Le Conseil constitutionnel et l’ITR
Le Conseil constitutionnel a rendu sa décision QPC n° 2010/4 du 22 juillet 2010 sur la réforme des retraites indexées des fonctionnaires Outre-mer, appelée avec humour l’ITR (Indemnité « temporaire » de retraite). Le premier mérite de cette décision est d’avoir validé cette timide réforme.
Cette décision peut être téléchargée ici :
La législation et son commentaire peuvent être retrouvés ici :
désindexation progressive n’est pas inconstitutionnelle :
S’agissant de la garantie des droits, le Conseil constitutionnel souligne l’existence d’un intérêt général suffisant pour cette réforme. L’effet immédiat est souligné et ne doit pas être confondu avec une rétroactivité, d’autant que les fonctionnaires sont dans une situation légale et règlementaire
S’agissant du principe d’égalité, le Conseil réaffirme que les situations sont différentes pour les actifs et les inactifs, comme pour les fonctionnaires territoriaux et d’Etat. On soulignera au surplus que les salariés du secteur privé ne bénéficient pas de l’indexation de leurs rémunérations, ce qui est une inégalité bien plus grande encore, dont les requérants ne se soucient guère…
Le Conseil constitutionnel note qu’il n’existe pas d’intérêt général à attirer des retraités Outre-mer, mais laisse percer un raisonnement différent pour les actifs où il y pourrait y avoir un intérêt général à les attirer venir servir Outre-mer.
Toutefois la question fondamentale de l’égalité entre retraités du stock et du flux n’a pas été abordée dans la requête et le Conseil constitutionnel ne l’a pas abordée.
L’inégalité entre le stock et le flux demeure :
La réforme procède, comme souvent en France, d’une différenciation du stock et du flux. L’effort financier est porté par les générations les plus jeunes, pendant que les anciennes conservent leur rente. Ce système reste profondément inégalitaire ; il est aussi le signe indéniable d’une société française crispée sur ses acquis et privilégiant le passé sur l’avenir ; celui d’un pays en déclin.
A compter du 1er janvier 2009, l’attribution de pensions indexées est réservée à ceux qui justifient de 15 ans de services effectifs outre-mer. C’est pour l’essentiel la fin de l’effet d’aubaine.
– Pour les bénéficiaires actuels, à partir du 1er janvier 2009 une dégressivité est mise en place pour arriver à 18 000 euros de plafond en 2018 (10 % de l’écart par an entre la valeur réelle servie et le plafond de 2018) ; cela fait 2,16 MFCFP par an ou 180 000 FCFP par mois, largement plus que le salaire minimum d’un actif. Une majoration que les pensionnés pourront garder à vie, sauf nouvelle réforme ou débâcle financière.
– Les fonctionnaires qui prennent leur retraite en 2009 et 2010 bénéficient d’une ITR plafonnée à 14 000 euros (1,68MF), ceux qui prendront leur retraite en 2011 et 2012 d’une ITR plafonnée à 12 000 euros (1,44MF) et ceux qui prendront leur retraite en 2013 et 2014 d’une ITR plafonnée à 10 000 euros (1,2 MF). L’ITR devrait ensuite être plafonnée à 8 000 euros en 2015, 2016, 2017 et 2018 (960 000 F) puis reprendre une dégressivité jusqu’en 2028, date de l’arrêt de nouveaux entrants dans le dispositif.
Ainsi, en 2010, un retraité aisé, issu du stock d’avant 2009, peut percevoir une ITR hors plafond, baissant partiellement et jusqu’à un plancher de 18 000 € en 2018, alors que le retraité du flux d’après 2009 ne perçoit en 2010 qu’une ITR plafonnée à 14 000 €. On paie bien deux retraités, au même moment et dans la même situation, à des taux différents. Cela contredit le principe d’égalité. Mais il est peu probable que les privilégiés de la rente ne s’en plaignent au Conseil constitutionnel. La question ne pourrait être posée que par un retraité du flux, alors qu’il sait qu’il n’aura pas intérêt à la décision qui n’affectera pas sa situation…
Une dérogation au principe d’égalité pour un motif d’intérêt général est néanmoins possible. Ainsi dans la décision n° 2003-483 DC sur les retraites, le Conseil constitutionnel a t-il admis qu’on puisse tenir compte, pour les corriger, d’inégalités de fait entre hommes et femmes, sans porter atteinte au principe d’égalité hommes/femmes. L’intérêt général est ici de faire supporter un coût moindre à la collectivité, pas d’entretenir le train de vie des arrivants les plus précoces, ceux qui ont déjà bien profité ou tout simplement les plus âgés. De même, cet intérêt général, s’il est de ne pas perturber exagérément l’économie Outre-mer et le marché de l’immobilier, doit y être lié. La dérogation alors ne peut être que temporaire pour stabiliser une situation avant de revenir au principe d’égalité sans faire perdurer des inégalités. On pourrait invoquer encore un principe de confiance légitime, mais qui en l’espèce consiste à tirer des chèques sur l’avenir, alors que notre système de retraite ressemble surtout à la pyramide de Ponzi, chère à Bernard Madoff.
En une formule, nous sommes bien loin de la devise révolutionnaire de liberté, d’égalité et de fraternité, la réforme contredisant ces trois mots simultanément. On rappellera, avec dérision et pour relativiser la dimension de cette affaire, que la caractéristique des comportements latins est de conjuguer un immense individualisme avec le déni de principes collectifs pourtant fermement affichés.