L’inconstitutionnalité de la loi du pays sur le logement intermédiaire et la primo-accession


01-10-2013
Par Admin Admin

Le Congrès a voté le 30 septembre 2013 une loi du pays destinée à favoriser le logement intermédiaire. Cette nouvelle niche fiscale permet une défiscalisation de son impôt sur le revenu dans la limite de 30 % de la valeur d’un bien acheté dans la limite de 36 millions de FCFP par personne et par an. La contrepartie d’intérêt général est la location dans une limite de plafond élevée de 1600 FCFP par m2. Pour les primo accédants, la contrepartie disparaît purement et simplement en permettant d’occuper le bien pendant 6 ans.

Cette disposition, que la Nouvelle-Calédonie n’a pas les moyens de s’offrir budgétairement, est gravement inconstitutionnelle.

 

 

La violation du principe d’égalité devant l’impôt

Seuls les foyers très aisés, pour lesquels l’ensemble de leurs revenus n’est pas soumis à la progressivité de l’impôt (dividendes taxés à un taux proportionnel faible, revenus fonciers exonérés, plus-values mobilières et immobilières non taxées) continueront d’alléger leur pression fiscale, alors même qu’ils ne participent pas déjà à l’impôt en fonction de leurs réelles capacités contributives. La loi du pays entraînera « une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques », pour reprendre la formule du Conseil constitutionnel à l’origine de la correction du dispositif métropolitain (Conseil constitutionnel, décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, cons. n° 116 à 123).

Dans cette décision n° 2012-662, l’article 73 de la loi de finances pour 2013 déférée est relatif aux « niches fiscales ». Il fixe à 10 000 € le plafonnement global de la plupart des avantages fiscaux. Il prévoyait un plafond majoré de 18 000 € et 4 % du revenu imposable pour des réductions d’impôt accordées au titre d’investissement Outre-mer ou pour le financement en capital d’œuvres cinématographiques. Alors que la loi de finances procède à un relèvement significatif de l’impôt sur le revenu, le Conseil constitutionnel a jugé que la subsistance de ce plafonnement proportionnel au revenu imposable applicable à deux catégories d’avantages fiscaux attachées à des opérations d’investissement permettait à certains contribuables de limiter la progressivité de l’impôt sur le revenu dans des conditions qui entraînent une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. Il a censuré la fraction de l’avantage d’un montant égal à 4 % du revenu imposable. Dans le dispositif voté en Nouvelle-Calédonie, il n’y a pas de plafond à l’avantage fiscal. Le plafond de 30 % porte sur l’assiette du bien acheté, mais la totalité de l’impôt sur le revenu peut être affectée en défiscalisation.

 

On notera de surcroît que ceux qui paient un impôt limité n’atteindront pas le plafond de la déduction fiscale cumulé sur les 6 années ou 10 années, selon les cas, alors que ceux qui paient suffisamment d’impôt bénéficieront de la déduction complète. La loi crée ainsi un impôt dégressif qui contredit directement le principe de l’égalité devant l’impôt. Ceux qui ne paient pas l’impôt sont complètement ignorés du dispositif. Enfin, au delà de seuils (certes très, et même trop, importants de revenus), certaines familles seront exclues du dispositif, ce qui crée une inégalité manifeste à leur égard.

 

La violation du principe suivant lequel l’impôt participe à la contribution aux charges communes

 

L’ampleur du crédit d’impôt (30 % de l’assiette de la valeur du bien) sans plafonnement de la réduction d’impôt par contribuable, et la possibilité pour les classes moyennes de convertir directement leur impôt en accession à la propriété pendant 10 ans, apparaissent clairement comme des mesures inconstitutionnelles. L’impôt doit servir à la contribution aux charges communes. L’impôt ici paie pour l’enrichissement patrimonial individuel ou familial. La suppression de l’obligation de louer, avec la possibilité d’occuper soi-même le bien acquis et pour une durée inférieure à l’avantage fiscal (6 ans d’occupation pour 10 ans de déduction fiscale) enlèvent toute contrepartie d’intérêt général à l’avantage fiscal proposé.

 

La violation de la procédure d’adoption de la loi du pays :

L’article 84 de la loi organique a été complété en 2009, précisément pour responsabiliser de manière accrue les élus : « Aucune augmentation de dépenses ou diminution de recettes ne peut être adoptée si elle ne trouve pas sa contrepartie dans les recettes prévues ou si elle n’est pas accompagnée d’une proposition d’économie ou de ressources nouvelles de la même importance ». Ici, on vide les caisses sans discussion d’aucune contrepartie.

La procédure législative est ainsi non conforme à la loi organique et la loi du pays adoptée suivant une procédure irrégulière doit être reconnue comme non conforme sur ce point.

 

Compte tenu de ces motifs graves, la faculté prévue par la loi organique à ses articles 103 et 104 (en annexe) d’un contentieux constitutionnel est ouverte. Dans les 15 jours, 11 membres du Congrès, le Haut-commissaire ou un président d’institution demanderont une seconde lecture qui ne peut être refusée. La loi, si elle est revotée, sera ensuite déférée au Conseil constitutionnel dans les 10 jours par 18 membres du Congrès, le Haut-commissaire ou un président d’institution. On dispose déjà d’un précédent d’inconstitutionnalité dans la décision du Conseil constitutionnel, n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, cons. n° 116 à 123 sur la défiscalisation métropolitaine pour des atteintes bien moins graves au principe d’égalité.

Par Mathias CHAUCHAT, Professeur des Universités, Agrégé de droit public à l’Université de la Nouvelle-Calédonie