Institutions et coutumes kanak


30-08-2009

Le livre d’Eric Rau, qui fut juge de paix à Thio à partir de 1933, «Institutions et coutumes canaques» date, pour sa première version, de 1938. Et pourtant, son contenu est très actuel si on souhaite connaître très concrètement l’organisation de la société kanak et la coutume.

Edité par l’Harmattan en 2005 (20€), dans la collection «Fac-similés océaniens» dirigée par Frédéric Angleviel, longuement préfacé par Régis Lafargue, magistrat à la Cour de Cassation, l’ouvrage compte réellement parmi ceux qui peuvent être lus aujourd’hui.

Quoique l’auteur ait bien plus de respect pour la société kanak indigène que la plupart de ses contemporains, la première partie, qui a été conservée, faite de réflexions anthropologiques sur le Kanak, ses caractères physiques et intellectuels, irritera. La seconde sur l’organisation politique coloniale intéressera les historiens et ceux qui veulent mesurer le chemin parcouru jusqu’aux accords de Matignon et de Nouméa.

L’apport essentiel de l’ouvrage vient de la description minutieuse du mode d’organisation kanak : celui de la tribu, celui de la famille, et celui de la possession. L’auteur note un élément qui consolide le débat sur l’existence d’un peuple kanak, aujourd’hui constitutionnellement reconnu, que «malgré la divergence de leurs intérêts, la multiplicité de leurs idiomes, les différentes tribus de l’archipel Canaque ont toujours possédé les mêmes coutumes» (p. 54). Il poursuit ainsi, ce qui ajoute encore à l’intérêt du lecteur : «découvert relativement tard, (…) ce coutumier tel qu’il apparut aux premiers auteurs à l’époque de la conquête n’a en somme été altéré qu’en surface : ses parties vives n’ont d’une manière générale, pas été atteintes (…)» (p. 193). Il ajoute, par ce qui aujourd’hui peut-être vu comme un clin d’œil aux non-citoyens calédoniens, «la Nouvelle-Calédonie étant une colonie de peuplement, il n’est pas inutile pour les colons qui s’installent dans le pays de connaître les mœurs des peuplades avec lesquelles, par la force des choses, ils se trouvent en relation juridique constante» (p. 14).

Jusqu’à la colonisation, l’archipel était divisé en «tribus composées», véritables cités indépendantes et autonomes (appelées ensuite districts), qui comprenaient d’ordinaire un certain nombre de villages. Ces villages étaient souvent administrés par un chef vassal d’un grand chef. Il y avait donc une organisation politique et administrative indigène avec un gouvernement de la tribu, des règles d’accession au pouvoir, des «ministres» et des conseils, ainsi qu’une justice coutumière. Nation armée, la tribu peut à tout instant repousser une attaque ou se lancer dans une expédition. Connaître ces règles demeure très actuel.

Le droit de la famille est profondément différent de celui à l’européenne. Parenté, alliance et chef de famille ne correspondent pas aux concepts européens. Cette lecture est essentielle pour comprendre pourquoi le jeune kanak d’aujourd’hui, face à la ville ou à l’éducation, doit se mouvoir dans deux univers parallèles difficilement miscibles.

Le droit de la possession reconnaît les biens domaniaux de la tribu, réservés à l’usage collectif, et la propriété familiale, meubles et immeubles. Le groupe familial y dispose d’un droit perpétuel, exclusif et absolu sur le sol qu’il exploite, sur la case qu’il possède. Mais il n’a pas la faculté de l’aliéner, car reçu des ancêtres, le bien doit être transmis intact. L’occupation est le seul mode originaire d’acquérir. Beaucoup de mentalités contemporaines en sont fortement marquées.

A tous ceux qui sont forts de leurs certitudes, le principal mérite, indirect et sans doute involontaire de cet ouvrage d’un autre temps, est de leur rappeler que leurs propres sens et leurs propres valeurs s’interposent entre eux et l’observé. C’est l’enseignement du relativisme.