Les règles du contreseing au gouvernement


13-03-2011

Il paraît utile de donner les règles de fonctionnement du gouvernement collégial de la Nouvelle-Calédonie aujourd’hui.

La répartition des secteurs

Dans les dix jours qui suivent l’élection du président et du vice président, le gouvernement par délibération charge chacun de ses membres d’un secteur de l’administration. La délibération se vote à la majorité des membres. Souvent le président participe pour lui même à la distribution collégiale des secteurs, afin d’être en capacité d’influer directement sur certains points décisifs de l’action gouvernementale. L’appréciation politique du secteur lui-même ne donne pas lieu à un contrôle juridictionnel. Par un jugement n° 03-0005  du 7 août 2003 (Gérald Cortot), le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a ainsi affirmé « que la seule obligation formulée est que chaque membre du gouvernement dispose d’une compétence d’animation et de contrôle sur un secteur de l’administration ; que la définition du contenu de ces secteurs entre les membres du gouvernement est une question de pure opportunité qui n’est pas susceptible d’être discutée au contentieux ». Gérald Cortot n’avait pas soulevé à l’époque le défaut de contreseing, vice de forme sur lequel le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie n’a pas eu à se prononcer. Mais ce n’est pas une source d’arbitraire de la majorité. La pratique depuis 2004 est que cette délibération recueille le contreseing de l’ensemble des membres du gouvernement ! Le blocage est donc possible dès le départ. Cette dernière règle est déduite de l’esprit de la collégialité sans être formellement actée par les textes. Toutefois, un autre raisonnement demeure possible. On pourrait considérer que la délibération octroyant à chacun des membres du gouvernement la charge d’animer et de contrôler un secteur de l’administration ne devrait pas devoir être contresignée, dans la mesure où ces derniers ne disposent pas encore de la capacité de contresigner, celle-ci ne devenant effective qu’une fois la délibération devenue exécutoire. En tout cas, l’absence de répartition des secteurs du gouvernement l’empêche de fonctionner normalement, en privant les actes d’une formalité substantielle, et de ce fait en paralyse le fonctionnement. On pourrait sans doute continuer à travailler en adoptant les actes règlementaires et individuels, tout en reportant leur date d’entrée en vigueur à la répartition des secteurs et l’obtention du contreseing.

Secteurs et affaires courantes

La répartition des secteurs fait-elle partie de l’expédition des affaires courantes ? Le gouvernement garde les compétences qui se révèlent nécessaires à la continuité des services publics. Ce sont les affaires qui relèvent de l’activité quotidienne et continue de l’administration. En principe, ces affaires n’engagent pas l’avenir, sauf si leur traitement est inévitable, ou encore si elles sont commandées par l’urgence. Le critère est celui de la nécessité pour éviter la paralysie, sur le fondement de la continuité des services publics. L’absence d’attribution des secteurs bloque le fonctionnement du gouvernement, notamment en paralysant le contreseing. On ne peut dès lors qu’interpréter la répartition des secteurs comme rentrant dans le domaine des affaires courantes.

Le contreseing des membres du gouvernement et les actes

Les règles du contreseing sont sévères. C’est la garantie de la collégialité. Pour les actes les plus importants, délibérations et arrêtés, à caractère règlementaire ou individuel, la signature du président est assortie du contreseing de ceux des « membres du gouvernement chargés d’en contrôler l’exécution ». Le président du gouvernement, pris dans la double tenaille du vote et du contreseing, n’est guère en mesure d’imposer sa volonté. Deux thèses se sont opposées dans le passé : dans la première, demander à un ministre opposé de signer était une formalité impossible et on concluait que la seule délibération majoritaire du gouvernement satisfaisait la collégialité et que la seule signature du président du gouvernement sur un acte suffisait. Dans la seconde thèse, on définissait la collégialité par le contreseing, c’est-à-dire l’accord du ministre concerné attesté par son paraphe. Pas de signature, pas d’acte… Le tribunal administratif a finalement renvoyé la question au Conseil d’Etat pour avis. Et on sait maintenant ce qu’il en est avec l’avis n° 233446 rendu le 27 juillet 2001 : la collégialité, c’est le contreseing. Le Conseil d’Etat est revenu aux sources de l’Accord de Nouméa : « le refus d’un membre du gouvernement d’apposer sur un acte dont il est chargé de contrôler l’exécution le contreseing requis (…) entache ledit acte d’un vice de forme de nature à entraîner son annulation ». Il faut nécessairement un accord au sein du gouvernement pour agir collégialement et chaque acte nécessitera un accord collégial et donc une vraie négociation, entérinée par le contreseing.

Le conflit n’était pas encore totalement épuisé. Qui est le « membre du gouvernement chargé d’en contrôler l’exécution » ? Par un avis n° 266754 du 15 juillet 2004, le Conseil d’Etat tranche sans ambiguïté la question : « les membres du gouvernement chargés de contrôler l’exécution des arrêtés du gouvernement au sens de l’article 128 de la loi organique et donc de contresigner ces derniers sont ceux chargés de contrôler le secteur de l’administration auquel incombe la mise en œuvre de ces arrêtés », formule d’ailleurs adaptée de la jurisprudence métropolitaine. Et de préciser : « dans les cas des arrêtés de nomination pris en application des dispositions de l’article 132 de la loi organique, le ou les membres du gouvernement compétents pour contresigner ces arrêtés sont ceux chargés d’animer et de contrôler le ou les secteurs de l’administration dans le ressort desquels ou sous le contrôle desquels se trouve placé la direction, le service ou l’établissement dans lequel intervient cette nomination ». Il n’y a pas de parade possible ! Comme on le sait, une certaine souplesse a prévalu depuis avec la modification, par la loi organique n° 2009-969 du 3 août 2009, de l’article 128 de la loi organique qui permet aujourd’hui au président du gouvernement, en cas d’urgence, de désigner un autre membre, en accord avec le groupe d’élus qui a présenté la liste sur laquelle il a été élu, aux fins de contresigner les arrêtés. La mention de l’accord du groupe d’élus préserve la réalité de la collégialité, mais risque de ne guère améliorer la situation des membres isolés du gouvernement.

Le contreseing et les nominations individuelles

La règle est simplissime : le fonctionnaire qui n’est pas nommé en collégialité ne peut obtenir délégation de signature du président. C’est la loi implacable de la collégialité. L’article 132 de la loi organique modifié en 2009 a inséré les oubliés de 1999 – les adjoints – dans la liste des collaborateurs d’autorité qui sont nommés en collégialité : « Le gouvernement nomme son secrétaire général, ses secrétaires généraux adjoints, les directeurs, directeurs adjoints, chefs de service, chefs de service adjoints, directeurs d’offices, directeurs d’établissements publics de la Nouvelle-Calédonie, et les représentants de la Nouvelle-Calédonie auprès des offices, établissements publics et sociétés. Il met fin à leurs fonctions ». Le contreseing du membre du gouvernement chargé du secteur sera nécessaire à la nomination. Alors le président pourra déléguer sa signature à ce fonctionnaire, s’il l’estime utile.

Le droit constitutionnel calédonien est clair et n’emporte que peu de possibilités de blocage de l’institution, dès lors qu’il existe une majorité. Un membre du gouvernement peut néanmoins refuser son contreseing dans son propre secteur et en paralyser le fonctionnement.