Le faible bilan du plan de relance français


19-09-2010

Le président de la Cour des Comptes a été auditionné, lors d’une audition ouverte à la presse, le 14 septembre 2010 par la Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’assemblée nationale. Le rapport de la Cour des Comptes ainsi que le compte rendu de l’audition est disponible à l’adresse suivante :

http://www.assemblee-nationale.fr/13/cr-cfiab/09-10/c0910102.asp#P2_91

Ecoutons Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes et décryptons son analyse : « S’il ne faut avancer qu’un chiffre, le coût budgétaire total du plan de relance serait d’environ 34 milliards d’euros sur les exercices 2009 et 2010, dont plus de la moitié, 17,5 milliards d’euros, découle des mesures fiscales et 3,8 milliards du remboursement anticipé de TVA. (…) Il a contribué à atténuer la baisse de l’investissement en 2009. Son impact sur la consommation est passé principalement par la prime à la casse, effet d’aubaine qui a provoqué d’importants achats anticipés d’automobiles et a favorisé le maintien d’une légère progression de la consommation totale en 2009. En privilégiant les mesures en faveur de l’investissement par rapport aux mesures de soutien à la consommation, le Gouvernement a fait le choix d’un plan aux effets plus diffus et difficilement mesurables à court terme. (…) En raison de la situation déficitaire du budget de l’État, ces mesures fiscales et budgétaires ont été intégralement financées par un accroissement de la dette publique. Les mesures nouvelles comprennent aussi un appel aux contributions de plusieurs entreprises publiques – sous la forme d’une augmentation de leurs investissements sur les deux années du plan de relance – des mesures sectorielles de soutien, ainsi que des prêts et garanties d’emprunts ».

La traduction est celle-ci : le plan de relance a coûté bien plus aux finances publiques qu’il n’a rapporté de croissance. L’impact sur la croissance du plan de relance serait d’environ 0,5 point de PIB sur 2009 et 2010, selon la Cour des comptes, très en deçà de son coût pour les finances publiques (1,4% du PIB). Il a cependant atténué les effets de la crise, mais n’a été financé que par l’endettement. Doté initialement de 26 milliards d’€, on a dérivé jusque 34 milliards. Le robinet n’a cessé de couler…

Selon Didier Migaud, « Comparé à ceux mis en place dans les principaux pays développés, le montant du plan de relance français est dans la moyenne, mais avec quelques caractéristiques notables : les mesures de trésorerie ont été plus importantes qu’ailleurs ; une grande place a été faite à l’investissement ; il a été voulu très concentré sur 2009. Une autre spécificité nationale a permis d’amortir le choc de la crise en France : l’importance des stabilisateurs automatiques, bien plus grande que dans d’autres pays. Le Fonds monétaire international – FMI – évalue la contribution positive de ces stabilisateurs à 0,6 point de PIB en 2008 et 1,9 point en 2009, contre une moyenne de respectivement 0,3 point et 1,2 point dans les pays du G20. L’effet combiné des stabilisateurs a conduit, sur deux ans, à un avantage d’environ 1 point de PIB en France, limitant la baisse du PIB à 2,5 % en 2009 alors qu’elle a été de 4,2 % pour l’ensemble de la zone euro et d’environ 5 % en Allemagne, en Italie et au Royaume-Uni ».

Traduction : Ce sont donc surtout les déficits courants qui ont stabilisé la consommation (+ 0,6 point de PIB en 2008 et 1,9 point en 2009), bien plus que le plan de relance (0,5 point de PIB). Rien n’est moins durable. Et on remarque la grande continuité dans la politique française qui consiste à ne pas prendre de décision, laisser filer les déficits qui sont autant de mesures de clientèle et reporter les choix sur les gouvernements (et les générations) futurs.

Par grandes opérations, le coût global des mesures fiscales en faveur des entreprises s’élève à 16,4 milliards d’euros sur 2009 et 2010, contre 10 milliards estimés (Remboursement des excédents d’impôts sur les sociétés, remboursement mensuel des crédits de TVA, crédit impôt recherche). Le plan de relance de la banque publique OSEO en faveur des PME, via des garanties de prêts bancaires, a été pour le moins conséquent : près de 6 milliards d’euros. La Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) a quant à elle contribué pour près de 1,5 milliard d’euros sur 2009 et 2010 au plan de relance en assurant la construction de 19.000 logements sociaux l’an passé. Un million de primes à la casse ont été payées fin août 2010, représentant un montant de 940 millions d’euros depuis la mise en place du dispositif, alors que sa dotation initiale était de 220 millions.

A l’opposé, les mesures de politiques active de l’emploi qui visaient comme finalisation la signature d’un contrat de travail (Indemnisation du chômage partiel, soutien à l’embauche d’un apprenti ou d’un contrat pro, contrat d’accompagnement formation pour les jeunes) « n’ont connu qu’un faible succès », relève la Cour dans son rapport.

L’inquiétude des élus aujourd’hui peut se résumer dans quelques interventions :

M. Jean-Pierre Balligand (PS) : « Le plan de relance a eu des effets réels pour stimuler le secteur du bâtiment et des travaux publics, le BTP, en procurant, avec, en un an et demi, l’équivalent de trois ans de travail. Toutefois, au niveau microéconomique, à l’échelle d’un département, je constate maintenant un écroulement de l’activité et l’arrivée de grandes sociétés sur des chantiers minimes de 400 000 ou 500 000 euros, pour s’emparer de la totalité des parts de marché, comme si elles anticipaient un ressac après la stimulation. La Cour a travaillé sur la première partie de l’année 2010 mais la situation des PME durant la deuxième partie m’inquiète : je crains que nous ne revivions une période où tout le tissu des PME du BTP était détruit ».

M. Pascal Terrasse (PS) : « Toute politique publique de dépenses a pour objectif de démultiplier l’euro investi, ce qui, en l’occurrence, n’est pas le cas : suivant les estimations de l’INSEE et d’organismes privés, notamment bancaires, l’impact sur la croissance serait de 0,2 % à 0,4 % dans la meilleure des hypothèses (…). Le plan de relance devait maintenir, voire créer des emplois, et le ministère de la relance annonce la création ou la sauvegarde de 400 000 emplois, alors que toutes les autres sources d’information, qu’il s’agisse de la Cour ou des organismes spécialisés comme l’INSEE, parlent plutôt de 25 000 emplois ».

M. Charles de Courson (Nouveau Centre) : « Il serait très intéressant que la Cour nous dise si le plan de relance a entraîné un effet de substitution entre endettement public et endettement privé. Le gros des mesures en faveur des entreprises étaient des mesures de trésorerie et d’aucuns prétendent que les entreprises en ont profité pour se désendetter, ce qui a fait chuter le volume du crédit aux entreprises. De même, je pense qu’une partie seulement des milliards accordés aux collectivités territoriales ont servi à accroître leurs investissements, le reste ayant simplement contribué à leur désendettement. Les statistiques bancaires doivent faire apparaître une baisse de l’endettement privé et un accroissement de l’endettement public ».

Conclusion du président de la Cour : « En définitive, la Cour considère qu’une telle expérience d’engagement massif de crédits budgétaires et de moyens extrabudgétaires doit rester exceptionnelle, comme le fut la crise que nous venons de traverser. Il convient de revenir le plus rapidement possible aux pratiques normales, sous peine de remettre en cause les exigences d’unité, de lisibilité et de transparence budgétaires. Banaliser cette démarche, ne pas la limiter aux crises graves, irait à rebours de la logique de la LOLF, qui prévoit le suivi dans le temps et la comparaison des politiques publiques ». 

Bref, il va falloir revenir sur terre, l’endettement indéfini ne pouvant tenir lieu de politique publique. De ce point de vue, le calendrier politique avec l’ouverture de la précampagne présidentielle paraît de mauvais augure. Une course de vitesse est maintenant engagée entre le gouvernement de la France, qui voudrait repousser les échéances de la rigueur et les « marchés », c’est-à-dire nos prêteurs qui sont des investisseurs non résidents,  qui peuvent à tout moment se désengager massivement de la dette publique française, comme ils l’ont fait en Grèce. Ce « test », s’il a lieu, aboutirait à une hausse rapide des taux d’intérêt, à « l’arrêt cardiaque » du pays et à des répercussions politiques internes non négligeables sur la physionomie des campagnes présidentielle et législative qui viennent.