Immobilier, où en est-on ?


09-12-2010
Par Admin Admin

Selon le prix Nobel d’économie américain, Joseph Stiglitz, « une bulle est un état du marché dans lequel la seule raison pour laquelle le prix est élevé aujourd’hui est que les investisseurs pensent que le prix de vente sera encore plus élevé demain, alors que les facteurs fondamentaux ne semblent pas justifier un tel prix ». Dans l’ouvrage « Vers un développement citoyen », publié en 2006, il avait été signalé que la Nouvelle-Calédonie était entrée dans une telle période. La création d’un impôt sur les plus-values immobilières (p. 96) et l’arrêt des niches fiscales favorisant ce secteur (p. 102) était argumenté. On se reportera à :

http://larje.univ-nc.nc/index.php?option=com_content&view=article&id=117:le-livre-qvers-un-developpement-citoyenq-est-on-line&catid=15:droit-de-la-nouvelle-caledonie&Itemid=46

La situation n’a pas été corrigée. Par effet d’imitation avec la plupart des économies occidentales dont la France comme par facilité, la Nouvelle-Calédonie a continué à miser sur le secteur de la construction comme vecteur de croissance et de développement. On a aisément confondu endettement et richesse, consommation et développement.

Les prix ont continué de croître. Les raisons en étaient déjà données en 2006 : baisse exceptionnelle des taux d’intérêts, allongement de la durée des prêts, effacement de la prime de « risque politique », immigration métropolitaine, des retraités de la fonction publique notamment, et tout simplement perte des repères économiques fondamentaux (p. 96). Les Etats eux-mêmes se sont laissé aller à la facilité de l’endettement. On a simplement remplacé l’absence de croissance par de la dette et vécu d’illusion. Le constat est pourtant devenu évident aux USA, en Grèce ou en Irlande.

Il faut craindre les bulles immobilières

Or, il faut craindre les bulles immobilières. Au plan économique, l’augmentation des prix de l’immobilier conduit à surévaluer les actifs existants peu innovants et abrités de la concurrence, au détriment des actifs productifs susceptibles de générer de la croissance. L’effet « richesse » pousse à consommer, ce qui creuse le déficit extérieur sans gain de productivité. On achète par exemple des voitures de plus en plus grosses, car rapportées à la valeur putative de la maison, elles paraissent bon marché ! Au plan social, la bulle immobilière a un coût extraordinaire sur les plus défavorisés, qui ne peuvent plus se loger, ainsi que sur les programmes sociaux de logements, qui peinent à tenir la cadence en achetant des terrains de plus en plus chers, sans pouvoir augmenter les prix de location. Les inégalités explosent, celles du patrimoine étant beaucoup plus fortes que celles du revenu. Les bulles, lorsqu’elles crèvent, mènent à des récessions longues et douloureuses.

Les bulles immobilières sont un transfert de richesse au détriment des jeunes et au profit des seniors, qui achèvent ainsi de détruire l’avenir qu’ils laissent derrière eux (dette publique, dette écologique et dette privée). Etant devenus propriétaires à un moment favorable, ils peuvent revendre et entretenir leur bien-être ou ceux de leurs héritiers au détriment des jeunes. En dix ans, l’endettement des ménages français est passé de 50,7 % du revenu disponible en 1998 à 74,8 % en 2009, selon l’Insee ; 24 points de hausse, c’est considérable et inédit depuis l’après-guerre ! Cela a été notamment permis par un allongement sans précédent de la durée moyenne des crédits immobiliers, passée de quatorze ans en 2000 à plus de dix-huit ans en 2009, ce qui a augmenté artificiellement la capacité d’achat de 30 %. Cette dette pèse surtout sur les jeunes primo-accédants qui se sont endettés au maximum de leurs possibilités. Ces derniers, endettés pour longtemps, courent des risques supplémentaires dans la mesure où ce patrimoine est excessivement concentré, peu liquide et non divisible. Cet arbitrage social au profit des seniors, des rentiers et des héritiers est typique des sociétés vieillissantes. La concentration du patrimoine y est proportionnelle à l’âge et les solidarités collectives s’y effacent, ce que la dégradation des finances publiques va aggraver (Le Monde du 3 décembre 2010, entretien avec Jean-Pierre Petit, propos recueillis par Isabelle Rey-Lefebvre). L’histoire ne peut que mal finir. Ni la France, ni la petite Nouvelle-Calédonie n’échapperont au retour du réel.

Le retour aux réalités

L’économiste Jacques Friggit, chargé de mission au Conseil général de l’environnement et du développement durable, instance consultative du Ministère de l’Ecologie, du développement durable, des transports et du Logement (http://www.cgedd.developpement-durable.gouv.fr/), scrute l’évolution depuis 1965 du revenu disponible par ménage sur l’ensemble de la France et l’indice du prix des logements anciens en France. « De 1965 à 2000, l’indice du prix des logements anciens a augmenté approximativement comme le revenu par ménage et a évolué dans un tunnel autour de ce dernier », observe-t-il. Mais, depuis le début des années 2000, on assiste à une envolée du prix des logements anciens rapporté au revenu des ménages. Certes la courbe des prix a reculé d’environ 10 % en 2009, mais elle a depuis, repris sa hausse. Résultat : l’indice des prix des logements anciens en France dépasse de 70 % le fameux tunnel de Friggit (Les Echos, 12 octobre 2010, Martine Denoune).

Il existe un lien très fort entre les taux d’intérêt et la valeur de l’immobilier. Si les taux baissent, ce qui a été le cas avec la mise en place de l’Euro depuis 10 ans, les prix montent et inversement. Si les taux se tendent brusquement, comme en 1990 ou si la France est attaquée par les marchés pour sa dette comme la Grèce ou l’Irlande l’ont été, c’est le krach. Si les taux remontent doucement, c’est l’ajustement déflationniste. Les banques centrales accordent des prêts aux banques aujourd’hui à des taux inférieurs à l’inflation, ce qui est insoutenable à moyen terme. C’est au prix de ce miracle que les banques ont recréé facilement, mais artificiellement, leur solvabilité et peuvent continuer à prêter.

Jacques Friggit s’est intéressé à l’avenir. Il le fait pour la France, mais son enseignement vaut aussi pour Nouméa, où le marché est plus volatil. L’économiste ne voit aucune raison pour laquelle les prix de l’immobilier ne reviendraient pas dans ce tunnel à long terme. La poursuite des courbes actuelles est tout simplement impossible, puisque la dette atteindra la totalité du revenu disponible des ménages après 2030. Il en déduit, hors crise exceptionnelle de financement ou de taux d’intérêt, deux scénarii ; l’un est une déflation lente au fil de l’eau, un scénario à la japonaise, qui correspondrait au lent déclin des pays européens au détriment de leur jeunesse et au bénéfice de leurs seniors. Ce scénario est jugé par l’auteur comme peu plausible en raison de l’insoutenabilité de la dette des jeunes ménages. L’autre est le scénario de crise, dont l’ampleur et le tempo ne peuvent être que difficilement appréciés à l’avance, sinon que les prix devraient baisser de 30 à 35 % d’ici à 2015, voire 2018. On rappellera à cet égard, que 100 % de hausse correspondent très grossièrement à 50 % de baisse. Dire qu’un prix baissera de 35 %, c’est effacer une hausse du double environ, moins l’inflation. Il est clair que la baisse des prix de l’immobilier, si elle est bénéfique pour la société à moyen terme, aura des répercussions clairement déflationnistes à court terme. Les ménages, constatant la tendance baissière, décalent dans le temps leur consommation et leurs achats. Pourquoi acheter aujourd’hui ce qu’on trouvera moins cher demain ? A la disparition de l’effet richesse sur les propriétaires, se substitue un effet pauvreté. Les entreprises perdent donc des débouchés alors que les baisses de prix diminuent déjà leurs recettes et leurs profits. Les entreprises cessent d’investir. Le bâtiment, secteur de forte main d’œuvre, licencie et il contamine les autres branches.

Il faut s’y préparer, en sortant d’une économie d’artifices budgétaires et monétaires. Alors que la dette étatique montre sa perversion aujourd’hui, on continue à encourager la dette privée, comme s’il ne pouvait y avoir aucun autre moteur de croissance.

Vous pouvez retrouver l’analyse de Jacques Friggit ici :

 Friggit_Dette_immobiliere_2010.pdf

D’autres analyses peuvent être recherchées sur le site http://www.bulle-immobiliere.org/drupal/

Sur l’analyse de la crise et les perspectives de sortie, vous pouvez vous reporter à Gaël Lagadec et Mathias Chauchat sur le lien suivant : http://larje.univ-nc.nc/index.php?option=com_content&view=article&id=164:sortie-de-crise–hyper-inflation-ou-hyper-impot-&catid=16&Itemid=50