majorité pour la première fois après 1998 et qui, soit justifieront de dix ans de domicile en 1998, soit auront eu un parent remplissant les conditions pour être électeur au scrutin de la fin de 1998, soit, ayant eu un parent inscrit sur un tableau annexe justifieront d’une durée de domicile de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l’élection ».
La condition d’inscription sur le tableau annexe y figure expressément.
Article LO. 4
Il est institué une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie dont bénéficient les personnes de nationalité française qui remplissent les conditions fixées à l’article 188.
Article LO. 188
I. – Le congrès et les assemblées de province sont élus par un corps électoral composé des électeurs satisfaisant à l’une des conditions suivantes :
a) Remplir les conditions pour être inscrits sur les listes électorales de la Nouvelle-Calédonie établies en vue de la consultation du 8 novembre 1998 ;
b) Etre inscrits sur le tableau annexe et domiciliés depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l’élection au congrès et aux assemblées de province ;
c) Avoir atteint l’âge de la majorité après le 31 octobre 1998 et soit justifier de dix ans de domicile en Nouvelle-Calédonie en 1998, soit avoir eu un de leurs parents remplissant les conditions pour être électeur au scrutin du 8 novembre 1998, soit avoir un de leurs parents inscrit au tableau annexe et justifier d’une durée de domicile de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l’élection.
II. – Les périodes passées en dehors de la Nouvelle-Calédonie pour accomplir le service national, pour suivre des études ou une formation ou pour des raisons familiales, professionnelles ou médicales ne sont pas, pour les personnes qui y étaient antérieurement domiciliées, interruptives du délai pris en considération pour apprécier la condition de domicile.
Le gel du corps électoral en 2007 a introduit de nouvelles dispositions juridiques dans la Constitution. Le nouvel article 76, dernier alinéa, de la Constitution dispose : « Pour la définition du corps électoral appelé à élire les membres des assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie et des provinces, le tableau auquel se réfèrent l’accord mentionné à l’article 76 et les articles 188 et 189 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie est le tableau dressé à l’occasion du scrutin prévu audit article 76 et comprenant les personnes non admises à y participer ».
2. La Cour de cassation applique à la lettre les exigences légales
On pense couramment que le point de départ de la citoyenneté (le corps provincial) est la date d’arrivée dans le pays (avant le 8 novembre 1998). Or, la Cour de cassation a rappelé en 2011 que c’était la date d’inscription sur la liste spéciale qui comptait, et non pas la date d’arrivée ; Cour de cassation, chambre civile 2, du 16 novembre 2011, n° de pourvoi : 11-61169, Mme Jollivel : « attendu que le paragraphe 1-a) de l’article 188 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie permet l’inscription sur la liste électorale spéciale à l’élection du congrès et des assemblées de province de Nouvelle-Calédonie des électeurs ayant rempli les conditions pour être inscrits sur les listes électorales de la Nouvelle-Calédonie établies en vue de la consultation du 8 novembre 1998 ; que le paragraphe 1-b) du même article prévoit aussi l’inscription sur cette liste électorale spéciale des personnes inscrites sur le tableau annexe et domiciliées en Nouvelle-Calédonie depuis dix ans à la date de l’élection ; que l’article 77, dernier alinéa, de la Constitution, tel que modifié par la loi constitutionnelle n° 2007-237 du 23 février 2007, précise que le tableau annexe est celui dressé à l’occasion du scrutin du 8 novembre 1998 et comprenant les personnes non admises à y participer ;
Et attendu que le jugement retient que Mme Y…, quoique présente sur le territoire depuis plus d’une année en novembre 1998, n’avait pas, pour des raisons personnelles, fait le nécessaire pour être inscrite sur la liste générale et, de ce fait, sur le tableau annexe ou sur la liste spéciale ; qu’elle ne s’est inscrite sur la liste générale qu’en 2007 ; que de ces constatations et énonciations, le tribunal de première instance a exactement déduit que Mme Y… ne pouvait être inscrite sur la liste électorale spéciale de sa commune ».
Cet arrêt est commenté sur le site du LARJE : http://larje.univ-nc.nc/index.php/les-travaux/faits-et-analyses/273-la-brutalite-du-gel-du-corps-electoral
Cette jurisprudence a été confirmée à nouveau par la Cour de cassation, dans un arrêt explicite, du 5 décembre 2012, pourvoi n° 12-60.526, Mme Oesterlin.
Dans les Nouvelles calédoniennes, datées du jeudi 9 mai, Anne Gras, considère que l’arrêt de la Cour de cassation va au-delà de la référence constitutionnelle au tableau annexe ; « la Haute juridiction remplace l’expression « remplir les conditions » par « ayant rempli les conditions », ce qui n’est pas équivalent ».
L’article de Anne Gras dans les Nouvelles calédoniennes du 9 mai 2013 peut être obtenu ici :
LNC 9 Mai 2013 AGras vote 2014
Pour comprendre la confusion entretenue, il faut reprendre les conditions de l’article 188, qui sont alternatives (satisfaire « à l’une des conditions suivantes ») :
- Le point a) Remplir les conditions pour être inscrits sur les listes électorales de la Nouvelle-Calédonie établies en vue de la consultation du 8 novembre 1998 vise exclusivement ceux qui pouvaient voter en 1998, donc avaient droit, par leur présence depuis 1988 en Nouvelle-Calédonie, à l’inscription sur le tableau des citoyens (c’est-à-dire suivant l’article 76 de la Constitution « les personnes remplissant les conditions fixées à l’article 2 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 »). Mme Jollivel n’avait qu’un an de présence et ne pouvait donc pas voter à ce titre en 1998.
- Le point b) Etre inscrits sur le tableau annexe et domiciliés depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l’élection au congrès et aux assemblées de province vise exclusivement les personnes non citoyennes arrivées entre 1988 et 1998. On note qu’il faut impérativement « être inscrit sur le tableau annexe ». Or Mme Jollivel ne remplissait pas cette condition, présente depuis 1997, mais inscrite seulement en 2007.
- Le point c) Avoir atteint l’âge de la majorité après le 31 octobre 1998 et soit justifier de dix ans de domicile en Nouvelle-Calédonie en 1998, soit avoir eu un de leurs parents remplissant les conditions pour être électeur au scrutin du 8 novembre 1998, soit avoir un de leurs parents inscrit au tableau annexe et justifier d’une durée de domicile de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l’élection vise les jeunes. On est passé en 1998 au droit du sang : il faut nécessairement, outre la condition de 10 ans de résidence continue, un parent citoyen, soit au titre du 188-a, soit au titre du 188-b.
La confusion entretenue par Anne Gras mélange les termes de l’article 188-a et de l’article 188-b, alors qu’ils ne s’adressent pas aux mêmes publics. Pour les personnes « qui remplissaient les conditions pour voter en 1988 » et donc en 1998 (1er gel de 10 ans), il leur suffit de pouvoir être inscrits sur la liste du scrutin du 8 novembre 1998. Mais ces personnes sont citoyennes. Pour les personnes arrivées entre 1988 et 1998, il faut bien, à la différence, avoir « été inscrit » sur le tableau annexe avant le 8 novembre 1998. Toute autre interprétation consisterait en une révision constitutionnelle implicite du gel du corps électoral.
Le point II de l’article 188 suivant lequel « II. – Les périodes passées en dehors de la Nouvelle-Calédonie pour accomplir le service national, pour suivre des études ou une formation ou pour des raisons familiales, professionnelles ou médicales ne sont pas, pour les personnes qui y étaient antérieurement domiciliées, interruptives du délai pris en considération pour apprécier la condition de domicile », a autorisé la jurisprudence Kilikili de la Cour de cassation du 26 mai 2005, sous le n° de pourvoi 05-60166, sur les interruptions de séjour acceptables. Cette jurisprudence règle la question difficile des Calédoniens, qui étaient absents aux deux moments essentiels qui ont ouvert la citoyenneté (le vote du 6 novembre 1988 sur le statut de Matignon et celui du 8 novembre 1998 sur l’Accord de Nouméa), et n’ont pu de ce fait intégrer le corps électoral. La Cour de cassation accepte assez largement le « droit au retour » des Calédoniens, y compris après une longue durée d’absence. La question des Calédoniens, nés ici et qui seraient prétendument exclus du corps électoral, a ainsi déjà été réglée par la Cour de cassation.
Cet arrêt est commenté sur le site du LARJE : http://larje.univ-nc.nc/index.php/les-travaux/veille-juridique-et-jurisprudences/87-larret-kilikili-sur-la-qualite-de-citoyen-de-la-nouvelle-caledonie
3. La question prioritaire de constitutionnalité n’a pas lieu d’être
La proposition de QPC suggérée par Anne Gras n’est normalement pas recevable, puisque les décisions du Conseil constitutionnel sont absolues et définitives. Mais elle invoque « le changement de circonstances » avec le gel de 2007, qui seul permettrait au Conseil constitutionnel de rouvrir l’examen. Quelle que soit la juridiction devant laquelle la question prioritaire de constitutionnalité est soulevée, celle-ci ne peut être transmise à la Cour de cassation ou renvoyée par la Cour au Conseil constitutionnel que si la disposition contestée « n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances» (2° de l’article 23-2 de l’ordonnance organique n° 58-1067 modifiée du 7 novembre 1958, s’agissant des juridictions relevant de la Cour de cassation ; article 23-4 s’agissant de la Cour de cassation). Ce sont les juridictions qui apprécient la notion de changement de circonstances et in fine le Conseil constitutionnel lui-même.
Son argumentation n’est, en définitive, pas recevable. Le gel n’est en aucune manière intervenu sur le texte de l’article 188 de la loi organique. Il n’y a donc pas de changement de circonstances. La question a, de surcroît, été réglée par la Cour de cassation qui a appliqué à la lettre des textes jugés conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Une QPC serait une manœuvre visant à faire prendre au Conseil constitutionnel une position politique pour neutraliser les exigences de l’Accord de Nouméa.
4. Une loi du pays peut être utile pour définir le contenu de la citoyenneté calédonienne
Une loi du pays est fréquemment demandée pour définir la citoyenneté calédonienne. Or, le Congrès, comme les autres institutions et l’Etat, sont liés par les termes de l’article 77 de la Constitution qui dispose : « la loi organique, prise après avis de l’assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie, détermine, pour assurer l’évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en œuvre : (…) les règles relatives à la citoyenneté, au régime électoral, à l’emploi et au statut civil coutumier ». Une telle loi du pays interviendrait hors de son champ d’application et empiéterait sur le domaine de la loi organique elle-même. Il s’agit donc moins d’assigner à cette loi du pays la tâche de définir la citoyenneté que d’intervenir sur son contenu potentiel.
La citoyenneté, ce n’est pas que l’emploi local et le droit de vote. « Une mention du nom du pays pourra être apposée sur les documents d’identité, comme signe de citoyenneté » (point 1.5. de l’Accord). C’est à l’Etat d’ajouter une mention sur la carte d’identité nationale : « citoyen de la Nouvelle-Calédonie ». Ce document pourrait être demandé devant la commission pour l’emploi local. On pourrait aussi faire un Livret d’accueil à Tontouta qui explique aux « résidents » leur statut, ainsi que dans les écoles. La citoyenneté, c’est aussi le statut civil futur des Calédoniens qui devrait à l’avenir les différencier des résidents soumis à leur statut d’origine, que ce statut soit métropolitain ou étranger, et des Kanak de statut coutumier. Enfin, sans même modifier le droit existant, on peut utiliser les notions de « peuple kanak » et de « communauté », reconnues toutes deux par l’Accord de Nouméa, pour mettre en place des dispositifs spécialisés « d’affirmative action » (ou « discrimination positive ») en vue d’aboutir à une meilleure égalité concrète ou à un rééquilibrage économique ou social.
Mathias CHAUCHAT, Professeur des universités, agrégé de droit public