La réinscription de la Polynésie française sur la liste des pays à décoloniser


19-05-2013
Par Admin Admin

L’Assemblée générale de l’ONU a adopté, le vendredi 17 mai 2013, une résolution qui place la Polynésie française sur la liste des territoires à décoloniser. La résolution, présentée par plusieurs petits Etats du Pacifique (îles Salomon, Nauru, Tuvalu, Samoa) ainsi que par le Timor oriental, a été adoptée par consensus. La France, qui s’oppose à cette démarche, n’a pas participé à la séance.

 

Il n’est pas inutile d’analyser avec un peu de recul cet événement historique, qui resitue la France dans son contexte en Océanie.

 

1. Le contexte de la décolonisation

Suivant la Charte de l’ONU, Chapitre XI : Déclaration relative aux territoires non autonomes, dans son article 73, « les membres des Nations unies qui ont ou qui assument la responsabilité d’administrer des territoires dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes reconnaissent le principe de la primauté des intérêts des habitants de ces territoires. Ils acceptent comme une mission sacrée l’obligation de favoriser dans toute la mesure possible leur prospérité, (…) et, à cette fin : 1. D’assurer, en respectant la culture des populations en question, leur progrès politique, économique et social, ainsi que le développement de leur instruction, de les traiter avec équité et de les protéger contre les abus. 2. De développer leur capacité de s’administrer elles-mêmes, de tenir compte des aspirations politiques des populations et de les aider dans le développement progressif de leurs libres institutions politiques, dans la mesure appropriée aux conditions particulières de chaque territoire et de ses populations et à leurs degrés variables de développement (…) ». La France, la Grande-Bretagne, les USA, l’Australie, la Nouvelle-Zélande se concertèrent en 1946 et établirent une liste de 74 territoires non autonomes à l’égard desquels ils déclarèrent les obligations de l’article 73. C’est ainsi que les Établissements français d’Océanie, ancienne appellation de la Polynésie française, et La Nouvelle-Calédonie et Dépendances, dans son nom d’avant 1988, furent inscrits sur cette liste le 14 décembre 1946.

Ils en furent retirés implicitement en 1947, la France ne produisant aucun des documents attendus (Jean-Marc Regnault, Après 1945, la France considère que la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ne sont plus des territoires à décoloniser, Tahiti Pacifique Magazine, n° 207, juillet 2008, p. 28).

La résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960, sous-titrée « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux »,  affirme le droit à la libre détermination des peuples colonisés. En vertu de cette fameuse résolution, l’Assemblée générale des Nations Unies se déclare seule habilitée à dire si un territoire est autonome ou non autonome et seule compétente pour préciser dans le détail quels facteurs permettraient de déterminer si un territoire a atteint une autonomie complète. Ce n’est plus l’affaire des Etats coloniaux. Interprété comme un droit à l’indépendance, l’exercice du droit à la libre détermination des peuples colonisés ne doit être soumis à aucune condition de délai, d’éventuelle impréparation économique ou de scission de territoire concerné, ce qui confère une garantie face aux tentatives de partition du pays.

Pour la Nouvelle-Calédonie, l’Accord de Nouméa, en son point 5, apporte la garantie essentielle, à savoir l’organisation d’un vote d’autodétermination à une période donnée et avec l’intervention de l’Etat, au cas où les divisions du Congrès l’empêcheraient de poser la question. La consultation « portera sur le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité ». Sur la scission, l’Accord est également sans ambiguïté au point 5 : « Le résultat de cette consultation s’appliquera globalement pour l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie. Une partie de la Nouvelle-Calédonie ne pourra accéder seule à la pleine souveraineté ou conserver seule des liens différents avec la France, au motif que les résultats de la consultation électorale y auraient été différents du résultat global ». La Nouvelle Calédonie a été réinscrite sur la liste des territoires non autonomes par la résolution 41/41 A du 2 décembre 1986 de l’Assemblée générale des Nations Unies. Cette résolution relative à la réinscription renvoie explicitement à la déclaration 1514, et affirme qu’il incombe au gouvernement français de communiquer des renseignements sur la Nouvelle-Calédonie en application du chapitre XI de la Charte. L’Accord de Nouméa se conforme au droit international de la décolonisation en son point 3.2.1. : « Le cheminement vers l’émancipation sera porté à la connaissance de l’ONU ».

La Polynésie, qui, sans conteste, est distincte géographiquement de la Métropole et est peuplée très majoritairement par un peuple autochtone, remplit comme la Nouvelle-Calédonie les conditions de l’inscription sur la liste de l’ONU.

La France accompagne pour la Nouvelle-Calédonie le mouvement de décolonisation impulsé par l’Accord de Nouméa. Le 6 octobre 2009, le président du gouvernement Philippe Gomès, accompagné par une délégation collégiale, et suivi parallèlement d’une délégation du FNLKS, a témoigné des progrès vers l’émancipation, devant le Comité spécial de l’Assemblée générale de l’ONU. Pour la première fois dans l’histoire de l’outre-mer français, pour la première fois en Nouvelle-Calédonie et pour la seconde fois dans un territoire non autonome après Anguilla en 2003, le Comité spécial de la décolonisation auprès des Nations unies, dénommé Comité des 24, a tenu son Séminaire régional annuel pour le Pacifique, durant trois jours, à Nouméa les 18, 19 et 20 mai 2010. La parole a été portée par le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie Philippe Gomès, aux côtés du « pétitionnaire », le FLNKS représenté par Victor Tutugoro.

Cette attitude ouverte de la France ne se produit pas en Polynésie française, ce qui rend sa politique internationale, surtout après la départementalisation de Mayotte en 2009, à peu près inintelligible.

On se reportera sur le droit de la décolonisation en Océanie à Mathias Chauchat, Les institutions en Nouvelle-Calédonie, CDPNC 2011, p. 12 et suivantes.

 

2. La réinscription : une action opiniâtre du Tāvini Huira’atira nō te Ao Mā’ohi

Le « parti au service du peuple ma’ohi » en français, dirigé par Oscar Temaru, demande la réinscription depuis maintenant 35 ans. Oscar Temaru se déplace pour la première fois à l’ONU en 1978 pour demander l’arrêt des essais nucléaires dans le Pacifique. En 1986, il accompagne le FLNKS à l’ONU dans leur demande de réinscription de la Nouvelle-Calédonie. En 2006, la 37ème édition du Forum des îles du Pacifique qui se tient à Fidji concède à la Polynésie le statut de pays associé comme la Nouvelle-Calédonie. Oscar Temaru y plaide à nouveau l’indépendance de la Polynésie française. En 2010, il se déplace à Nouméa à l’occasion du Séminaire régional annuel pour le Pacifique du Comité spécial de la décolonisation auprès des Nations unies, où il se présente comme « représentant du peuple ma’ohi ». Sans pouvoir encore s’y exprimer directement, les indépendantistes calédoniens organiseront une rencontre par l’entremise d’un repas au Sénat coutumier.

 

Le 18 août 2011, l’Assemblée de Polynésie vote par 30 voix la résolution demandant la réinscription de la Polynésie sur la liste de l’ONU des pays à décoloniser.

 

Cette résolution raisonnable, qui demande une évolution institutionnelle concertée avec la France, est disponible ici : Resolution assemblee PF 2011-2

 

Les représentants des groupes autonomistes estimant que la résolution contestée « doit être regardée comme un acte administratif »,  demandent son annulation devant le tribunal administratif de Papeete, l’Assemblée de Polynésie n’ayant aucune compétence pour demander l’indépendance du pays. Le rapporteur public objectera que la résolution litigieuse « ne revêt qu’une portée politique qui présente le caractère de vœu », puisqu’elle se contente de demander « au président de la République de bien vouloir communiquer leur demande au secrétariat général des Nations Unies », et à ce dernier de « bien vouloir inscrire cette demande de réinscription de la Polynésie française sur la liste des territoires non autonomes à décoloniser à l’ordre du jour d’une prochaine Assemblée générale ».  Ce vœu ne « constitue pas un acte faisant grief » et n’est donc « pas susceptible de faire l’objet d’un recours devant le juge » conclura prudemment le président du tribunal administratif dans son ordonnance d’irrecevabilité le 9 février 2012. 

 

Le 2 septembre 2012, Fidji, Kiribati, la Micronésie, les Marshall, Nauru, les Salomon, le Timor oriental, Tonga, Tuvalu et le Vanuatu, réunis à Fidji, signent une résolution appuyant la réinscription. Le 6 août 2012, à l’issue de son synode, l’Église Protestante Ma’ohi appelle à la décolonisation de la Polynésie. Le 6 septembre 2012, le Comité central du Conseil œcuménique des Églises (COE) demande la réinscription de la Polynésie sur la liste de l’ONU.

 

Le 7 février 2013, les îles Salomon, Tuvalu et Nauru déposent la résolution sur la réinscription de la Polynésie sur la liste des territoires non autonomes au secrétariat général des Nations Unies. Le 27 mars 2013, le président de la Polynésie française, Oscar Temaru, adresse un courrier au président de la République : « Cher François », écrit-il de sa main, « j’en appelle à votre sagesse, pour que cesse l’obstruction sur ce dossier et qu’ensemble, nous puissions faire de la résolution A67L56 une réussite commune plutôt qu’un sujet de discorde ». François Hollande paraît confirmer à cette occasion, après son déplacement à Mayotte pendant la campagne présidentielle, son faible sens de l’anticipation historique de l’Outre-mer français.

 

Le 5 mai 2013, le second tour des élections territoriales en Polynésie française, marqué par un nouveau mode de scrutin avec une forte prime majoritaire, voit la victoire du Tahoerra de Gaston Flosse (45,11% des voix et 38 sièges) contre le Tavini d’Oscar Temaru (29,26 % des voix et 11 sièges) et A Ti’a Porinetia de Teva Rohfritsch (14,03 % des voix et 8 sièges). L’élection s’est jouée sur la nostalgie du passé, du temps de l’argent facile du Centre d’expérimentation nucléaire du Pacifique et des promesses insoutenables du Tahoerra. Malgré la forte majorité de Gaston Flosse, faute de réflexion économique crédible et de consensus sur des réformes possibles, la Polynésie est dans une impasse politique. L’impossibilité de réaliser le plein emploi et les revenus minima va vite être retournée par « l’élu le plus condamné de France », suivant la formule de Fabrice Lhomme et Gérard Davet (L’homme qui voulut être roi, éditions Stock, mars 2013), contre le seul bouc émissaire possible, la France. L’élection sonne aussi le glas des partis politiques nationaux en Polynésie. Le parti socialiste s’est définitivement coupé des indépendantistes ; l’UMP ne veut pas de Gaston Flosse et la réciproque est vraie. La République est loin de sortir gagnante de cette élection. 1ère défaite, paradoxale.

 

Le 13 mai 2013, la réinscription est inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée générale. Le 16 mai 2013, l’Assemblée de Polynésie vote un « vœu » s’opposant à la démarche de réinscription par 46 voix (celles jointes du Tahoeraa et A Ti’a Porinetia). Un courrier est même envoyé au président de l’Assemblée générale de l’ONU pour demander le report de l’examen de la résolution. Le 17 mai, la Polynésie française est réinscrite par consensus général, sur la liste des pays à décoloniser de l’ONU. La France, qui s’est opposée à la résolution et n’a pas participé à la session, est battue. Le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Pays-Bas et les Etats-Unis se sont pudiquement « démarqués du consensus ». Ils ménagent la France et marquent paradoxalement leur désintérêt pour la question. Ni l’Australie, ni la Nouvelle-Zélande ne se sont désolidarisés du consensus. Le porte-parole du Ministère français des affaires étrangères a dénoncé, dans un communiqué décalé, une « ingérence flagrante, une absence complète de respect pour les choix démocratiques des Polynésiens, un détournement des objectifs que les Nations unies se sont fixés en matière de décolonisation ». Seconde défaite.

 

3. La résolution des Nations Unies

Le contenu de la résolution votée a évolué pour permettre un large consensus et ménager diplomatiquement la France.

Le projet initial enregistré sous le n° A/67/L.56 du 7 février 2013, est disponible ici :

Le nouveau projet, révisé et voté, sous le n° A/67/L.56/Rev 1, est disponible ici :

Les différences, souvent présentées comme majeures et comportant de sérieux reculs, ne sont pas si grandes. La principale modification est que le texte ne demande plus dans l’article 2 « la réinscription de la Polynésie française sur la liste des territoires non autonomes établie par l’Organisation des Nations Unies ». Cet article 2 du projet initial a bien disparu, mais il n’ajoutait rien par rapport au point 1 qui « reconnaît que la Polynésie française reste un territoire non autonome au sens de la Charte, et déclare que l’Article 73 e) de la Charte fait obligation au Gouvernement français, en sa qualité de Puissance administrante, de communiquer des renseignements sur la Polynésie française ». Une partie de l’article 2 reste inchangée : celle qui « prie le Comité spécial chargé d’étudier la situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux d’examiner la question de la Polynésie française à sa prochaine session et de lui faire un rapport à ce sujet à la soixante-huitième session de l’Assemblée». C’est l’inscription au calendrier de la 68ème session, qui commence en septembre 2013.

 

A partir du moment où la Polynésie française est reconnue comme « territoire non autonome » (article 1er) et qu’elle se trouve inscrite à l’agenda du comité des 24 « à sa prochaine session » (article 2), elle est nécessairement réinscrite sur la liste. La réinscription n’est plus à faire, elle est accomplie.

 

L’article 4, devenu article 3 dans la nouvelle version, a été modifié. Il « prie le Gouvernement français d’intensifier son dialogue avec la Polynésie française afin de faciliter et d’accélérer la mise en place d’un processus équitable et effectif d’autodétermination ». Il y manque désormais la mention faite d’un « accord de coopération pour accompagner et encadrer le processus d’autodétermination avec la mise en place d’un cadre de coopération pour un développement économique et social durable », ce que Oscar Temaru appelait les futurs « Accords de Tahiti Nui » sur le modèle calédonien. Là aussi, c’est assez symbolique, parce qu’il faudra bien, devant la débâcle économique polynésienne, fixer un cadre consensuel de réformes à long terme, qui devra être accompagné par un Etat, dont il ne faut pas oublier qu’il n’a pas cassé la courbe de sa dette et que celle-ci devrait atteindre le seuil fatidique des 100 % de son PIB au cours de l’année 2015.



4. La liste des pays à décoloniser est-elle contestable ?

 

La liste des Nations Unies des territoires non autonomes à décoloniser compte aujourd’hui seize pays, dont dix sont sous administration du Royaume-Uni, trois des Etats-Unis, un de la France et un de la Nouvelle-Zélande : Anguilla ; Bermudes ; Îles Caïmans ; Îles Falklands (Malouines) ; Gibraltar ; Guam ; Montserrat ; Nouvelle-Calédonie ; Pitcairn ; Sahara occidental ; Sainte-Hélène ; Samoa américaines ; Tokelau ; Îles Turques et Caïques ; Îles Vierges américaines ; Îles Vierges britanniques. La Polynésie française est le 17ème pays inscrit.

 

On cherche souvent à contester cette liste, pour mieux dissimuler la cible, qui est la contestation du droit international lui-même et du processus de décolonisation. Cette liste, comme d’ailleurs la Déclaration de 1960, se focalise sur les colonies occidentales. Elle est certainement incomplète (devrait-on y inscrire le Tibet par exemple ?) et comprend des territoires qui ont, pour certains, refusé l’indépendance par référendum, comme les îles Tokelau, un archipel de trois atolls polynésiens sous souveraineté néo-zélandaise, ou ont élu des représentants de sensibilité non indépendantiste, comme c’est le cas de la Polynésie française ou de la Nouvelle-Calédonie. 

 

Ce raisonnement doit être relativisé. Les élections territoriales ou provinciales ne sont pas, en elles-mêmes, un référendum sur l’indépendance. Le corps électoral n’y sera pas le même pour la Nouvelle-Calédonie et cette question est désormais ouverte pour la Polynésie française. L’exemple de Tokelau n’est lui-même pas si probant. En février 2006, La Nouvelle-Zélande a organisé une consultation sur l’accession à un statut de libre association. Le vote n’a pas atteint le seuil requis des deux tiers des citoyens de Tokelau, malgré 60 % de votes favorables. Un second référendum a été organisé en 2007, en présence d’observateurs de l’ONU et il a abouti presque au même résultat (vote favorable à 60,4 %), mais manquant de peu le seuil des deux tiers requis. Il est un peu abusif d’écrire que les Tokeluans ont choisi la Nouvelle-Zélande ! On se reportera sur ces questions à Mathias Chauchat, « Les institutions en Nouvelle-Calédonie », CDPNC 2011, p. 256 sur le corps référendaire et p. 267 sur l’exemple de Tokelau et des Etats associés.

 

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La République s’est engagée en Nouvelle-Calédonie dans un processus de décolonisation progressif, pacifique et irréversible, qui n’est pas tourné contre elle. Sa politique deviendrait illisible, et vite contre-productive, si elle ne savait pas regarder le Pacifique tel qu’il est aujourd’hui comme ont su le faire les Anglo-saxons, et n’offrait pas une perspective d’avenir à la Polynésie française.

Suivant le préambule de sa Constitution, « la République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international. Elle n’entreprendra aucune guerre dans des vues de conquête et n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple ». Nous y sommes.

Mathias Chauchat, professeur à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, agrégé de droit public