L’avis du CE sur les inscriptions automatiques sur les listes électorales


16-11-2017
Par Céline Muron

L’avis demandé par le Premier ministre sur les modalités d’inscription sur les listes électorales en Nouvelle-Calédonie, en vue de la consultation, a été diffusé.

Le CE répondait aux deux questions soulevées lors des Comités des Signataires qui s’inquiétaient de l’exhaustivité de la liste de la consultation, au vu du nombre important de personnes non inscrites sur la liste électorale générale et partant, non inscrites sur la liste de la consultation.

Quelles catégories pourraient être automatiquement inscrites ? Le recensement des personnes non inscrites sur les listes peut-il faire l’objet d’un « désanonymat » et d’une transmission aux partis politiques ?

Le Conseil d’Etat rappelle que, même si la tradition française privilégie l’inscription volontaire, l’inscription automatique sur la liste électorale générale (LEG) existe déjà pour les jeunes majeurs et sera bientôt étendue aux personnes qui viennent d’acquérir la nationalité française. On l’a aussi fait en 2015 sur la liste électorale de la consultation pour quelques catégories (personnes de statut coutumier ou natifs inscrits sur les listes électorales provinciales – LESP). Il est donc possible d’étendre cette automaticité à d’autres catégories. Le Conseil d’Etat ne définit pas ces catégories, mais chacun a en tête la question des natifs du pays. Le Conseil d’Etat suggère ainsi qu’il est possible d’inscrire les natifs du pays, qui y sont résidents depuis plus de 6 mois, sur la liste électorale générale.

Il souligne à cet effet d’une part que, compte tenu de la nature de cette liste, aucune discrimination, notamment au regard du statut civil des intéressés, ne serait acceptable et d’autre part, que cette mesure affecterait l’article L. 11 du code électoral qui prévoit le caractère volontaire de l’inscription. Il précise néanmoins que l’automaticité d’inscription sur la liste générale pouvant affecter la LESC en favorisant la participation des électeurs, relève également de la modification de la loi organique, ce qui ouvre la boîte de Pandorre.

Le Conseil d’Etat ne se prononce pas sur l’inscription automatique sur la LESC. Ce sont les partis politiques non indépendantistes, actuellement associés dans une plate-forme commune, qui sont passés de l’une à l’autre. Si on ne modifie pas le système créé en 2015, les personnes de statut coutumier, inscrites automatiquement sur la LEG, bénéficieront d’une seconde automaticité en étant automatiquement inscrites sur la LESC. Les autres natifs, dont la relation à la Nouvelle-Calédonie est plus complexe, devront justifier de leur CIMM (centre des intérêts matériels et moraux). Ce qui est souvent présenté comme une discrimination ethnique injustifiée existe depuis l’origine, l’article 218 de la loi organique ayant explicité le point 2.2.1. de l’Accord de Nouméa. Ce traitement différencié repose sur l’histoire complexe des flux migratoires. Présumer les natifs avoir leur CIMM au bout de 6 mois, dès l’inscription sur la LEG, aboutirait à ce que certains, sans doute peu nombreux, nés par hasard en Nouvelle-Calédonie lors du séjour des parents et revenus au pays longtemps après, puissent voter. Les personnes arrivées après l’Accord de Matignon et avant l’Accord de Nouméa, devraient ainsi justifier de 20 ans de résidence continue au 31 décembre 2014 et les natifs « par hasard » de 6 mois de résidence.

En fait, la différence de traitement entre Kanak et Calédoniens est politiquement exagérée, sans doute dans un but de dramatisation artificielle des enjeux. Si les Kanak inscrits sur la LEG bénéficieraient bien de l’inscription automatique sur la LESC, les Calédoniens en bénéficieraient aussi, dès lors qu’ils se seront inscrits sur la liste électorale provinciale. Nés en Nouvelle-Calédonie et citoyens du pays, ils seraient alors automatiquement inscrits sur la LESC. Ne modifier que l’automaticité d’inscription sur la LEG serait plutôt une bonne chose, car elle forcerait à agir également sur les inscriptions sur la LESP.

L’avis du Conseil d’Etat contient aussi diverses insuffisances. Placer le système des inscriptions automatiques sous le contrôle des CAS (commissions administratives spéciales) dont on connait le dysfonctionnement majoritaire sur l’agglomération de Nouméa sera interprété comme aboutissant à donner les clés au camp non indépendantiste avec bien peu de garanties de transparence. On soulignera une fois encore l’inanité du contrôle juridictionnel de ces procédures qui ne sont pas au niveau d’un Etat de droit où la France rêve de se placer.

Autre insuffisance, la faible exigence de transparence. Le Conseil d’Etat refuse de désanonymer les listes des personnes non inscrites et de les transmettre aux partis politiques, qui ne sont pas investis d’une mission en relation avec l’établissement des listes ; on n’aura pas l’outrecuidance de rappeler que les partis politiques sont reconnus par l’art. 4 de la Constitution et qu’ils « concourent à l’expression du suffrage », que leurs représentants, à la différence de la Métropole, siègent en Calédonie dans les CAS et que la politisation des administrations communales sur l’agglomération a même été soulignée dans les rapports des experts de l’ONU sur les listes électorales. Ces noms ne seront transmis qu’à l’Etat et aux communes. Le barrage contre le vote « révolutionnaire » tant redouté ou fantasmé – entendons la pression potentielle sur les personnes – sera maintenu.

Malgré ces quelques pépins, l’avis du Conseil d’Etat représente un progrès pour la réflexion du prochain Comité des Signataires, normalement prévu début novembre 2017. On soulignera ce paradoxe qu’une consultation est prévue en 2018 depuis 1998 et qu’il faut attendre les derniers mois pour s’accorder ou pas sur les listes électorales du pays.

  • Mathias Chauchat, professeur à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, agrégé de droit public