Les journalistes français sont-ils si mauvais ?


07-08-2009

François Dufour a publié, dans la collection «à dire vrai» dirigée par Jacques Marseille (Larousse 2009), un ouvrage concis au titre provocateur «Les journalistes français sont-ils si mauvais ?». Le titre n’est pas dirigé spécifiquement contre les journalistes, mais est conforme au style de la collection («Faut-il abandonner la Corse ?», «La France doit-elle quitter l’Europe ?», «A quoi servent les députés ?», etc.).

L’auteur, lui-même journaliste, passe au crible de la Charte des devoirs des journalistes français (1918) et de Déclaration des droits et des devoirs des journalistes (1971), les comportements les plus récurrents. Et la leçon est instructive !

Les faits, les faits, les faits (règle d’or n° 1)

Si on tape sur Google les mots «ethics» et «journalism», il sort la 1ère règle du journalisme à l’anglo-saxonne : la séparation sans équivoque des faits et des opinions. Elle distingue la presse d’information et d’opinion. Les journaux anglo-saxons séparent nettement les éditoriaux et autres opinions, parfois opposées au journal, et l’information. La presse française est singulière, car elle s’est construite comme une presse d’opinion. La règle est toutefois partout mise à mal par le développement des «blogs» où se mélangent allègrement faits et opinions.

Interviews pseudo-contradictoires et micro-trottoirs, les recettes de la facilité : Une interview doit permettre de former son propre point de vue. Les Américains sont «sharp» (coupants). Le journaliste doit pousser son interlocuteur à donner clairement une opinion et il traque la langue de bois. S’il laisse s’exprimer les opinions contradictoires, il ne doit pas céder à l’équilibre factice : l’opinion d’un expert et celle d’un crétin présentées au même niveau ! Autre dérive fréquente : le micro-trottoir, voire le sondage. Il est souvent un choix de paresse, un alibi. Le groupe choisi n’offre que l’apparence de la diversité et il n’a aucune rigueur scientifique. Quant à demander une opinion à un journaliste, c’est au sens strict une antinomie !

L’indépendance, l’indépendance, l’indépendance (règle d’or n° 2)

Bernard Tapie disait avec cynisme : «il ne sert à rien d’acheter un journal, les journalistes sont moins chers». L’information est un texte écrit par un journaliste, la publicité, un texte payé, et les deux cohabitent dans le même média. Il faut donc un mur de séparation entre le directeur de la rédaction («Editor») et celui de la publicité («Publisher»). Règle de plus en plus oubliée ou volontairement délaissée. Du coup, on note toutes les transgressions : pressions directes, dépendance, renvois d’ascenseur et auto-censure… Le journaliste est souvent sur le fil du rasoir !

La rigueur, la rigueur, la rigueur (règle d’or n° 3)

«Chek and doublecheck», vérifier et revérifier. Il faut recouper ses sources. Et les recouper n’est pas simplement les citer ! C’est plus facile dans les médias «froids» (presse écrite) que «chauds» (audiovisuel) ou «brûlants» (Internet). Cela passe souvent par l’humilité. La règle doit être de faire relire par celui qu’on a interviewé. Combien d’erreurs et d’approximations seraient ainsi évitées ? Relu et amendé, ne signifie pas relu et censuré ! On peut toujours renoncer à publier. Mais cette pratique est détestée par le journaliste français qui y voit souvent une perte d’indépendance !
Photos et vie privée : Danger. Une bonne photo vaut mieux qu’un long discours ; oui quand la photo, c’est de l’info, pas de la déco. Mais la vie privée ? La France, avec la loi Guigou du 15 juin 2000, est un des pays les plus restrictifs. Le livre vert des Etats généraux de la presse écrite en 2009 a recommandé que l’existence d’un préjudice soit la condition indispensable à toute condamnation pour atteinte au droit à l’image. La Cour de Cassation raisonne à l’inverse : de la faute («Chacun a droit au respect de sa vie privée» de l’article 9 du code civil) résulte le préjudice…

Le lecteur, le lecteur, le lecteur (règle d’or n° 4)

Pour qui écrit-on ? C’est le dur principe du «mort au kilomètre» : un mort dans mon village m’intéresse plus que mille morts à mille kilomètres ! Décevant, certes, mais c’est bien là l’épicentre du lectorat… Mais la proximité n’est pas que géographique ; elle peut être aussi thématique.
« Good news is no news ». Il y a des défauts qui ne sont pas spécifiquement français ; on n’écrit pas sur les trains à l’heure. Mais le grand défaut français le plus partagé est d’écrire pour soi ! Et le microcosme se copie ! L’exemple British surprend par sa diversité. Les cinq grands quotidiens de qualité y rivalisent de variété. On trouve toujours quelque chose d’intéressant à picorer dans le journal. A l’opposé, la caricature du journaliste français s’adresse au citoyen, peu au contribuable et très peu au consommateur !

Malgré tout, vivent l’information et ses médias !