Jacques Attali – Devenir Soi


23-03-2015

Le dernier petit livre de Jacques Attali « Devenir Soi », 183 pages, Fayard 2014, sous-titré « Prenez le pouvoir sur votre vie ! » est paradoxal. Finies les grandes aventures collectives. Place aux destins individuels.

L’auteur se place au spectacle de l’impuissance des Nations. Les Etats sont toujours plus endettés, un thème récurrent chez lui après « Tous ruinés dans 10 ans » qui date de 2010, ils sont sclérosés et leurs élus obsédés par le court terme. La lâcheté est omniprésente. Partout les Etats seront démantelés. C’est la « somalisation » du monde… Plus d’Etats, plus de règles. « Il n’y aura alors non seulement plus de pilote dans l’avion, mais même plus de cabine de pilotage ! Et pas davantage de bastilles à prendre. Chacun devra choisir entre la résignation et la rébellion » (p. 29).

Refusant de voir venir la fin d’un monde, les hommes et les femmes politiques continuent de faire comme si tout dépendait d’eux. Et la plupart des citoyens continuent de feindre de les croire. Ce sont les « résignés-réclamants ». Les autres rêvent à leur vie. Ils sont le sujet du livre.

La renaissance

Ces « autres » n’attendent plus rien que d’eux-mêmes. « Ils se soustraient à ce que les autres attendent et veulent qu’ils soient. Ils prennent le pouvoir par et sur eux-mêmes dans les interstices de ce que leur imposent la tyrannie du marché, les faux-semblants de la démocratie, la dictature des mollahs ou celle des généraux » p. 48. Ils sont les exemples du devenir soi.

Suit une interminable litanie de vies résumées à un paragraphe. Ils sont catégorisés : on trouve ceux qui prennent en main leur vie personnelle, d’abord dans la sphère privée. Ils échappent aux codes (p. 49). Il y a les artistes qui se choisissent un destin (p. 55). Il y a les entrepreneurs privés. Combien de destins à la Henri Ford, Thomas Edison ou Steve Jobs, alors même que le paysage mondial compte de plus en plus d’héritiers et de moins en moins de créateurs… On ajoute les entrepreneurs « positifs » (p. 83) qui sont des altruistes rationnels. Ils servent des intérêts plus larges, les fondations, les entreprises sociales, les générations à venir. Ils nourrissent, ils soignent. Il y a les militants par la prière, l’action, la politique, les lanceurs d’alerte (p. 103).

Le devenir soi a des penseurs (p. 119). Suit un résumé en une fiche sur la Mésopotamie, le Judaïsme, l’Hindouisme, les « Grecs », les Chrétiens et bien sûr l’Islam. La pensée moderne nous emmène de Blaise Pascal à Calvin, de Rousseau à Marivaux, Kant et Marx. Même Proust et Céline, tous auraient prôné une manière de devenir soi…

La quatrième partie fournit le mode d’emploi de ce salmigondis : les 5 étapes du devenir soi (p. 151) : prendre conscience de son aliénation, se respecter et se faire respecter, ne rien attendre des autres, prendre conscience de son unicité, et se trouver.

On sort mal à l’aise de la lecture de ce petit opuscule trop vite écrit. Si ce n’était jacques Attali, on penserait à des arguments de bonimenteur sur le bien vivre son régime, ou ceux d’un coach sur la réalisation personnelle. On y trouvera des idées générales et la superficialité des trop grandes synthèses qui forment le charme des concours de recrutement français : de la surface et peu de fond.

Plus sérieusement, ce livre procède à une exaltation suspecte de l’individu. Il part de deux axiomes qui mériteraient d’être vérifiés. Le premier est la certitude de l’effondrement des Etats, ce qui est certes l’analyse d’un membre de la technostructure, bien placé pour savoir qu’il n’y a pas de réforme et que l’illusion de la dette supplée aux choix politiques. Le second est que les « devenir soi » de chacun seraient positifs pour tous, à la manière du dicton américain du PDG de la Général motors devenu ministre : « Ce qui est bon pour la General Motors est bon pour les Etats-Unis ». Rien ne dit au contraire que ces destins individuels ne finiront pas par inhiber ceux des autres.

Ce livre, s’il est mal compris et porte aux nues un individualisme sans limite, a un réel potentiel de destruction.

Mathias Chauchat, professeur de droit public à l’Université de la Nouvelle-Calédonie