L’emploi local en Polynésie


20-05-2009
Par Admin Admin

L'assemblée de Polynésie vient d’adopter mardi 19 mai 2009 deux lois du pays (qui ont une valeur d’acte administratif, à la différence des lois du pays calédoniennes) destinées à protéger l'emploi local. Une durée de résidence de cinq ans en Polynésie sera désormais exigée aux demandeurs d'emploi.

Les deux textes, qui concernent la fonction publique et le secteur privé, prévoient que les "résidents" polynésiens, c'est à dire les personnes pouvant bénéficier de cette facilité d'accès à l'emploi, seront les individus pouvant justifier d'au moins cinq années de résidence en Polynésie. Les textes concerneront également les conjoints de ceux-ci, après avoir fait la preuve de deux ans de mariage ou de concubinage.
Toutefois, précisent les documents, "les périodes passées en dehors de la Polynésie française pour accomplir le service national, pour suivre une formation ou pour des raisons familiales, professionnelles ou médicales ne sont pas (…) une cause d'interruption ou de suspension de ce délai".
Dans la pratique, un grand nombre de cadres d'emplois de la fonction publique sont concernés par la mesure, de la catégorie D à la catégorie A (exceptés ceux de la filière santé et recherche). Un double concours devrait donc voir le jour. Le premier sera ouvert aux "résidents" et concernera 95% des postes à pourvoir. Les 5% restants feront l'objet d'un second concours destiné, celui-là, aux "non-résidents".
Dans le secteur privé, "une liste des activités professionnelles" concernées par ces mesures sera ultérieurement arrêtée en conseil des ministres. Les employeurs auront donc "l'obligation" de "déposer toute offre d'emploi" auprès du SEFI (le pôle emploi polynésien) "et de la maintenir durant un délai d'un mois". Ils devront en outre "faire figurer de manière lisible la mention: 'offre d'emploi soumise à condition de résidence'".
En cas de manquement à ces règles, l'employeur se verra infliger une amende pouvant atteindre 180 000 FCFP. Si ce dernier décidait d'embaucher tout de même un "non-résident", il ne pourrait alors bénéficier, pour le salarié concerné, "des aides publiques à l'emploi et à la formation professionnelle".
On pourra se reporter utilement à
http://www.tahitipresse.pf/print.cfm?presse=27593


Vous pouvez télécharger les rapports sur l’emploi local public et privé en Polynésie française ici :
pf_emploi_local_secteur_public
pf_emploi_local_secteur_priv

Le Conseil d’Etat, le 25 novembre 2009, a déclaré illégales les dispositions des deux lois sur l’emploi local en Polynésie, public et privé. On rappellera que, contrairement aux lois du pays calédoniennes, il s’agit d’actes administratifs.

Les décisions du Conseil d’Etat du 25 novembre 2009 sont téléchargeables ici :

 

ce_decisions_emploi_local_public_prive_en_pf

 

 

 

Les débats rapportés par Tahiti presse.pf font état de quelques points de discorde, bien que l'esprit du texte ait obtenu un quasi-consensus au sein de l'hémicycle. En premier lieu, le Tahoera'a de Gaston Flosse a souhaité rallonger la période de résidence à 10 ans, amendement finalement rejeté. Plusieurs élus de l'UPLD d'Oscar Temaru étaient pourtant favorables à un tel délai mais compte tenu de l'alliance du parti indépendantiste avec diverses formations autonomistes, une période de 5 ans à finalement été arrêtée. Il aura tout de même fallu que le président de Polynésie rappelle à l'ordre ses troupes pour que celles-ci parlent d'une seule voix.
Autre interrogation formulée par plusieurs représentants : celle de la non prise en compte de la filiation. Ainsi, un enfant de parents polynésiens né en métropole et n'ayant jamais vécu en Polynésie ne pourra obtenir un statut de "résident" qu'après avoir passé cinq années sur place. Une disposition jugée "regrettable" par le vice-président du parti orange, Édouard Fritch.
"Ce sont les limites de la loi statutaire (…) Il faudrait s'affranchir de la constitution française", lui a répondu le ministre de l'Emploi, Pierre Frébault, la République privilégiant en effet le droit du sol au droit du sang.
Quoi qu'il en soit, les élus se sont félicités de l'adoption de ces textes, un "accouchement" qui aura été "long", les deux projets de loi étant à l'étude depuis cinq ans.
Bien que ces mesures réduisent les champs d'emplois ouverts aux "non-résidents", Pierre Frébault a néanmoins tenu à indiquer que la Polynésie ne souhaitait pas vivre "en autarcie", ni se "fermer au monde". "L'emploi ne sera jamais interdit", a argué le ministre qui voit tout de même dans ces avancées "le premier pas vers" une "citoyenneté".
 

Les décisions du Conseil d'Etat du 25 novembre 2009 ont cassé l'ambiance…

S’agissant de l’emploi local privé,  une condition de résidence de 5 ans était prévue. Pour le Conseil d’Etat, la fixation d'une durée unique de résidence quel que soit l'activité ou le secteur d'activité professionnelle concerné, n’est pas justifiée par des éléments objectifs en relation directe avec les nécessités du soutien de l'emploi local, ces nécessités ne pouvant être regardées comme résultant de la seule situation globale de l'emploi dans le territoire.

S’agissant de l’emploi local public, il était prévu de réserver 95% des emplois publics de catégorie C et D, ainsi que dans la plupart des concours B et A. Pour le Conseil d’Etat, le choix de ce pourcentage et celui des cadres d'emplois auquel il s'applique n’ont pas été opérés en fonction de critères objectifs et rationnels fondés sur les caractéristiques de l'emploi local et les nécessités propres à sa promotion dans chacun des cadres d'emplois concernés. L'assemblée de la Polynésie française a ainsi imposé à l'accès aux emplois publics en Polynésie française des restrictions excédant celles strictement nécessaires à la mise en œuvre de l'objectif de soutien de l'emploi local et méconnu le principe constitutionnel d'égal accès aux emplois publics ainsi que les dispositions de l'article 18 de la loi organique du 27 février 2004.

Il est à craindre toutefois qu’en se focalisant sur des questions de principe, pourtant peu évidentes, et en bloquant les solutions pratiques à cette question sensible socialement et politiquement, le Conseil d’Etat ait manqué de pragmatisme. Il lui faudrait regarder du côté des pays anglo-saxons. Il faut enfin rappeler que l’histoire politique et humaine de la Polynésie demeure objectivement celle du mouvement global de colonisation, qui a affecté l’Océanie, malgré l’absence encore aujourd’hui d’inscription de la Polynésie française sur la liste de l’ONU des territoires non autonomes. A trop vouloir faire du peuple polynésien une composante du peuple français, ce qu’il n’a jamais été et n’est manifestement pas, l’évolution de la Polynésie française pourrait finir par devenir incontrôlable et s’écrire en dehors du droit.