Immobilier et populisme


31-01-2012

« Tout terrain, toute maison, tout immeuble verra sa possibilité de construction augmenter de 30 % », a annoncé Nicolas Sarkozy lors de son intervention télévisée du 29 janvier 2012. Concrètement les promoteurs immobiliers pourront bâtir 30 % de surfaces supplémentaires sur un même terrain. Ces changements concernent aussi les logements existants. Les particuliers pourront ainsi agrandir leur résidence. Cette densification de la construction serait instaurée pour trois ans par une loi supposée être adoptée en février. Le président imagine cette augmentation de la construction faire baisser les prix.

Cette mesure paraît de bon sens et le raisonnement séduisant. C’est malheureusement méconnaître les règles de base de l’économie immobilière, dont le fonctionnement repose sur des mécanismes « contre-intuitifs ». Comme le rappelait Vincent Renard, spécialiste en économie immobilière et professeur à Sciences Po, cité par l’urbaniste calédonien François Serve dans son blog  http://villes.blog.lemonde.fr/, « (…) l’hypothèse simple (simpliste) que l’assouplissement des règles d’urbanisme, en augmentant l’offre, conduirait à la baisse du prix des terrains à bâtir, conduit régulièrement au résultat inverse. On pourrait multiplier les exemples, par exemple en Europe de l’Ouest. Plus loin, un cas très caractéristique est celui de l’agglomération de Santiago du Chili, au milieu des années 1980, où les politiques très libérales inspirées au gouvernement chilien par les « Chicago boys » ont conduit, en matière urbaine, en vue de diminuer la pression foncière, à doubler le périmètre urbain de Santiago, et donc la superficie des terrains urbanisables. Effet d’annonce et comportement classique de rétention des propriétaires ont conduit au résultat inverse du résultat espéré, les prix fonciers ont flambé dans les années qui ont suivi ».

Cette proposition, si elle se réalise, va au contraire bloquer le marché en donnant une rente supplémentaire aux propriétaires ; les propriétaires vont attendre l’effectivité de ce droit pour chercher à vendre les terrains plus chers de… 30 %. S’ils trouvent un acheteur, comme le prix du foncier compte d’un tiers à la moitié du prix final d’un programme immobilier, le coût de production du promoteur augmentera de 10 à 15 %. Il est plus plausible, à un moment où le pouvoir d’achat baisse et le crédit se resserre, qu’il n’y ait plus d’acheteur et que le marché se bloque. L’échec est annoncé.

Cette mesure a, de plus, peu de chances de se réaliser. Elle devrait être soumise aux délibérations des conseils municipaux qui devront modifier les coefficients d’occupation des sols et qui ne le feront pas systématiquement. Et comme on ne voit pas une copropriété rallonger l’immeuble d’un étage, la proposition se cantonnera vite aux seuls immeubles neufs. C’est un coup d’épée dans l’eau.

Rappelons que le courage serait de voter la proposition de Thomas Pikety, dans son livre Pour une révolution fiscale paru au Seuil en janvier 2011. En 1964, il a été décidé de mettre fin à l’imposition des revenus fonciers fictifs ; les propriétaires devaient auparavant ajouter à leurs revenus la valeur locative de leur habitation, c’est-à-dire le revenu locatif qu’ils se donnent à eux-mêmes. C’est pourtant évident. Passé le temps des remboursements de crédit (qu’on doit pouvoir déduire), on bénéficie aujourd’hui d’un avantage en nature non imposable. Et souvent, non par effort personnel, mais par héritage, particulièrement dans les grandes villes ! La solution de la plupart des pays européens est d’imposer cet avantage fiscal. « Un avantage supplémentaire est que cela pousserait les propriétaires à mettre leurs logements vacants sur le marché. Actuellement, un propriétaire qui conserve pour lui-même ou ses enfants l’usage d’un appartement vide paie moins d’impôts que celui qui décide de le louer ! » (Pikety p. 128). L’impôt contre la bulle immobilière. Cette mesure débloquerait, à coup sûr, le marché, comme en Allemagne justement. On mesure combien la politique fiscale française n’a pas été neutre. La défiscalisation en est un nouvel avatar qui a fait exploser les prix de l’immobilier Outre-mer. En orientant systématiquement l’épargne vers l’immobilier, on a favorisé les investissements de rente peu productifs au détriment de l’innovation et du risque. Le déclin d’un pays se mesure à l’écart entre la valeur des rentes et la valeur du travail : jamais, les patrimoines n’ont été si hauts (le patrimoine moyen est de 180 000 € ou 6 années de revenu) et le revenu moyen avant impôt, en termes relatifs, aussi bas à seulement 2 800 € mensuels. La France est bien en déclin prononcé.

Finalement, la morale ultime de cette histoire est que les Français sont victimes de l’élection présidentielle au suffrage universel direct. Comme aux Etats-Unis, l’élection directe favorise les discours populistes, simplistes et irresponsables. Peu importe qu’une idée soit bonne ou même applicable, seule compte l’impression médiatique que vont en avoir les Français. C’est ainsi que se perpétuent les poncifs, au lieu du discours de pédagogie et de vérité qu’on attendrait candidement du principal rendez-vous démocratique de la Nation.