Le monde du travail au cœur du destin commun


02-08-2009
Par Admin Admin

Jean-Pierre Segal, sociologue du CNRS, vient de publier un petit livre sans prétention sur « le monde du travail au cœur du destin commun » (Editions de la direction du travail et de l’emploi, 2009 – 2000 FCFP). Il a découvert la Calédonie en « alimentant » les sessions du dialogue social qui se sont tenues entre 2006 et 2009 et pour lesquelles il a procédé à une série d’enquêtes. Son livre est un portrait saisissant d’entreprises calédoniennes, du petit restaurant « chinois », à l’entreprise minière, en passant par le transport par car ou avion ou la banque ! Toutes faciles à reconnaître malgré l’anonymat de façade !

Destin commun et entreprise

L’auteur fait s’exprimer les uns et les autres, voire s’abrite derrière leurs déclarations, plutôt que d’employer un pesant vocabulaire universitaire d’analyse… Mais toute la finesse du livre est de proposer « en ombre chinoise » un portrait des entreprises et des syndicats calédoniens. Pourquoi les avoir mis « au cœur du destin commun » ? Parce que, si en Calédonie on se côtoie souvent sans se mélanger, l’entreprise est l’endroit où on est bien obligé de vivre ensemble ! Les composantes « culturelles » se découvrent, coexistent, s’affrontent et parfois coopèrent fructueusement !

Un syndicalisme calédonien ethnicisé et vivace

Le syndicalisme calédonien est vivace. Kanak et Wallisiens se syndiquent massivement et souvent séparément. Ce sont les Calédoniens et surtout les Métropolitains qui s’en éloignent le plus. Dans ce syndicalisme ethnicisé, on se syndique d’abord pour rechercher la protection du groupe. La quête de l’intégration est la seconde motivation. L’Océanien, mal à l’aise dans le jeu de l’entreprise à l’européenne, s’y crée ainsi sa seconde famille. L’écart est notable entre le syndicat de la Métropole, qui dans l’imaginaire européen recherche en principe la promotion des intérêts collectifs des salariés, et le syndicat calédonien qui concentre ses efforts sur la seule défense, parfois « jusqu’auboutiste », de ses adhérents et fait de ses délégués les champions d’une faction dans l’entreprise. Et chaque syndicat ignore superbement son voisin. Il y a rarement de front syndical.

Qualifications et promotion : un dialogue difficile

L’Européen croit à la qualification. Devoir sa promotion à autre chose que le mérite, c’est le piston ! L’Océanien croit à la représentation du groupe. Ce n’est pas le plus qualifié qui doit être promu, mais celui qui assure la représentation la meilleure du groupe. Il doit y avoir équilibre. Personne ne doit perdre la face. Il y a incompréhension réciproque. Voilà un rare domaine où les Calédoniens veulent rarement transiger et retrouvent les Métropolitains ; le procès en incompétence est une constante du discours calédonien face aux communautés kanak et wallisienne.

Ne pas délégitimer les syndicats

L’Océanien respecte les signataires d’un accord plus que l’accord lui-même, qu’on change avec le temps. L’Européen croit aux textes, aux procédures, à la qualification, à l’autonomie individuelle, à la concurrence. L’Océanien se sent partie d’un groupe. Il croit à la solidarité du groupe. Il n’aime guère travailler en autonomie, mais plutôt à plusieurs. Si le credo politique européen accorde une valeur majeure au respect des majorités et des résultats aux élections notamment professionnelles, le minoritaire conserve pour l’Océanien des droits inaliénables dont devront tenir compte les dirigeants de l’entreprise en évitant de s’appuyer sur le syndicat majoritaire. Et attaquer un seul adhérent, c’est les attaquer tous. La riposte sera collective. Il ne faut pas jouer avec ça, et encore moins vouloir faire du syndicat calédonien, un syndicat métropolitain, voire nordique, qu’il ne sera jamais ! Il faut faire avec les partenaires qu’on a en face !

Des entreprises qui marchent malgré tout !

Il y a des entreprises qui marchent malgré tout et bricolent des solutions empiriques. Même si on n’est jamais sûr de rien, leurs recettes sont multiples et se découvrent à tâtons : plutôt garantir l’écoute que défendre la hiérarchie ; plutôt devancer la préoccupation d’autrui (surtout en matière de petits coups de main financiers et d’autorisations d’absence) qu’attendre la revendication ; plutôt mélanger les relations professionnelles et familiales que de cloisonner, car l’individu est un tout. Bref, se parler et recréer du lien social. Pas par paternalisme, mais plutôt par respect qui reste la forme la plus symbolique de l’égalité.