L’aide fatale


11-01-2010

Ce livre de Dambisa MOYO, Zambienne diplômée en économie de Oxford et de Harvard, est sous-titré : « les ravages d’une aide inutile et de nouvelles solutions pour l’Afrique ». Voilà très explicitement son objet.

Pourquoi la majorité des pays d’Afrique noire se débattent-ils dans un cycle sans fin de corruption, de maladies, de pauvreté et de dépendance, alors qu’ils ont reçu plus de 300 milliards de US$ au titre de l’assistance au développement depuis 1970 ? Malgré la conviction largement répandue en Occident de sa nécessité, la réalité est que l’aide contribue à appauvrir les pauvres et à retarder la croissance. Bref, l’aide est la maladie et pas le traitement !

L’aide ne marche pas : voici pourquoi

On avance couramment des raisons géographiques, historiques, culturelles, tribales, institutionnelles. Sans doute ont elles aussi leur place. Mais la cause est le paradoxe micro-macro. Prenons l’exemple d’un fabriquant local de moustiquaires. Il en produit artisanalement 500 par semaine ; il emploie 10 personnes qui en font vivre 150. Entre en scène une star d’Hollywood qui rassemble les foules. Au nom de la lutte contre la malaria, on envoie 100 000 moustiquaires dans le pays. Une bonne action a été accomplie. Le marché inondé, l’entreprise locale ferme. Tous vont vivre d’aumônes. Au bout de 5 ans, les moustiquaires sont détruites, comme la capacité à les produire. Le bilan est édifiant.

L’aide nourrit aussi la corruption. Plutôt que le développement soit diffusé par une myriade de petites entreprises, il est concentré, via l’aide, sur les gouvernements. L’afflux d’argent facile entretient le cercle vicieux. Le gouvernement ne doit rien à ses concitoyens qui n’ont pas les moyens de payer l’impôt, mais tout à ses donateurs… Le paradoxe final est que l’aide détourne le peuple de toute activité économique productive et l’oriente vers la vie politique.

Vers un monde sans aide ou 4 sources de financement exemptes d’effets secondaires nuisibles

L’aide est une drogue et le sevrage sera difficile.

Première piste : accéder directement au marché des obligations internationales et emprunter soi-même. Pour accéder à la confiance des investisseurs, il faut des réformes. On est loin du chantage à la misère ou au désordre qu’entretient l’aide publique.

Seconde piste : « Les Chinois sont nos amis » p. 160. Encourager la politique chinoise d’investissements directs en Afrique. La Chine construit les infrastructures plutôt qu’elle n’aide. Elle recherche en retour la sécurisation de ses approvisionnements. C’est un échange.

Troisième piste : Place au commerce. A l’Ouest, tout semble sacré. Les surplus agricoles des pays développés inondent l’Afrique, mais leurs marchés lui sont paradoxalement fermés ! Et l’Afrique doit aussi devenir une zone manufacturière pour le monde. L’ouverture du commerce international reste une opportunité, car on s’enrichit par l’échange, mais c’est aussi un pari. Sans doute notre fabriquant de moustiquaires devra t-il fermer à nouveau boutique devant la production chinoise (p. 194), mais il pourra travailler ailleurs.

Quatrième piste : développer la banque des pauvres. Il faut en Afrique, comme au Bangladesh (Mohamed Yunus), une banque de micro crédits pour les exclus de la Banque. Il faut régulariser les squats et donner des titres de propriété qui serviront de caution ; il faut favoriser les versements financiers des familles provenant de l’étranger en cultivant les réseaux d’immigrés, en les incitant à investir dans un petit quelque chose à eux au pays et en évitant de les taxer, ce qui encourage la fraude.

On formulera une forte critique. Exaspérée par la condescendance des Occidentaux, l’auteur ne prend pas de gants et tombe dans le mythe, déjà suggéré par Platon, du pouvoir fort : « ce dont ont besoin les pays pauvres, ce n’est pas une démocratie avec ses partis multiples, c’est d’un dictateur bienveillant décidé à imposer les réformes nécessaires » p. 85… Nous ne la suivrons pas ici.

Il ne s’agit pas seulement de lointaines histoires africaines. Si l’on veut bien jeter un regard sur nous-mêmes, la Calédonie et l’Outre-mer français, sont largement affectés des mêmes maux. Bien sûr, on a l’illusion du développement avec les salaires publics, les 4×4 et le béton, puisque les rapports financiers et humains fonctionnent à une échelle différente. Mais le rendement de l’investissement public est à la fois déplorable et décroissant ; la France a toujours échoué à faire émerger des économies à développement endogène distinctes d’elle-même. La lecture du livre de Dambisa Moyo peut avoir aussi pour nous cet effet de loupe révélateur de nos propres problématiques de développement et/ou d’émancipation.

« Le meilleur moment pour planter un arbre, c’était il y a 20 ans. Le meilleur moment ensuite, c’est aujourd’hui » p. 237. Ce livre « L’aide fatale » de Dambisa MOYO est publié en 2009 aux éditions JC Lattès.