Du droit à la bouderie à la délégation de souveraineté


25-07-2012

Guy Agniel, professeur de droit public, vient de publier un article à la Revue Française de Droit Constitutionnel n° 90, 2012/2, p. 227 intitulé « Du droit à la bouderie à la délégation de souveraineté ».  Cet article est accessible par le lien suivant :

http://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2012-2-p-227.htm)

Les étudiants et les personnels de l’Université de la Nouvelle-Calédonie peuvent, en s’identifiant, télécharger librement l’article sur le portail documentaire, sur CAIRN info :

http://portail-documentaire.univ-nc.nc/medias/medias.aspx?INSTANCE=EXPLOITATION

Guy Agniel montre les liens entre le Parlement français et la Nouvelle-Calédonie sur les deux plans de la modification récente de la loi organique le 25 juillet 2011, après les démission répétées des membres Calédonie ensemble du gouvernement, et la relation qui pourrait s’établir à l’avenir sur la question de la « sortie de l’Accord de Nouméa ».

Le droit à la bouderie

On a déjà beaucoup écrit sur la révision de la loi organique en 2011 : il suffira de se reporter sur ce site au lien suivant :

http://larje.univ-nc.nc/index.php?option=com_content&view=article&id=245:crise-de-larticle-121–epilogue&catid=15:droit-de-la-nouvelle-caledonie&Itemid=46

On sait que les démissions à répétition des membres de Calédonie ensemble, visant à créer les conditions d’une crise institutionnelle, ont été qualifiées de « manœuvre » par le Conseil d’Etat dans sa décision n° 347313 du 8 avril 2011 et de « détournement de l’esprit de la loi » par la ministre de l’outre-mer le 29 juin 2011 au Parlement. L’affaire avait entrainé la modification de la loi organique qui assure au gouvernement un « moratoire de stabilité politique » pendant 18 mois en empêchant que la démission d’une composante ne se traduise par la chute du gouvernement. Ces membres peuvent toujours y rentrer à nouveau après démission, conformément aux principes de la collégialité gouvernementale calédonienne à la proportionnelle. Ce que Guy Agniel appelle avec humour : « le droit à la bouderie ».

Mais c’est sur la notion de délégation de souveraineté que l’article innove.

La délégation de souveraineté

Le concept de délégation de souveraineté bute sur une difficulté conceptuelle : pour déléguer la souveraineté, encore faut-il l’obtenir. Et le passage par l’étape, serait-elle concomitante de la souveraineté étatique et de la délégation, apparaît inacceptable à beaucoup. Il faut donc se tourner vers les solutions anglo-saxonnes (Les institutions en Nouvelle-Calédonie, CDPNC 2011, p. 265 et suivantes). Guy Agniel, avec un esprit de classification, identifie trois modèles : le Commonwealth à l’américaine qu’il juge, non sans raison, en deçà de la situation existante du statut issu de l’Accord de Nouméa, l’Etat associé aux USA (Micronésie, Marshall, Palau) qu’il assimile à l’ancien protectorat, en langage « politiquement correct », ces Etats ayant surtout négocié une aide contre le maintien de la présence militaire américaine et enfin, le territoire ou le pays associé où l’on retrouve justement le statut des Îles Cook, associées à la Nouvelle-Zélande (Les institutions en Nouvelle-Calédonie, CDPNC 2011, p. 269 et suivantes).

Il ne faut pas perdre de vue que c’est un peu la guerre des mots. Mais les mots, comme les symboles qu’ils véhiculent, ne doivent pas être traités avec insouciance. Les Cook sont-elles un Etat ? Bien sûr, elles ont renoncé à ce jour à siéger à l’ONU et à transformer leur citoyenneté en nationalité, qu’elles partagent avec la Nouvelle-Zélande. Mais elles ont leur Constitution et une totale autonomie politique, y compris « le droit d’agir comme Etat souverain et indépendant », reconnu par la déclaration conjointe, Cook/Nouvelle-Zélande en 2001.

La proposition de Guy Agniel est d’utiliser également le concept de l’acte conjoint (Joint Declaration), qui est au cœur des émancipations dans le Pacifique. Il l’appelle le « Pacte de délégation de souveraineté ». Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie, d’une part, le Parlement français d’autre part, légiféreraient symétriquement sur trois points : la reconnaissance du droit à l’indépendance, si la population intéressée y consent (ce point est déjà acquis dans l’Accord de Nouméa, et même à répétition), la constatation que la Nouvelle-Calédonie ne peut ou ne veut exercer les charges régaliennes (ou une partie de celles-ci), la décision de la Nouvelle-Calédonie de donner à la France l’exercice de ces compétences, sous la réserve d’une consultation préalable. On y ajoutera que, pour être conforme au modèle anglo-saxon, il faudra un quatrième point pour pérenniser l’aide de coopération qu’apportera la France, puisque aucun Etat anglo-saxon n’a fait disparaître son aide au moment de l’émancipation du pays ! Les 150 milliards de FCFP de transferts ne s’évanouiraient donc pas, en mettant ainsi fin au fantasme algérois. On bouclerait l’ensemble par un nouveau référendum des Calédoniens.

Par un esprit français de systématisme, Guy Agniel étend cette solution aux autres territoires français qui le souhaiteraient, et même aux départements d’Outre-mer… On réinventerait le Commonwealth à la française après la mort de la défunte Communauté française. Pourquoi pas, quoiqu’il semble pourtant qu’il faille différencier entre les collectivités où existent des peuples autochtones et celles où il n’en existe pas.

On terminera ce commentaire sur une considération de Victorin Lurel, le nouveau ministre de l’Outre-mer interrogé sur RNC 1ère, le 20 juillet 2011, à propos de la demande la réinscription de la Polynésie française sur la liste des pays à décoloniser : « Évidemment, le droit à l’autodétermination ou à la libre détermination est reconnu pour les COM, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie et tout ça. C’est la raison pour laquelle j’ai eu à dire au président Oscar Temaru, c’est une affaire qui peut être franco-française. Nous n’avons pas à aller à l’ONU pour régler des problèmes comme ça. Et je le dis, ici, devant la commission des lois, ça peut étonner certains collègues qui ne sont plus là, mais c’est la libre adhésion à la France. Si certains veulent partir, je suis presque convaincu, en 2012, et peut-être demain ou après-demain, on n’enverra pas les blindés comme ça s’est fait ailleurs. C’est la libre adhésion ». Bref, l’armée française ne sauterait plus sur Ouvéa ou Papeete et il faudra bien discuter…

Mathias Chauchat, professeur à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, agrégé de droit public.