Comment l’Islande a vaincu la crise
Ce petit livre électronique de Pascal Riché, journaliste, co-fondateur et rédacteur en chef de Rue89 (iBook, Versilio/Rue89, Paris 2013, 2,99€) est devenu un bestseller. Sans doute parce que l’Islande, ce petit pays de 320000 habitants, ruiné en 2008 par la crise financière, a résisté à la finance et est devenu un modèle de sortie de crise. Image d’Epinal peut-être, mais avec un certaine part de réalité. L’expérience est-elle reproductible ? Y a t-il un enseignement pour la Nouvelle-Calédonie ?
Ce pays, à l’origine conservateur et tourné vers la pêche, s’est pris de passion pour le modèle reagano-thatchérien et va devenir en moins de 10 ans un hedge fund ! Le carburant de la bulle financière est fourni par les bas taux d’intérêts US et japonais. Le pays est pris de frénésie. Les banques islandaises se gorgent d’emprunts en devises étrangères. Les capitaux affluent. Le déficit des paiements courants du pays atteint un niveau alarmant. La culture de l’argent facile se répand. Tout le monde se met à emprunter : immobilier, crédits à la consommation, 4×4, etc. Une classe de nouveaux riches apparaît : les « néo-Vikings ». Personne n’écoute les Cassandre. La critique est devenue impossible. La Banque Centrale islandaise prédit en 2007 une modeste baisse de 30% des prix de l’immobilier pour 2008, personne n’en tient compte. Le pays vit dans un bonheur artificiel (p. 19).
Avec l’effondrement de Lehman Brothers, la crise arrive. Les banques arrêtent de se prêter et de prêter. Les gens perdent leur travail massivement. Les emprunts immobiliers, indexés sur les devises étrangères, ne peuvent être remboursés. La valeur des biens s’effondre empêchant toute vente pour rembourser. Le PIB chute de 10%, la Couronne de 80%. Dans la nuit du 6 au 7 octobre 2008, une semaine folle commence. Les marchés sont fermés. Le contrôle des flux de capitaux est rétabli. La Banque Centrale garantit l’épargne des petites gens et le système de paiement lui est transféré pour que la société islandaise puisse continuer à vivre. L’Islande entre dans la survie (p. 22).
C’est là que la stratégie islandaise se différencie du reste du monde. L’Etat décide de ne pas socialiser les pertes des banques. C’était des banques privées et personne n’a jamais promis de couvrir leurs pertes, dira le Premier ministre. Etait-ce un vrai choix ? En fait les 3 banques pesaient 10 fois le PIB islandais et faisaient 75% de leur activité à l’étranger. L’Etat ne pouvait tout simplement pas les sauver, sauf à entrer lui-même dans la faillite. Mais l’Etat sauvegarde leur activité domestique en créant de nouvelles banques qui reprennent les activités nationales. On n’ira pas jusque la nationalisation. Les créanciers des anciennes banques ont le choix entre recevoir des actions des nouvelles banques ou des titres de dettes (p. 23). Fureur de Londres où sont majoritairement les créanciers, riches rentiers attirés par les placements juteux. L’Islande est mise par la Grande Bretagne sur la liste des pays terroristes, entraînant la gelée des actifs bancaires islandais à l’étranger (p. 34). Les trois banques sont aujourd’hui profitables. La leçon à tirer de l’expérience est qu’on doit essayer de sauver l’activité des banques, mais surtout pas leurs propriétaires. Ils doivent tout perdre. Et il faut remplacer la direction par de nouveaux dirigeants (p. 25). Ce choix sera appuyé par deux fois par la population, consultée par référendum (p. 36).
On réagit aussi intelligemment sur les dettes. Certes, le principe de faillite est plutôt sain dans une économie normale. Mais là, c’est toute la population qui est en faillite personnelle. A quoi bon saisir les maisons et jeter les familles à la rue ? Les banques ont accepté d’effacer la dette excédant 110% de la valeur du logement dont les Islandais étaient propriétaires. Ce qui à l’aune de l’écroulement du marché, était un grand effort. Mais les familles, du moins celles qui avaient encore un travail, ont pu rembourser et continuer à vivre (p. 61). On rend illégaux tous les prêts conclus en devises étrangères. On dévalue la couronne islandaise.
Mais il faut bien vivre. Comme personne ne prête plus à l’Islande, le pays s’adresse au FMI. C’est la première fois qu’un pays occidental y a recours. Le FMI n’exige pas une rigueur brutale et immédiate. C’est un programme de bon sens assez classique : impôt progressif sur le revenu, impôt sur la fortune, impôt sur les plus-values et de l’austérité budgétaire intelligente, en luttant dans la durée contre les déficits (p. 67).
On cherche aussi les responsabilités. Mais les « banksters » et les « néo-Vikings » vont s’en tirer, dispersés de par le monde, assis sur les biens qu’ils ont su engranger lorsque la bulle flamblait (p. 57).
La violence du choc économique a entrainé une révolution démocratique. Sans doute inévitable. Mais elle n’a pas dégénéré en émeutes violentes. On a créé une sorte d’assemblée constituante consultative qui a proposé des modifications constitutionnelles. Les citoyens étaient associés par les réseaux sociaux. C’est la première fois au monde qu’on discutait une Constitution par Twitter (le « crowdsourcing ») et qu’on pouvait voir tous les débats sur YouTube ! Ces modifications, dont le principe a été acté par référendum, doivent être votées deux fois par le Parlement islandais : une fois par le Parlement actuel, une autre fois par son successeur (élu en avril 2013)…
Quel résultat aujourd’hui ? L’Islande est repartie dans l’économie réelle : on épargne, on pêche, on développe le tourisme devenu bien plus attractif avec la baisse des prix, on développe les industries qui utilisent l’énergie naturelle, hydraulique et volcanique, disponible du pays. Les salaires ont baissé, mais les prix aussi. C’est devenu sain.
Le débat actuel porte sur la dernière contrainte. Comment se réinsérer dans l’économie mondiale en sortant du contrôle des changes ? Il faut d’abord se débarrasser de ce que les Islandais appellent « le paquet de neige » (p. 75). Il s’agit des actifs étrangers entrés dans le pays avant la crise et qui ne peuvent plus en sortir… 23% du PIB ! Le risque est la fuite des capitaux et l’effondrement de la Couronne, juste convalescente. Le débat porte aussi sur l’entrée dans l’€, car le krach de 2008 était aussi le résultat d’une assise trop faible de la monnaie, la plus petite devise du monde, comme aiment à dire les Islandais ! (p. 75).
La leçon de bon sens de l’affaire islandaise est que si emprunte on doit réaliser avec le prêt des projets rentables, qui permettront de rembourser l’excès de dette contractée. Tout le reste est illusion. Une règle dont les Calédoniens seraient bien inspirés de se souvenir.
Mathias Chauchat, professeur des universités, agrégé de droit public, à l’université de la Nouvelle-Calédonie