Les rapports de l’Autorité de la Concurrence sur la vie chère


03-10-2012
Par Admin Admin

Les rapports de l’Autorité de la Concurrence s’inscrivent dans le prolongement d’une réflexion collective relative à la vie chère qui a donné  lieu à la création d’une commission « spéciale vie chère » auprès du Congrès de Nouvelle-Calédonie et qui s’est vue confier comme thèmes de réflexion la modernisation de l’économie, l’amélioration du pouvoir d’achat et la maitrise et la transparence des prix. Les accords économiques et sociaux ont été signés le 12 juin 2012, sous la présidence de Roch Wamytan, président du Congrès, président de la commission (voir sur ce site, « les accords vie chère »). La Nouvelle-Calédonie a sollicité l’Autorité de la concurrence afin qu’elle établisse un diagnostic de la situation concurrentielle locale et mette à sa disposition son expertise en tant que régulateur. Le président de l’Autorité de la concurrence, Bruno Lasserre, le président du Gouvernement de Nouvelle-Calédonie, Harold Martin, et le Haut-commissaire de la République française ont conclu une convention cadre  d’assistance technique dans l’objectif de renforcer l’expertise de la collectivité d’outre-mer et ses outils en matière de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles. Ces deux rapports en sont le fruit.

Ces rapports, de tonalité très libérale, sont assez largement à rebours des politiques menées depuis les années 60 en Nouvelle-Calédonie de développement de l’industrie et de l’agriculture locales, par la protection et l’aide financière. Il y a un peu du modèle Hugo Chavez dans la Calédonie. Arrivé au pouvoir au Vénézuela en 1999, avec un baril à 11 $, le président a pompé, pompé, alors que le prix du baril a été multiplié par 10 aujourd’hui. L’argent du brut a financé les programmes sociaux de la « révolution bolivarienne » et subventionné une industrie improductive. Le modèle économique calédonien, basé sur la double rente du nickel et des transferts de l’Etat français, a des petits airs vénézuéliens et de malédiction minière. Le syndrome hollandais, c’est-à-dire le développement du secteur dynamique (nickel et fonction publique) qui entraîne l’abandon ou le déclin de la productivité dans les autres secteurs pour donner leur chance aux générations futures, est déjà bien présent. Le clientélisme est roi, financé par la rente. Du coup, les réformes en deviennent plus difficiles, car on n’entend pas les discours responsables de diversification, de productivité et d’ouverture commerciale… Nous verrons ce qu’il adviendra de ces rapports, remis au gouvernement en septembre 2012.

Le premier est établi par Geneviève Wibaux, rapporteur auprès de l’Autorité de la concurrence, relatif aux structures de contrôle en matière de concurrence en Nouvelle-Calédonie.

Il peut être obtenu ici : Rapport_relatif_aux_structures_de_controle_en_matiere_de_concurrence.pdf

Le second est établi par Thibault DECRUYENAERE et Philippe SAUZE, rapporteurs auprès de l’Autorité de la concurrence, relatif aux mécanismes d’importation et de distribution des produits de grande consommation en Nouvelle-Calédonie.

Il peut être obtenu ici :

Rapport_relatif_aux_mecanismes_dimportation_et_de_distribution_des_produits_de_grande_consommation.pdf

 

I. Le rapport Wibaux, relatif aux structures de contrôle en matière de concurrence en Nouvelle-Calédonie

Le rapport ne se hasarde pas à calculer le différentiel des prix. Il fournit divers éléments déjà connus. Selon l’Autorité de la concurrence, la réglementation des prix des produits alimentaires et des denrées essentielles n’est pas une bonne solution, compte tenu des ressources nécessaires pour la contrôler, mais aussi et surtout en raison de la difficulté de déterminer de façon appropriée le prix de vente des produits qui seront réglementés par les pouvoirs publics. Ce thème est récurrent et se retrouve dans les deux rapports. La critique est encore plus forte sur le contrôle des marges.

S’agissant plus spécifiquement des prix des carburants à la pompe, l’Autorité rappelle qu’ils sont moins élevés qu’en Métropole. Mais la raison de cette différence favorable au consommateur, réside dans le fait que les taxes prélevées sur la vente de ces produits sont moins élevées. Ainsi en Nouvelle-Calédonie, en 2009, ces taxes représentaient seulement 33,4 % du prix TTC du super et 17,3 % du prix TTC du gazole. Or en 2010, en Métropole, ces taxes représentaient  61 % du prix TTC du super 95 et 54 % pour le gazole, soit plus du double qu’en Nouvelle Calédonie.  Une des pistes de réflexion serait donc de proposer, pour déterminer ce prix CAF en Nouvelle Calédonie, la même méthode que celle utilisée dans les DOM, c’est-à-dire de ne plus se fonder sur les factures transmises par les importateurs puis de calculer une moyenne pondérée du prix « rendu à Nouméa », ce qui est la méthode actuelle, mais d’utiliser l’index de cotation de référence (en l’occurrence MOPS de Singapour) qui serait augmenté des coûts d’assurance et de fret. Cette méthode permettrait d’éviter que ne soit incluse dans ce premier élément de calcul du prix la « marge amont » de la compagnie pétrolière et résultant de la différence entre le prix d’achat réellement payé et ce prix d’achat facturé à la filiale locale et qui n’a pas à figurer dans ce prix CAF, pour la détermination d’un prix réglementé.

Le droit applicable à la concurrence et le contrôle des concentrations

La délibération n°14 du 6 octobre 2004 définit les pratiques anticoncurrentielles ainsi que  les pratiques commerciales et restrictives de concurrence. S’agissant des pratiques anticoncurrentielles, le texte énonce l’interdiction des  ententes  anticoncurrentielles, des abus de position dominante, ainsi que des prix abusivement bas. Il faut noter que parmi l’énoncé des abus de dépendance économique, figurent notamment le refus de vente, les ventes liées, les remises différées, les pratiques restrictives telles que l’obtention de conditions avantageuses sans contrepartie, des délais de paiement injustifiés, la rupture brutale de relation commerciale. Deux types de sanctions sont prévues : une sanction civile consistant en la nullité de l’accord se rapportant à la pratique, une sanction pénale qui est une amende qui peut aller jusqu’à 8 500 000 FCFP (67 000€), pour la personne physique qui a pris une part personnelle et déterminante, dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre de la pratique. Le texte prévoit que les personnes morales puissent être déclarées responsables pénalement. Le taux maximum de l’amende applicable aux personnes morales est alors égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques. Elles peuvent être solidairement condamnées à payer les amendes prononcées contre leurs dirigeants.

Or, en Nouvelle Calédonie, la délibération n°14 du 6 octobre 2004 ne prévoit rien s’agissant du contrôle des concentrations. Il n’existe donc pas de disposition relative à ce contrôle, même si la délibération n°2009-669 donne compétence au gouvernement de Nouvelle Calédonie pour le faire. Ainsi, il est proposé que soient soumis au contrôle les  opérations de concentration lorsque les seuils pour les opérations de concentration dans le secteur de la distribution en Nouvelle Calédonie, franchissent les limites suivantes :

– le chiffre d’affaires total mondial hors taxes de l’ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 10 milliards de FCFP (75 millions €) ;

– le chiffre d’affaires total hors taxes réalisé individuellement dans au moins un des départements ou collectivités territoriales concernés par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 420 millions de FCFP (7,5 millions €).

Un chiffre d’affaires donc, plutôt qu’un % de part de marché pour la « loi anti-trust ». Il faudrait une obligation de notification, une instruction par la DAE et une décision du gouvernement ; il n’y a pas nécessairement besoin d’autorité calédonienne de la concurrence (il faudrait modifier la loi organique pour désaisir le gouvernement de sa compétence en application de l’avis du Conseil d’Etat du 22 décembre 2009 ; voir Mathias Chauchat, les institutions en Nouvelle-Calédonie, p. 108), même si le rapport pense que cette solution est celle qui donnerait le plus de garanties. L’Autorité propose aussi de prévoir un pouvoir d’injonction structurelle pour remettre en cause les concentrations existantes ; la Nouvelle-Calédonie peut ainsi en fixer les critères.

 

II. Le rapport DECRUYENAERE et SAUZE, relatif aux mécanismes d’importation et de distribution des produits de grande consommation en Nouvelle-Calédonie

 

Le marché des grandes surfaces alimentaires représente environ 60 Md FCPF, soit environ 50 millions d’euros ; le paysage est très concentré comme le montre ce graphique. 

Concentration

Le rapport ne semble pas retrouver l’antienne des débats économiques locaux sur les marges abusives. Il cite une étude de la Direction des affaires économiques (DAE) réalisée en juillet 2011 : les grandes surfaces alimentaires calédoniennes réalisent une marge brute  moyenne de 22 %, cohérente avec les chiffres recueillis lors de la mission auprès des  différents groupes de distribution. A titre de comparaison, pour la France métropolitaine, l’étude Xerfi sur les grandes surfaces alimentaires présente un taux de marge brute compris entre 19 et 20 % pour les supermarchés et entre 20 et 21 % pour les hypermarchés.

La cause majeure identifiée de la vie chère résiderait dans les protections de marché. La Nouvelle-Calédonie s’est dotée d’un arsenal de protections de marché, à la fois tarifaires au travers de taxes aux importations, et quantitatives, par la voie de contingentements ou de stops à l’importation. Le champ des protections de marché est très large et couvre une gamme très variée de produits. L’objectif affiché de telles mesures est de garantir la survie des filières agricoles et industrielles locales. Elles traduisent ainsi le résultat d’un arbitrage entre emplois, censés être préservés grâce à des obstacles aux importations, et concurrence, naturellement entravée du fait de ces mêmes barrières. Du point de vue strictement concurrentiel, de telles protections sont naturellement néfastes. Les taxes à l’entrée et les contingentements diminuent la compétitivité des importations et réduisent la pression concurrentielle qu’elles peuvent exercer sur des opérateurs locaux par ailleurs peu nombreux. Ils favorisent ainsi la fixation de prix élevés par les industriels calédoniens dans un contexte où les marchés sont très concentrés et où les coûts de production sont structurellement élevés du fait de l’étroitesse de la demande intérieure.

Pour tendre vers un modèle plus concurrentiel et susceptible d’exercer une pression à la baisse sur les prix, une réforme en profondeur du système de protections de marché calédonien serait donc nécessaire. Néanmoins, une remise en cause brutale de ce système est difficilement envisageable à court terme. Les taxes à l’importation constituent une ressource budgétaire importante, d’environ deux MdF CFP par an, sur un total de recettes fiscales de 47 Md FCFP, mais d’autres recettes pourraient venir compenser leur suppression. En revanche, le risque de faillite des entreprises locales en cas d’ouverture trop brutale de l’économie aux importations est réel.  Par ailleurs, indépendamment du risque que les importations peuvent faire peser sur l’emploi, l’étroitesse du marché calédonien, les obstacles aux importations imposés par le gouvernement et la concentration des marchés qui en découle sont de nature à faciliter la mise en place et le maintien de comportements collusifs entre les opérateurs locaux. De fait, au cours des auditions menées sur le territoire, de nombreux acteurs ont fait état d’indices crédibles de pratiques anticoncurrentielles. Le contrôle des pratiques anticoncurrentielles constitue donc un enjeu majeur pour la Nouvelle-Calédonie.

Les recommandations de l’Autorité s’articulent autour de deux axes.

Les protections de marché

Premièrement, le dispositif des protections de marché doit être rendu plus efficace, en substituant aux quotas des tarifs douaniers, en uniformisant le régime applicable aux importations des pays voisins (Australie, Nouvelle Zélande) et à celles de l’Union européenne (ce qui aurait le mérite d’éloigner la perspective de procédures de contestation devant l’OMC par les Etats tiers à l’Union européenne), et en conditionnant l’octroi de mesures protectionnistes à des engagements de modération tarifaire, d’emploi ou d’investissement. Le cas des filières des fruits et légumes et de la viande nécessite, dans ce cadre, un traitement spécifique.

La concurrence

Deuxièmement, les conditions d’une concurrence plus forte doivent être créées sur le secteur de la distribution de détail. La régulation des prix de détail a montré ses limites, tandis qu’une structure de marché plus concurrentielle peut être encouragée grâce à la  suppression des barrières administratives à l’entrée et une plus grande fluidité des  marchés de la distribution de gros et de détail, notamment par la mise en œuvre de  dispositifs permettant de contrôler les rachats et les ouvertures de magasins et d’ordonner  des cessions de magasins. Enfin, face à des secteurs concentrés et relativement protégés de la concurrence étrangère grâce aux protections de marché, les distributeurs représentent un contre-pouvoir de marché qui aide à diminuer les prix d’achat et les prix de revente : les distributeurs doivent donc pouvoir négocier librement avec les producteurs et répercuter les avantages obtenus auprès des consommateurs.  On notera que ce dernier point risque d’être très peu apprécié par les producteurs locaux, car il les rend vulnérables à la grande distribution.

L’une des mesures phare est d’être plus sélectif  dans l’octroi des mesures protectionnistes. Ce point est déjà inclus dans les accords économiques et sociaux (voir ce site, les accords vie chère). L’idée est de réserver les protections de marché aux industries porteuses en termes d’emploi ou d’activité et conditionner le bénéfice des protections de marché à des contreparties en termes de qualité et de prix.  La mise en place de ces protections de marché pourrait ainsi être l’occasion d’une négociation entre le Comité du commerce extérieur (Comex) et les entreprises concernées, afin de s’assurer que les entreprises protégées ne puissent en profiter pour accroître indûment leurs marges ou réduire leurs investissements. Ces négociations aboutiraient à la rédaction d’un cahier des charges s’imposant à l’entreprise protégée. En cas de non respect de celui-ci, et afin de lui donner une réelle valeur contraignante, un retrait de la protection de marché doit être prévu.

S’agissant plus spécifiquement des fruits et légumes, un assouplissement du contrôle des importations paraît nécessaire afin que s’exerce sur les productions locales une pression concurrentielle qui, tempérée par des quotas globaux, décidés annuellement, ou, de façon plus satisfaisante, par des tarifs douaniers, incitera les producteurs locaux à améliorer la qualité de leurs produits et à en réduire les coûts.

Pour le reste, l’Autorité insiste à nouveau sur la nécessité de mettre fin à la réglementation des prix et des marges. On notera que cette recommandation à l’expérience paraît quand même risquée en milieu insulaire fermé.

Mathias Chauchat, professeur à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, agrégé de droit public