Le lien à la terre en Nouvelle-Calédonie


25-08-2019

L’université a rendu au Sénat coutumier le 20 août 2019 le rapport final d’une étude interdisciplinaire portant sur le statut des terres en Nouvelle-Calédonie. L’Université de la Nouvelle-Calédonie avait été sollicitée par le Sénat coutumier pour apporter son expertise pour l’analyse juridique et historique de l’arrêté du 19 décembre 1877 « portant délimitation de territoire à des tribus canaques », en particulier sur le district Tîrî, et particulièrement sa valeur juridique dans le droit contemporain. L’équipe TROCA a été constituée de Patrice GODIN, MCF en anthropologie, Gwenaël MURPHY, PRAG en histoire, Docteur en histoire. L’équipe du LARJE a été constituée de Étienne CORNUT, PR de droit privé et de Mathias CHAUCHAT, PR de droit public, qui assurait le pilotage de la convention.

L’interprétation classique combinée des articles 6 et 18 de la loi organique reconnaît trois formes de propriété en Nouvelle-Calédonie : terres privées, terres coutumières et terres domaniales. Cette étude renouvelle la manière de considérer la terre en Nouvelle-Calédonie, suivant une approche régionale qu’on retrouve en Australie ou en Nouvelle-Zélande. Il s’agit de donner un contenu juridique effectif et opérationnel au «lien à la terre»  reconnu par l’Accord de Nouméa.

L’étude historique a ainsi démontré que les grands principes de la propriété indigène sont fixés dès 1868 avec la règle des 4i, incommutabilité, insaisissabilité, inaliénabilité et imprescriptibilité. Ils ont fait l’objet d’atteintes et de diverses affectations. Sont-ils pour autant éteints dans le droit contemporain ?

L’étude juridique a montré que l’écoulement du temps n’a pas eu pour effet, sans dépossession statutaire unilatérale, d’éteindre les «droits ancestraux kanak». La question de la prescription acquisitive du droit civil est également souvent opposée aux revendications foncières. La règle des 4 i, dont on sait qu’elle apparaît formellement dès 1868, rend inopérant le jeu de la prescription acquisitive sur les droits fonciers ancestraux. L’invocation de l’article 6 de la loi organique qui reconnaît la propriété privée ne suffit pas à écarter les droits autochtones.

Les droits ancestraux kanak ne sont pas éteints. Ils représentent des droits réels sur la chose et constituent un intérêt patrimonial pour des clans qui ont bénéficié de la reconnaissance juridique de leur personnalité morale depuis 2011. D’autres droits privés ont pu naître qui méritent une protection équivalente. Il ne fait pas de doute non plus que les propriétaires de terres privées ont obtenu par leur possession longue, souvent sur plusieurs générations, un droit patrimonial également reconnu. Ce droit patrimonial est tout autant protégé par les mêmes dispositions constitutionnelles et internationales devant les juridictions.

Il faut donc interpréter la propriété foncière en Nouvelle-Calédonie, sur terres domaniales ou privées, comme une superposition de droits réels. C’est le «mille-feuilles» calédonien. Il appartiendrait au juge d’accueillir cette discussion et de trancher entre les intérêts contradictoires des parties. L’État, qui assume sa continuité historique avec l’État colonisateur, serait chargé d’indemniser la partie qui succomberait compte tenu de la balance respective des droits ancestraux kanak prouvés et réaffirmés et les droits patrimoniaux privés.

L’étude, qui appartient au Sénat coutumier, peut être obtenue auprès de celui-ci. Elle sera déclinée prochainement sous forme d’articles universitaires. Un exemplaire original est déposé à la BUNC pour consultation.

La coutume