État d’urgence sanitaire et conflit de compétences : la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire
La loi organique confie au pays la compétence de la « protection sociale, hygiène publique et santé et contrôle sanitaire aux frontières » (article 22-4° de la loi organique), alors que l’État est compétent pour « la garantie des libertés publiques » (article 21 I 1° de la loi organique), ainsi que pour « la desserte maritime et aérienne entre la Nouvelle-Calédonie et les autres points du territoire de la République » (article 21 I 6° de la loi organique), c’est-à-dire la continuité territoriale qui limite sa compétence localement à la France, Wallis-Et-Futuna et la Polynésie, mais pas aux autres vols internationaux.
La Nouvelle-Calédonie s’est protégée de la contamination par la mise en place d’une quatorzaine universelle en structure dédiée fermée. Elle est un de rares pays Covid-free. La sensibilité du pays est extrême sur le sujet. Le contact des Européens avec les îles du Pacifique a fait des ravages en permettant l’introduction de maladies continentales contre lesquelles les populations insulaires isolées n’étaient pas immunisées. Le traumatisme des ravages des grippes coloniales est encore bien présent dans la mémoire collective du peuple kanak.
La quarantaine en milieu dédié et fermé est la recommandation du Conseil scientifique national, dans un avis rendu le 12 mai sur le déconfinement. Il estime qu’il s’agit de la meilleure prévention, surtout pour les pays exempts du virus, « sans réintroduire le virus là où il n’est plus présent » et que la quatorzaine à domicile est « une contrainte et un risque pour tout le foyer ». L’expérience des confinements à domicile en Nouvelle-Calédonie a montré que la quatorzaine n’excluait pas les visites familiales et amicales, ni les sorties, malgré le contrôle de la DASS-NC, l’une des 23 directions du gouvernement. Les élites administratives de l’État et du pays se sont d’ailleurs elles-mêmes très largement exonérées de ces contraintes, lorsque la quatorzaine fermée ne leur a pas été imposée.
L’enjeu du conflit de compétences et de la recentralisation des pouvoirs au profit de l’État français porte sur la pérennité de cette quatorzaine fermée et la protection de la santé, mais aussi d’un mode de vie non altéré en Nouvelle-Calédonie, autant sur les baies de Nouméa que dans les tribus avec la réouverture des coutumes.
Les menaces de troubles à l’ordre public par les coutumiers ont accéléré la fermeture de l’espace aérien, malgré la volonté du représentant de l’État de conserver ouvert le lien de continuité territoriale. La lettre ouverte, en date du 14 mai, du président de l’Union calédonienne au président du gouvernement lui demandant de conserver la quatorzaine stricte et fermée, au risque de la chute du gouvernement par démission de la composante Union calédonienne, a abouti au communiqué du Haut-commissaire en date du 15 mai 2020, par lequel il reconnaît que « cette loi ne remet pas en cause les dispositions relatives au contrôle sanitaire aux frontières qui relèvent de la Nouvelle-Calédonie. Dans ce cadre, le dispositif arrêté conjointement (par le président du gouvernement et le représentant de l’État) va continuer d’être mis en œuvre sous le contrôle du juge des libertés et de la détention ».
Le président du gouvernement et le Haut-commissaire ont décidé conjointement de demander à chaque passager de s’engager à respecter le protocole d’entrée en Nouvelle Calédonie en signant la déclaration suivante : « J’accepte le protocole établi par la DASS-NC conformément aux compétences de la Nouvelle-Calédonie en matière de contrôle sanitaire aux frontières, qui prévoit, dans un premier temps, ma mise en quarantaine stricte dans un hôtel pour une durée de 14 jours, renouvelable pour une durée de 7 jours à domicile ». En cas de refus, la personne n’embarque pas dans l’avion.
- Chronologie rapide de la crise sanitaire
La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 a instauré sur l’ensemble du territoire national (et en Nouvelle-Calédonie) un état d’urgence sanitaire à compter du 24 mars 2020. L’article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 du Premier ministre sur le confinement, pris en application de la loi, a été rendu expressément applicable en Nouvelle-Calédonie, par son article 14. Cela signifie que la mesure de confinement s’applique directement en Nouvelle-Calédonie sans autre formalité depuis le 24 mars 2020.
C’est en raison de l’imbrication des compétences et de l’urgence qu’un arrêté conjoint n° 2020-4608 a été signé le 23 mars 2020par le Haut-commissaire et le président du gouvernement, instrument unique dans lequel on retrouve les atteintes, fortes et très réelles, aux libertés publiques élémentaires et les mesures sanitaires.
L’ordonnance n° 2020-463 du 22 avril 2020adaptant l’état d’urgence sanitaire à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et à Wallis-Et-Futuna, a recentralisé la gestion de la crise sanitaire dans le Pacifique et confié les compétences au Premier ministre, au ministre de la santé et aux préfets (Haut-commissaire).
L’avis de la Commission permanente du Congrès du 21 avril 2020 sur ce texte a été réservé et le Congrès a demandé le maintien du système de l’arrêté conjoint.
La loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire
- maintient une gestion centralisée de la crise par l’État, représenté localement par le Haut-commissaire ;
- corrige certains abus de l’ordonnance n° 2020-463 sur les compétences respectives de l’Étatet de la Nouvelle-Calédonie ;
- désarme préventivement la Nouvelle-Calédonie, traitée comme un département, et qui sera très encadrée dans les modalités à adopter, identiques dans tout l’outre-mer français.
Cette loi a été déclarée en urgence conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (Cons. const. décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020).
Les parlementaires calédoniens issus de Calédonie ensemble n’ont pas « saisi » le Conseil constitutionnel ; il l’a été par le président de la République, le président du Sénat et 60 parlementaires socialistes, autres qu’eux. Les trois parlementaires de Calédonie ensemble ont apporté d’importantes « observations », mais le Conseil constitutionnel n’était pas tenu d’y répondre, car les saisines du président de la République, du président du Sénat et des parlementaires n’évoquaient pas ces points, sans doute parce qu’il y a consensus en France sur une gestion nationale et centralisée de la crise sanitaire.
Parmi ces observations, on notera qu’une loi simple, à la suite d’une ordonnance, a porté atteinte aux compétences du pays résultant d’une loi organique, de valeur supérieure, sans la consultation requise du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, alors même que le transfert des compétences avait été sacralisé dans l’Accord de Nouméa, à valeur constitutionnelle, par le principe de l’irréversibilité constitutionnelle ; le Conseil constitutionnel n’a tenu aucun compte de leurs observations.
Pour le Conseil constitutionnel, cons. 17. « La Constitution n’exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence sanitaire. Il lui appartient, dans ce cadre, d’assurer la conciliation entre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figurent la liberté d’aller et de venir, composante de la liberté personnelle,protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, le droit au respect de la vie privée garanti par cet article 2, la liberté d’entreprendre qui découle de cet article 4, ainsi que le droit d’expression collective des idées et des opinions résultant de l’article 11 de cette déclaration ».
Cons. 33. « En cas d’interdiction de toute sortie, les mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement constituent une privation de liberté.Il en va de même lorsqu’elles imposent à l’intéressé de demeurer à son domicile ou dans son lieu d’hébergement pendant une plage horaire de plus de douze heures par jour ».
Cons. 34. « En premier lieu, l’objet des mesures de mise en quarantaine et de placement en isolement, tel que défini à l’article 1er du règlement sanitaire international de 2005 auquel renvoient les dispositions contestées, est d’assurer la mise à l’écart du reste de la population des personnes qui en font l’objet en les soumettant à un isolement, le cas échéant complet, dans le but de prévenir la propagation de la maladie à l’origine de la catastrophe sanitaire. En adoptant ces dispositions, le législateur a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé ».
Cons. 41. « La liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ».
Il ne faut pas excessivement compter sur la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à l’occasion de la contestation d’un acte pris en application de la loi. En effet, la QPC n’est plus possible, lorsque le Conseil constitutionnel a validé le dispositif législatif, sauf bouleversement des circonstances de la loi. Le Conseil ne s’étant pas prononcé sur tous les articles de la loi, il demeure un espace possible pour contester ces seules dispositions. C’est le cas des dispositions sur l’Outre-mer, contenues dans l’article 12 de la loi, et notamment l’article L. 3841-2 du Code de la santé publique, sur lequel il ne s’est pas prononcé. Sur les autres points, la décision étant intervenue, il n’y a, pour l’essentiel, plus de recours en inconstitutionnalité possible contre la loi promulguée. A défaut de QPC, on peut soit demander une modification de la loi au Premier ministre, formule choisie par les parlementaires calédoniens issus de Calédonie ensemble, soit raisonner pour ne pas en tenir compte, puisque intervenue hors du périmètre des compétences de l’État, formule implicitement retenue par le représentant de l’État.
- Les stratégies de la France et du pays divergent
La stratégie de la Nouvelle-Calédonie a été efficace, malgré le retard mis par le Haut-commissaire à suspendre les vols aériens. La quatorzaine stricte hôtelière et universelle, augmentée d’une semaine à domicile, a permis l’éradication de la circulation du Covid-19 dans le pays. Nous sommes un des rares Covid-free country. La stratégie sanitaire du pays consiste à empêcher le virus de rentrer et permettre à la population une vie normale et une protection sanitaire absolue, les populations ayant des facteurs de comorbidité importants (obésité et diabète).
La stratégie de la France est très différente. Le pays étant infecté, la stratégie consiste à éviter une propagation trop rapide par pic épidémique, par un confinement à domicile, dont l’objectif à terme est l’immunité collective de la population. L’application de la stratégie nationale à la Nouvelle-Calédonie n’empêche pas l’arrivée du virus, mais se contente d’en prévenir une trop forte propagation.
Ces stratégies sont incompatibles. L’arrivée d’un seul cas autochtone en Nouvelle-Calédonie générerait des mesures contraignantes et coûteuses pour toute la population, avec sans doute une reprise du confinement.
Ces mesures nouvelles de la loi d’urgence sanitaire visent à rouvrir l’espace aérien et la continuité territoriale avec la France. L’arrivée des relèves de militaires français, dont la quatorzaine s’effectuerait par dérogation en caserne, est particulièrement redoutée comme une source potentielle de contamination du pays. Mais cette politique nationale, qui offre des garanties sanitaires très insuffisantes, en permettant certains contacts à domicile et l’introduction au pays de porteurs sains du virus, va s’appliquer à un pays exempt du Covid-19 dont elle amoindrit toute la stratégie. La France a ainsi fait le choix de faire primer le lien de continuité territoriale sur la protection des populations locales et cette intervention de l’État pour limiter la protection sanitaire du pays est susceptible de générer de graves troubles à l’ordre public.
- L’économie générale de la loi
3.1. L’article 12 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, relatif à l’outre-mer, modifie et rend applicable l’art. L. 3841-2 du Code de la santé publique, créé par l’ordonnance n° 2020-463 du 22 avril 2020, dans sa nouvelle rédaction. L’article L. 3841-2, issu à l’origine de l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-463, acquiert ainsi valeur législative. Le Conseil constitutionnel ne s’est toutefois pas prononcé sur la constitutionnalité de cet article.
Cet article confisquait les compétences de contrôle sanitaire aux frontières de la Nouvelle-Calédonie au profit du Haut-commissaire de la République :
« Art. L. 3841-2.-Le chapitre Ier bis du titre III du livre Ier de la troisième partie est applicable en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française jusqu’au 1er avril 2021, sous réserve des adaptations suivantes :
« 1° Les références au département sont remplacées, selon le cas, par la référence à la Nouvelle-Calédonieou par la référence à la Polynésie française ;
« 2° Le premier alinéa de l’article L. 3131-17 est remplacé par les deux alinéas suivants :
« Lorsque le Premier ministre ou le ministre chargé de la santé prennent des mesures mentionnées aux articles L. 3131-15 et L. 3131-16 et les rendent applicables à la Nouvelle-Calédonie ou à la Polynésie française, ils peuvent habiliter le haut-commissaireà les adapter en fonction des circonstances locales et à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d’application de ces dispositions, lorsqu’elles relèvent de la compétence de l’État et après consultation du gouvernement de la collectivité.
Lorsqu’une des mesures mentionnées aux 1°, 2° et 5° à 9° du I de l’article L. 3131-15ou à l’article L. 3131-16 doit s’appliquer dans un champ géographique qui n’excède pas la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française, les autorités mentionnées aux mêmes articles peuventhabiliter le haut-commissaireà la décider lui-même, assortie des adaptations nécessaires s’il y a lieu et dans les mêmes conditions qu’au premier alinéa ».
Il s’agissait et il s’agit encore d’un empiètement parl’Étatsur la compétence de la Nouvelle-Calédonie de « contrôle sanitaire aux frontières », devenue consultative, contraire à l’Accord de Nouméa. Cet empiètement ne peut résulter d’une simple loi. Il faut a minima une loi organique et il faudrait qu’elle soit conforme à la Constitution. De plus, le Congrès n’a pas été consulté en amont.
L’État a, à la fois, partiellement corrigé et couvert l’illégalité du dispositifde l’ordonnance par la loi,sachant que, pour l’essentiel, cette question ne serait pas mise en cause devant le Conseil constitutionnel. Seuls les 3 parlementaires de Calédonie ensemble ont apporté des « observations », mais le Conseil constitutionnel n’était pas tenu d’y répondre.
Le dispositif initial confiait au Haut-commissaire toutes les compétences de l’article L. 3131-15 du Code de la santé.
La formule anciennede l’ordonnance était celle-ci :
« Lorsqu’une des mesures mentionnées aux 1° à 9° de l’article L. 3131-15ou à l’article L. 3131-16 doit s’appliquer dans un champ géographique qui n’excède pas la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française, les autorités mentionnées aux mêmes articles peuvent habiliter le haut-commissaire à la décider lui-même, assortie des adaptations nécessaires s’il y a lieu et dans les mêmes conditions qu’au premier alinéa. »
Aujourd’hui, la formule corrigée limite la compétence du Haut-commissaire « aux 1°, 2° et 5° à 9° du I de l’article L. 3131-15 » ; le Haut-commissaire gère ainsi directement :
1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer l’accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage ;
2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ;
5° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, en garantissant l’accès des personnes aux biens et services de première nécessité ;
6° Limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature ;
7° Ordonner la réquisition de toute personne et de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire. L’indemnisation de ces réquisitions est régie par le code de la défense ;
8° Prendre des mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits rendues nécessaires pour prévenir ou corriger les tensions constatées sur le marché de certains produits ; le Conseil national de la consommation est informé des mesures prises en ce sens ;
9° En tant que de besoin, prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de la catastrophe sanitaire ;
Et le président du gouvernement récupère (ce qui prouve que l’ordonnance n° 2020-463 est illégale) :
3° Ordonner des mesures ayant pour objet la mise en quarantaine, au sens de l’article 1er du règlement sanitaire international de 2005, des personnes susceptibles d’être affectées ;
4° Ordonner des mesures de placement et de maintien en isolement, au sens du même article 1er, à leur domicile ou tout autre lieu d’hébergement adapté, des personnes affectées ;
Pour le Congrès, qui a détaillé la liste des compétences, relèvent de la compétence de l’Étatles alinéas 1°) ; 2°) ; 5°) ; 6°) ; 10°) des articles L. 3131-15 du Code de la Santé et de la Nouvelle-Calédonie les alinéas (3°) ; 4°) ; 7°) ; 8°) ; 9°), ainsi que celles de l’article L. 3131-16. Le compte n’y est pas. Il y a bien empiètement de compétences, même si la question la plus sensible des quatorzaines (le 3°) a été laissée au président du gouvernement, mais de manière très encadrée et peu étanche (confinement à domicile, sans prolongation au-delà que 14 jours et sous le contrôle du juge).
Cette restitution de compétences au président du gouvernement est très ambigüe. Il s’agit de faire endosser la responsabilité au président du gouvernement de la protection du pays, tout en ayant encadré son action de limitations si précises qu’elles rendent la protection inefficace. Le système de quatorzaine autorisé par l’État ne sera pas étanche, parce qu’il n’est conçu que pour étaler l’épidémie, pas la stopper, et le virus va inévitablement entrer.
3.2. La nouvelle loi rend applicable l’article L. 3131-15 du Code de la santé publique dans sa nouvelle rédaction législative.
Le plus grand changement, issu de la nouvelle rédaction de l’article L. 3131-15, qui permet à la fois le confinement et la quarantaine, est celui-ci :
Les mesures prévues aux 3° et 4° du I du présent article (3131-15) ayant pour objet la mise en quarantaine, le placement et le maintien en isolement « ne peuvent viser que les personnes qui, ayant séjourné au cours du mois précédent dans une zone de circulation de l’infection,entrent sur le territoire national, arrivent en Corse ou dans l’une des collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution (dont la Nouvelle-Calédonie).La liste des zones de circulation de l’infection est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé. Elle fait l’objet d’une information publique régulière pendant toute la durée de l’état d’urgence sanitaire ».
« Les mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement peuvent se dérouler, au choix des personnes qui en font l’objet, à leur domicile ou dans les lieux d’hébergement adapté.
« Leur durée initiale ne peut excéder quatorze jours. Les mesures peuvent être renouvelées, dans les conditions prévues au III de l’article L. 3131-17 du présent code, dans la limite d’une durée maximale d’un mois. Il est mis fin aux mesures de placement et de maintien en isolement avant leur terme lorsque l’état de santé de l’intéressé le permet ».
S’agissant de l’outre-mer, il a néanmoins été ajouté à l’article 12 de la loi :
« IV.- Par dérogation au troisième alinéa du II de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, le représentant de l’État peut s’opposer au choix du lieu retenu par l’intéressé s’il apparaît que ce lieu ne répond pas aux exigences sanitaires qui justifient son placement en quarantaine à son arrivée dans l’une des collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution ».
Cette disposition qui représente une source potentielle importante de discriminations entre le public bien logé et susceptible de faire une quatorzaine à la maison et le public vivant en tribu ou dans les cités qui sera confiné en structure dédiée, a été utilisée dans la communication de l’État pour justifier le maintien des structures hôtelières dédiées. La simple lecture de cet alinéa montre qu’il s’agit de dérogations individuelles et que cet alinéa ne peut juridiquement servir à fonder une politique de quatorzaine universelle.
Concrètement, le ministre national fixerait les listes des zones infectées. Potentiellement, un Français d’un département vert ne serait pas soumis à restriction à l’arrivée, alors qu’un Français d’un département rouge le serait (ce classement en départements rouge ou vert résulte du décret n° 2020-545 du 11 mai 2020). L’Australie serait, par exemple, considérée nationalement comme sûre et les Australiens pourraient n’avoir pas de quatorzaine, alors que la stratégie du pays vise à confiner tout le monde (notamment les vols de Sydney, ville infectée), en l’attente d’un accord sur la libre circulation dans le Pacifique (Australie, Nouvelle-Zélande, Fidji et autres pays insulaires Covid-free).
Dès le 13 mai, les personnes en quatorzaine pourraient demander au juge des libertés et de la détention de sortir, après avoir fait constater que l’arrêté du ministre sur les zones contaminées de l’article L. 3131-15 n’a pas été publié et que le Haut-commissaire ne leur a pas proposé le confinement à domicile… Le pays devenait ouvert, de fait, à compter du 13 mai.
3.3. La nouvelle loi rend applicable l’article L. 3131-16 du Code de la santé publique dans sa nouvelle rédaction législative
L’article 3131-16 permet au ministre de prendre toute mesure réglementaire relative à l’organisation de la santé, ce qui relève exclusivement de la compétence du pays.
Sur ce fondement, déjà présent dans l’ordonnance n° 2020-463, le décret n° 2020-545 du 11 mai 2020 a été publié. Applicable à la Nouvelle-Calédonie, il prive le président du gouvernement de ses compétences en matière de réquisition de masques, d’organisation de la santé, de contrôle des prix, etc.
3.4. La nouvelle loi rend applicable l’article L. 3131-17 du Code de la santé publique dans une nouvelle rédaction législative
Cet article L. 3131-17 autorise le recours devant le juge des libertés et de la détention : « II. – Les mesures individuelles ayant pour objet la mise en quarantaine et les mesures de placement et de maintien en isolement sont prononcées par décision individuelle motivée du représentant de l’Étatdans le département sur proposition du directeur général de l’agence régionale de santé. Cette décision mentionne les voies et délais de recours ainsi que les modalités de saisine du juge des libertés et de la détention.
« Le placement et le maintien en isolement sont subordonnés à la constatation médicale de l’infection de la personne concernée. Ils sont prononcés par le représentant de l’Étatdans le département au vu d’un certificat médical.
« Les mesures mentionnées au premier alinéa du présent II peuvent à tout moment faire l’objet d’un recours par la personne qui en fait l’objet devant le juge des libertés et de la détention dans le ressort duquel se situe le lieu de sa quarantaine ou de son isolement, en vue de la mainlevée de la mesure. Le juge des libertés et de la détention peut également être saisi par le procureur de la République territorialement compétent ou se saisir d’office à tout moment. Il statue dans un délai de soixante-douze heures par une ordonnance motivée immédiatement exécutoire.
« Les mesures mentionnées au même premier alinéa ne peuvent être prolongées au-delà d’un délai de quatorze jours qu’après avis médical établissant la nécessité de cette prolongation.
« Lorsque la mesure interdit toute sortie de l’intéressé hors du lieu où la quarantaine ou l’isolement se déroule, elle ne peut se poursuivre au-delà d’un délai de quatorze jours sans que le juge des libertés et de la détention, préalablement saisi par le représentant de l’Étatdans le département, ait autorisé cette prolongation ».
- La Nouvelle-Calédonie doit reprendre sa maîtrise du contrôle sanitaire aux frontières
4.1. La fragilité de la situation actuelle
Le maintien annoncé par le Haut-commissaire des quatorzaines strictes en site dédié, sous la réserve de la clarification de la situation des relèves des militaires français, évite les troubles à l’ordre public et laisse un temps limité pour agir.
La situation est fortement évolutive en raison des recours qui ne manqueront pas d’être entrepris par les personnes confinées, malgré parfois leur consentement dans le cadre des rapatriements. Le Haut-commissaire, dans son communiqué, a parlé de recours possibles devant le juge des libertés et de la détention, ce qui est le mécanisme mis en place par la loi et exigé par un impératif constitutionnel. Nous n’étions pas sans juge avant, car le tribunal administratif pouvait parfaitement se saisir de la question. En Polynésie française, des ressortissants soumis à la quatorzaine ont demandé par référé au juge administratif d’être transférés chez eux, au nom des libertés publiques et de l’entrée en vigueur de la loi n° 2020-546 de prolongation de l’état d’urgence sanitaire ; ils ont obtenu du juge leur transfert à domicile (TAPF, ordonnance n° 2000310 du 15 mai 2020, M et Mme L.). La situation des compétences en Polynésie n’est toutefois pas identique à celle de la Nouvelle-Calédonie.
Que fera le juge dans le cas calédonien ?
Le juge a le premier choix de l’apparence : appliquer une loi pourtant inconstitutionnelle, mais qui a été proclamée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, sans toutefois qu’il se prononce sur les dispositions relatives à la Nouvelle-Calédonie ; il « libérera » alors les demandeurs en les confinant chez eux, au risque de troubles importants à l’ordre public.
Le juge a le second choix de la réalité : la loi peut être considérée comme non applicable en Nouvelle-Calédonie en raison de l’absence pour l’Étatde la compétence de « contrôle sanitaire aux frontières » qui relève de la Nouvelle-Calédonie. La Nouvelle-Calédonie n’est d’ailleurs qu’évoquée indirectement dans la loi sous la litote « dans l’une des collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution ».
Cet article de la Constitution dit ceci : « La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité. La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis et Futuna et la Polynésie française sont régis par l’article 73 pour les départements et les régions d’outre-mer et pour les collectivités territoriales créées en application du dernier alinéa de l’article 73, et par l’article 74 pour les autres collectivités.
Le statut de la Nouvelle-Calédonie est régi par le titre XIII (…) ».
Cette mention de la Nouvelle-Calédonie est précisément à l’article 72-3 une mention d’exclusion ; ainsi, le peuple kanak est un peuple distinct du peuple français avec lequel il partage pour une durée transitoire la même nationalité, et pas une population d’outre-mer de l’art. 72-3. Sans travestir la réalité, le juge pourrait considérer que la Nouvelle-Calédonie est exclue du dispositif national. Le juge se reconnaîtrait toutefois compétent pour préserver les libertés publiques sur le fondement de la décision du Conseil constitutionnel, sans cautionner pour autant le droit législatif à la quatorzaine à domicile.
4.2. Une coopération nécessaire entre l’État français et la Nouvelle-Calédonie
Le Congrès pourrait voter rapidement une loi du pays d’urgence sanitaire, limitée aux questions en cause, qui permettrait à la Nouvelle-Calédonie d’exercer pleinement sa compétence santé et de contrôle sanitaire aux frontières en habilitant le président du gouvernement à signer les arrêtés de quatorzaine en milieu fermé et en lui permettant d’exercer l’intégralité des compétences du pays. Ce serait d’ailleurs curieusement une simple délibération du Congrèsqui reprendrait la délibération n° 421 du 26 novembre 2008, en l’actualisant, relative au système de veille sanitaire, de contrôle sanitaire aux frontières et de gestion des situations de menaces sanitaires graves. En effet, cette question n’est pas au nombre de celles qui relèvent du domaine matériel de la loi du pays au titre de l’article 99 de la loi organique. Ce n’est pas inconcevable. Si le pays agit dans ses propres limites de compétences, il peut par une simple délibération contredire une loi, même nationale, qui agit de son côté en dehors de ses propres limites. Et ce, d’autant plus facilement qu’on admettrait, comme l’a fait lui-même le Haut-commissaire, qu’elle ne peut s’appliquer à la Nouvelle-Calédonie en affectant ses propres compétences. L’État, de son côté, communiquerait clairement en ce sens, en reconnaissant la non application de la loi à la Nouvelle-Calédonie.
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En définitive, on apprend toujours des crises, car elles tendent à accélérer les penchants dominants d’une société. La France s’est immédiatement recentralisée autour des autorités nationales et de ses préfets napoléoniens, laissant un espace de contestation immense qui va des grands aux petits élus locaux, peu impliqués, en passant par toutes les forces sociales négligées.
La Nouvelle-Calédonie s’est identifiée à son propre espace et la volonté de se protéger va largement au-delà des seuls Kanak et Océaniens, comme les ralliements successifs, et parfois tardifs, de tous les partis non indépendantistes à la politique de confinement fermé du pays l’ont montré. Ce sentiment alimente une impression diffuse de conflit de légitimité, sinon de souveraineté.
Il ne faut pas sous-estimer les dommages collatéraux qui ont été commis dans cette affaire. La reprise immédiate, en cas de crise, d’une gouvernance nationale et centralisée va rester durablement dans les mémoires. Une loi simple, à la suite d’une ordonnance, a porté atteinte aux compétences du pays résultant d’une loi organique, de valeur supérieure, sans la consultation requise du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, alors même que le transfert des compétences avait été sacralisé dans l’Accord de Nouméa, à valeur constitutionnelle, par le principe de l’irréversibilité constitutionnelle. Il est inévitable, dans un pays de culture du palabre et « Terre de parole », que les partenaires de l’Accord de Nouméa s’interrogent à l’avenir sur la réalité de la parole donnée par la France. La suite de la gestion de la crise sanitaire va le montrer.
Mathias Chauchat, professeur de droit public à l’Université de la Nouvelle-Calédonie.