Commentaire sur l’avis de droit de Marcelo KOHEN sur la licéité internationale du projet de loi constitutionnelle relatif au « dégel » du corps électoral, rendu public par le FLNKS


Le FLNKS a mandaté M. Marcelo KOHEN, Professeur émérite de droit international à l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genève, concernant la conformité du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie avec les obligations internationales de la France.

L’apport principal de l’avis du 18 juillet 2024 est de revenir sur le rôle international dévolu à la puissance administrante en matière de décolonisation.  

Le contexte de décolonisation du pays

Du fait de son inscription sur la liste des territoires non autonomes, à l’ONU, la Nouvelle-Calédonie est un territoire « distinct et séparé » au sens de la résolution de l’Assemblée générale n° 2625 (XXV) du 24 octobre 1970. L’inscription de la Nouvelle-Calédonie au titre XIII de la Constitution française consacre cette première réalité juridique (n° 9).

Selon le Pr KOHEN, l’Accord de Nouméa est un accord de caractère international, aussi bien par les parties contractantes que par son contenu. L’existence des traités ou accords internationaux n’est pas limitée aux rapports inter-étatiques, comme le reconnaît la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, qui régit uniquement les traités conclus entre des États. Les accords conclus entre États et mouvements de libération nationale en constituent des exemples. Du point de vue de son contenu, l’Accord de Nouméa a trait à la manière de mettre fin à la situation coloniale d’un territoire non autonome. Il est considéré comme une pièce fondamentale du processus de décolonisation par les Nations Unies (n° 60-62)

La France n’exerce plus en Nouvelle-Calédonie un pouvoir pleinement souverain, mais seulement les pouvoirs limités que lui confère sa mission de puissance administrante, sous le contrôle de l’ONU pour la décolonisation. Elle a donc uniquement compétence pour gérer cette phase transitoire dans l’attente de l’expression de la volonté « libre et authentique » des populations intéressées. Dans sa résolution du 16 décembre 2022, l’Assemblée générale a estimé que le processus de l’Accord n’avait pas été mené à terme par le 3e référendum contesté (n° 41-42).

L’illégalité d’une modification unilatérale du corps électoral citoyen au regard du droit international.

Plusieurs résolutions de l’Assemblée générale visent la colonisation de peuplement, telles que la Résolution 2105 (XX) du 29 décembre 1965 par laquelle cette dernière : « [f]ait appel aux puissances coloniales pour qu’elles mettent fin à leur politique qui viole les droits des peuples coloniaux par l’afflux systématique d’immigrants étrangers et par la dispersion, la déportation et le transfert des autochtones ». De même, en vertu de la Résolution 35/118, adoptée en vue de l’application de la Résolution 1514 (XV) : « [l]es États Membres adopteront les mesures nécessaires pour décourager ou prévenir l’afflux systématique dans les territoires sous domination coloniale d’immigrants et de colons venus de l’extérieur qui bouleverse la composition démographique de ces territoires et peut être un obstacle majeur à l’exercice véritable du droit à l’autodétermination et à l’indépendance par les habitants de ces territoires » (n° 47-48).

Le projet de modification constitutionnelle suivant lequel toute personne ayant la nationalité française et domiciliée en Nouvelle-Calédonie depuis au moins 10 ans pourrait faire partie du corps électoral au titre de la LESP (liste électorale spéciale provinciale) paraît considérer que le statut international de la Nouvelle-Calédonie a cessé du fait de l’organisation de la troisième consultation de 2021 et qu’il appartient désormais à la France de décider seule le régime électoral du pays. C’est la position du Conseil d’État français, dans son avis du 7 décembre 2023, qui considère que « la compatibilité des règles en vigueur avec les engagements internationaux de la France est incertaine alors que le processus défini par l’accord de Nouméa est achevé. »

Dans ces conditions, toute prétention à modifier unilatéralement cet accord, que ce soit par l’une quelconque des parties, n’a pas d’effets juridiques internationaux, comme ce serait le cas pour tout autre accord soumis au droit international (n° 62). On notera que la formule « par l’une quelconque des parties » pourrait viser également une proclamation unilatérale d’indépendance, aussi longtemps que l’Accord demeure en vigueur.

Les conclusions sont les suivantes (n° 63) :

Le maintien de la position de la France quant à l’extinction de l’Accord de Nouméa constituerait une violation substantielle dudit Accord et une violation grave d’une règle impérative du droit international, à savoir le droit des peuples à disposer d’eux- mêmes ;

S’agissant du projet de loi constitutionnel litigieux, la modification unilatérale du corps électoral restreint par la France serait également illégale comme constituant une violation grave du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, reconnue comme norme de jus cogens aux effets erga omnes ;

En tant que telle, cette modification unilatérale ne serait opposable ni au peuple kanak, ni au peuple de Nouvelle-Calédonie, d’une part, ni aux Nations Unies, ni aux autres organisations internationales et aux États tiers, d’autre part ;

La France a l’obligation de reconnaître que l’Accord de Nouméa est toujours applicable et doit renoncer à déclencher et à mettre en œuvre une modification unilatérale des conditions fixées dans sa Constitution, en exécution de cet accord, concernant le déroulement des élections provinciales.

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Concrètement, le droit international applicable à la Nouvelle-Calédonie confirme les perspectives juridiques de discussion du FLNKS avec la France sur deux points sensibles au moins :

La question du report des élections provinciales, suspendu à une relance du processus de modification du corps électoral, paraît être ni conforme au droit international, ni à la Constitution française dans sa rédaction actuelle.

La question des prisonniers politiques (selon le FLNKS) ou de droit commun (selon le point de vue français) est également appréhendée par le droit international. La résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale du 14 décembre 1960 qui a fondé le droit des peuples coloniaux à leur indépendance indique aussi à son point 4 « qu’il sera mis fin (…) à toutes mesures de répression, de quelque sorte qu’elles soient, dirigées contre les peuples dépendants, pour permettre à ces peuples d’exercer pacifiquement et librement leur droit à l’indépendance complète, et l’intégrité de leur territoire national sera respectée. » L’imputabilité d’exactions à des consignes politiques alléguées sera particulièrement questionnée.

Au-delà des seules discussions avec la puissance administrante, le statut juridique du FLNKS et celui de l’Accord de Nouméa permettent d’ouvrir des discussions dans le cadre international. Le 23 juillet, Mark Brown, président en exercice du Forum des îles du Pacifique (FIP) et Premier ministre des îles Cook, a annoncé que la « troïka » du FIP se rendrait en Nouvelle-Calédonie. La troïka se compose de l’ancien, de l’actuel et du prochain président du FIP, à savoir le Premier ministre des îles Fidji, Sitiveni Rabuka, le Premier ministre des îles Tonga, Hu’akavemeiliku Siaosi Sovaleni et du président en exercice, le Premier ministre Brown des Cook.

Leur objectif est « d’aider toutes les parties à résoudre cette situation de la manière la plus pacifique et la plus rapide possible ». La France vient d’accepter le principe de cette mission qui arriverait très rapidement.

Ces éléments juridiques de droit international permettent de comprendre la complexité de la reprise nécessaire du dialogue politique en Nouvelle-Calédonie.

Mathias CHAUCHAT, professeur de droit public à l’Université de la Nouvelle-Calédonie

L’avis du professeur KOHEN (en illustration), qui est disponible ici, ouvre une discussion juridique de droit international comme de droit interne que l’université a vocation à relayer.

240718 – Prof. KOHEN – Avis de droit