La brutalité du gel du corps électoral


27-06-2012
Par Admin Admin

On mesure souvent mal les conséquences du gel du corps électoral provincial en Nouvelle-Calédonie. Celui-ci répond à une simple logique politique. L’Accord de Nouméa, en mettant fin à la colonisation par la reconnaissance du fait colonial, l’organisation des modalités d’autodétermination et la reconnaissance du droit et des procédures de décolonisation des Nations unies, met fin au peuplement. En dehors des jeunes qui accèdent à la majorité et dont l’un des parents au moins est lui-même citoyen, il n’est plus possible aujourd’hui d’accéder à la citoyenneté calédonienne.

On rappellera d’abord que cette situation n’a pas été jugée attentatoire aux droits de l’homme, du fait de la situation particulière de la Nouvelle-Calédonie en voie de décolonisation (arrêts du Conseil d’Etat du 30 octobre 1998, Sarran, de la Cour de Cassation du 2 juin 2000, Melle Fraisse, arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, Py c/ France du 11 janvier 2005 (avant la réforme constitutionnelle de 2007) et du 9 juin 2009 (après la réforme constitutionnelle de 2007).

On rappellera ensuite que le gel du corps électoral est irréversible, sans date de péremption, c’est-à-dire qu’il ne peut être modifié que par révision de la Constitution française ou par l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté. La révision de la Constitution nécessite une initiative du président de la République, la réunion de l’Assemblée nationale et du Sénat en congrès à Versailles et une majorité des 3/5èmes. Rien de tout cela ne sera possible politiquement sans un consensus local, et donc nécessairement avec l’accord des partis indépendantistes.

La situation juridique naît d’un enchevêtrement de textes assez complexe

Le paragraphe 1 – a) de l’article 188 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie permet l’inscription, sur la liste électorale spéciale à l’élection du congrès et des assemblées de province de Nouvelle-Calédonie, des électeurs ayant rempli les conditions pour être inscrits sur les listes électorales de la Nouvelle-Calédonie établies en vue de la consultation du 8 novembre 1998. Le paragraphe 1 – b) du même article prévoit aussi l’inscription sur cette liste électorale spéciale des personnes inscrites sur le tableau annexe et domiciliées en Nouvelle-Calédonie depuis dix ans à la date de l’élection.

L’article 77, dernier alinéa de la Constitution, tel que modifié par la loi constitutionnelle n° 2007-237 du 23 février 2007, précise que le tableau annexe est celui dressé à l’occasion du scrutin du 8 novembre 1998 et comprenant les personnes alors non admises à y participer. Cette disposition interprétative, qui contredit formellement la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel du 15 mars 1999, s’énonce ainsi : « Pour la définition du corps électoral appelé à élire les membres des assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie et des provinces, le tableau auquel se réfèrent l’accord mentionné à l’article 76 et les articles 188 et 189 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie est le tableau dressé à l’occasion du scrutin prévu audit article 76 et comprenant les personnes non admises à y participer ».

Le cas de l’arrêt est démonstratif

Mme Jollivel, qui vit à Boulouparis, est présente sur le territoire depuis plus d’une année en novembre 1998. Toutefois, elle n’avait pas, pour des raisons personnelles, fait le nécessaire pour être inscrite sur la liste générale et, de ce fait, sur le tableau annexe ou sur la liste spéciale. Elle souhaite s’inscrire sur la liste générale en 2007, mais elle ne peut pas être inscrite sur la liste citoyenne, les électeurs des provinciales, au motif justement qu’elle ne figure pas sur le tableau des électeurs du scrutin du 8 novembre 1998 sur l’Accord de Nouméa, ou sur la liste annexe de cette époque. Elle fait partie des citoyens « reçus-collés » pour prendre une image tirée de la fonction publique. Le tribunal de première instance d’abord, la Cour de cassation ensuite, n’ont pu dire autre chose. C’est un argument de texte, mais ce texte a valeur constitutionnelle. La question ne se réglera pas à un comité des signataires par simple incantation.

Le gel du corps électoral provincial, ajouté à celui du corps électoral référendaire de « sortie », devrait faire réfléchir à la nécessité de discuter du statut futur émancipé de la Nouvelle-Calédonie, plutôt que de générer un discours phobique sur la nécessité d’y mettre fin…

Mathias Chauchat, Professeur des universités, Agrégé de droit public, à l’Université de la Nouvelle-Calédonie.

Vous pouvez télécharger l’arrêt de la Cour de cassation n° 11-61169 du 16 novembre 2011, ici : Cour_de_cassation_Jollivel_2011.pdf