La peur du déclassement


30-11-2009
Par Admin Admin

Ce livre d’Eric MAURIN, « la peur du déclassement ; une sociologie des récessions », publié en octobre 2009 au Seuil, collection la République des idées, s’intéresse à un phénomène de rupture qui conduit un individu à perdre sa position sociale. Salariés encore hier protégés par un CDI et qui viennent d’être licenciés, jeunes sortant du système scolaire et n’ayant comme horizon que des petits boulots, fonctionnaires déstabilisés par les réformes de leurs statuts ou de leurs retraites, le déclassement est une réalité sensible. Mais il doit être distingué d’un phénomène encore plus décisif : la peur du déclassement.

Il s’agit là d’une angoisse sociale qui repose sur la conviction que personne n’est plus à l’abri. La peur du déclassement ne règne pas tant aux marges de la société qu’en son cœur : elle touche aujourd’hui les classes moyennes et supérieures.

Cette notion française de déclassement n’a guère d’équivalent aujourd’hui dans les pays anglo-saxons ou scandinaves. Elle est symptomatique d’une société inégalitaire et hiérarchique, où rang et dignités s’accordent à vie et ont vocation à rester dans la famille. Bref, elle est spécifique d’une société à statuts. Cette peur trouve son origine dans les attitudes des nantis et des plus protégés. Sa diffusion dans les classes moyennes prend la forme immédiate de comportements séparatistes en matière résidentielle ou scolaire. La crise économique actuelle, comme celles de 1974 ou 1993, porte cette inquiétude à son paroxysme et la peur dirige les têtes.

Cette idée que la peur puisse être au fondement de l’ordre social n’est pas nouvelle. Pour Hobbes, la peur d’être tué par ses concitoyens conduit les hommes à accorder à l’Etat le monopole de la violence. La peur est aussi un instrument privilégié des dirigeants pour légitimer leur pouvoir. Mais cette peur du déclassement est contreproductive. La peur est à l’origine de la ségrégation urbaine, de la ségrégation scolaire, de l’échec des politiques de mixité sociale. Elle engendre le malthusianisme, le refus de la concurrence ou de la compétition, même loyale. Elle crispe dans ses privilèges.

Alors que la réflexion devrait se tourner vers la réduction des rentes et des inégalités qui sont au cœur de cette peur, la société se bloque dans le conservatisme et freine toute réforme.

Ce livre, dont les analyses ont des côtés universels et peuvent se transposer aisément en Calédonie, a suscité un large débat en Métropole. Ainsi le sociologue Louis Chauvel dans le Monde du 7 octobre 2009, insiste t-il sur la réalité du déclassement plus que sur le phénomène psychologique qui lui est associé. Il la trouve sur la jeunesse qui peine à bénéficier des conditions de vie de ses ainés, que ce soit en termes de valeur de diplômes, d’opportunités professionnelles ou de logement. Camille Peugny, dans « le déclassement » (Grasset 2009) en donne la mesure statistique. Ce serait l’inversion du flux par rapport au XXème siècle. Il n’est pas gravé dans le marbre que toute génération doit être au-dessus de la précédente.