Les documents du groupe de dialogue sur le chemin de l’avenir


Le « groupe de dialogue sur le chemin de l’avenir », mis en place à l’initiative du Premier ministre dans son discours au Congrès du 5 décembre 2017, s’est réuni 12 fois. Il est à l’origine composé de Roch Wamytan, Daniel Goa, Paul Néaoutyine et Victor Tutugoro pour les indépendantistes, de Philippe Gomès, Philippe Michel, Gaël Yanno, Sonia Backès, Thierry Santa et Bernard Deladrière pour les non indépendantistes, ainsi que le Haut-commissaire Thierry Lataste et le représentant personnel du Premier ministre, François Séners. Le Rassemblement Les Républicains et les Républicains calédoniens ont quitté les discussions.

Ce groupe vise à maintenir les liens du dialogue pour le jour d’après la consultation sur la pleine souveraineté du 4 novembre 2018. Il a rendu publics deux textes qu’il est important de pouvoir étudier. C’est l’objet de cette communication publique.

Vous trouverez ici en partage la Charte des valeurs calédoniennes et le bilan politique de l’Accord de Nouméa :

Charte-des-valeurs-calédoniennes

Bilan AdN

La période « transitoire » qui s’ouvre, c’est-à-dire jusque le choix d’un statut partagé et conforme aux résolutions des Nations unies, à qui incombera la responsabilité finale et indépendante de retirer la Nouvelle-Calédonie de la liste des territoires à décoloniser, commence à être bien balisée tant sur le plan politique que sur le plan juridique.

Sur le plan politique, le groupe de dialogue a d’abord proposé le 27 juillet 2018 de partager une « Charte des valeurs calédoniennes ». Un pays, voire « une communauté humaine affirmant son destin commun », périphrase du peuple calédonien, ne peut faire sens que s’il partage les mêmes valeurs « universelles et républicaines, kanak et océaniennes, et chrétiennes ». Si les textes qui fondent les valeurs universelles sont bien connus et délimités, y compris les résolutions des Nations unies, les valeurs kanak et océaniennes apparaissent par énumération non exhaustive : « la tradition orale, le lien sacré à la terre », qui rappelle le droit à la propriété, inviolable et sacré, de la Déclaration des Droits de l’Homme, « la coutume, le consensus dans les décisions collectives, le respect des anciens, des lieux tabous et de la parole donnée et échangée, la solidarité, l’accueil et l’hospitalité, l’humilité, la mémoire de ceux qui nous ont précédés, le pardon et la réconciliation ». Les valeurs chrétiennes, « égale dignité de toutes les femmes et de tous les hommes, obligation de la solidarité et du partage, recherche du bien moral et de la paix », se concilient avec la laïcité qui a pour conséquence la séparation de l’Église et des pouvoirs publics. Ces valeurs sont parfois déclinées avec un tel équilibre au trébuchet qu’il tend à occulter les choix et à renvoyer aux pouvoirs publics comme au juge le soin d’en faire, peut-être un jour, la conciliation. Elles se rangent en « valeurs, droits et devoirs de la personne », puis en « valeurs et droits politiques, économiques, sociaux, culturels et environnementaux ».

Le trop modeste « bilan politique de l’Accord de Nouméa », dressé le 10 août 2018, a le mérite également de mieux baliser le chemin de l’après 4 novembre. On y rappelle que le droit autochtone à l’autodétermination est devenu « un droit calédonien à l’autodétermination », c’est-à-dire partagé entre les populations intéressées, rappel utile à l’heure où on entend beaucoup parler du retour à des discussions bilatérales avec l’État. A cet égard, le sens de la consultation n’est pas de rester dans la France, mais de trouver une issue partagée à la problématique de décolonisation externe du pays. Daniel Goa, le président de l’Union calédonienne, l’a ainsi exprimé dans une conférence donnée le 10 juillet 2018 à l’Australian National University à Canberra : « le sens que nous donnons à ce référendum, est que nous avons une importante population arrivée, que nous avons reconnue et invitée dès 1983, en tant que « victimes de l’histoire« , à faire de notre pays, le leur. C’est tout le sens que nous donnons à ce référendum, qui s’adresse en fait à eux, pour leur demander de confirmer cette volonté de devenir des gens de notre terre. Les frères mélanésiens présents parmi nous, comprendront tout le sens de mes déclarations car il s’agit de la transcription juridique et constitutionnelle de notre tradition sacrée d’accueil. L’intérêt que nous donnons à ce référendum se trouve dans l’essence même de la question, qui ne tranche pas sur le fait de sortir de la France ou d’y rester, mais de demander à toute la population concernée si elle désire accéder à la pleine et entière souveraineté du Pays Kanak. C’est aussi tout le sens du mot partage, une valeur fondamentale en Océanie, qui est transcrit dans cette question ».

L’irréversibilité constitutionnelle du processus de l’Accord de Nouméa est à nouveau affirmée. Mais la citoyenneté calédonienne, « qui a contribué à l’émergence d’une identité calédonienne », est par définition qualifiée de « transitoire » (et toutefois pas provisoire, c’est-à-dire jusqu’à une certaine date) et « ses conditions d’accès devront être redéfinies dans le cadre de la sortie de l’Accord de Nouméa ». Pourtant, beaucoup a déjà été fait. De compromis en concessions, la citoyenneté calédonienne a été déverrouillée : les « jeunes, nés sur le territoire et s’étant fait recenser à 16 ans en Nouvelle-Calédonie », selon l’expression de la Cour de cassation, sont inscrits à leur majorité par présomption sur la liste spéciale provinciale du fait d’une jurisprudence pourtant contraire à l’article LO. 188 qui exige un parent citoyen (Cour de cassation, n° de pourvoi D 11-60.376 du 3 novembre 2011, Hnawia). Du fait de l’ineffectivité des recours contentieux, la présomption est devenue la règle d’inscription. Le moment est peut-être venu de la transcrire en droit positif. Faut-il aller au-delà, en revenant au corps glissant et en donnant la citoyenneté aux immigrants français d’après l’Accord de Nouméa, au risque de transformer l’Accord de Nouméa, accord de décolonisation, en consentement à la politique de peuplement ?

La gouvernance partagée, dans le cadre provincial et gouvernemental, reste un point positif malgré les contingences politiques ; le vivre ensemble et le rééquilibrage doivent être encore approfondis. Mais le non transfert de l’ADRAF, pourtant souligné, jette une ombre sur les non-dits de la question foncière.

Le 26 juin, date de la signature des Accords de Matignon, pourrait mieux manifester le vivre ensemble que le 24 septembre, célébration de la prise de possession devenue fête de la citoyenneté.

Sur le plan juridique, la situation se présente ainsi. Le point 5 de l’Accord, précise qu’après la première consultation, « Si la réponse des électeurs à ces propositions est négative, le tiers des membres du Congrès pourra provoquer l’organisation d’une nouvelle consultation qui interviendra dans la deuxième année suivant la première consultation. Si la réponse est à nouveau négative, une nouvelle consultation pourra être organisée selon la même procédure et dans les mêmes délais. Si la réponse est encore négative, les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée ». Une lecture un peu rapide de l’Accord peut permettre de conclure à ce que, si la 1ère consultation a lieu en 2018, la seconde aurait lieu en 2020 et la 3èmeen 2022. On notera déjà qu’il s’agit d’une période assez longue. Mais ce n’est pas la traduction qu’en a retenue la loi organique et qui a été expressément validée par le Conseil constitutionnel. Voici ce qui y est écrit à l’art. LO. 217. La formule date de 1999 et a été reprise en 2015, faisant consensus : « Si la majorité des suffrages exprimés conclut au rejet de l’accession à la pleine souveraineté, une deuxième consultation sur la même question peut être organisée à la demande écrite du tiers des membres du congrès, adressée au haut-commissaire et déposée à partir du 6èmemois suivant le scrutin. La nouvelle consultation a lieu dans les 18 mois suivant la saisine du haut-commissaire à une date fixée dans les conditions prévues au II de l’article 216.
 Aucune demande de 2èmeconsultation ne peut être déposée dans les 6 mois précédant le renouvellement général du congrès. Elle ne peut en outre intervenir au cours de la même période. Si, lors de la 2èmeconsultation, la majorité des suffrages exprimés conclut à nouveau au rejet de l’accession à la pleine souveraineté, une troisième consultation peut être organisée dans les conditions prévues aux 2èmeet 3èmealinéas du présent article. Pour l’application de ces mêmes 2èmeet 3èmealinéas, le mot : « deuxième » est remplacé par le mot : « troisième » ». L’écriture de la loi organique n’est pas neutre. On demande « à partir du 6èmemois » et on organise dans les 18 mois. 18 et 6, cela fait 2 ans. Mais « à partir du » 6èmemois, c’est à partir du 7ème, du 8ème, etc. Il n’y a plus ni urgence, ni automaticité. La loi a déverrouillé le temps. On notera que le Conseil constitutionnel a mentionné que ces dispositions « étaient conformes aux stipulations de l’Accord de Nouméa ». On sait qu’aucune question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ne peut plus être soulevée, sauf bouleversement des circonstances. La référence aux années 2018, 2020 et 2022, si elle garde une force politique, pourrait bien avoir perdu de sa consistance juridique.

On rajoutera qu’en attendant une éventuelle solution d’émancipation conforme aux résolutions de l’ONU, la période « transitoire » reste couverte par le principe d’irréversibilité du point 5 de l’Accord de Nouméa qui précise : « Si la réponse est négative, les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée. Tant que les consultations n’auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l’organisation politique mise en place par l’Accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d’évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette « irréversibilité » étant constitutionnellement garantie ». Le nombre des redondances, comme les guillemets sur le mot figurant dans l’Accord lui-même, suffisent à montrer l’attention politique portée à ce principe lors de la rédaction de l’Accord.

Ces efforts sont méritoires. Mais, un peu comme la vie qui trouve toujours un chemin, les conséquences politiques déstabilisatrices des scrutins restent difficiles à cerner. Si d’un côté, le Non, joint à une non-participation, affaiblit exagérément le Oui, et si, d’un autre côté, le Oui n’apporte aucun des changements parfois un peu imprudemment promis dans l’enthousiasme des réunions partisanes, il ne serait pas impossible que les électeurs et les partis procèdent, élections après congrès, à de profonds changements d’interlocuteurs. Ces textes, dont bien peu revendiquent aujourd’hui la paternité, auront alors le mérite d’apparaître comme des passeurs de mémoire.

Mathias Chauchat, professeur de droit public à l’université de la Nouvelle-Calédonie