Pour en finir avec les conflits d’intérêts de Martin HIRSCH


26-10-2010

Le livre de Martin HIRSCH, collection Parti pris, Stock, qui vient de paraître en octobre 2010 (12 €), a suscité la polémique. Lui, l’ancien secrétaire d’Etat, pardon Haut-commissaire aux solidarités actives, crachait dans la soupe en dénonçant ses collègues. La question était ultra sensible en pleine affaire WORTH ! C’est vraiment un faux procès qu’on lui fait et ce livre de 150 pages est passionnant par les révélations qu’il livre comme par les enseignements qu’il en tire. La France a un sérieux problème avec les conflits d’intérêts. On y considère que la loi n’est pas nécessaire (une fois n’est pas coutume) et que l’honnêteté des responsables suffit. Les Anglo-saxons ont parfois mieux résolu la question que nous. On se reportera par exemple à la Crime and Misconduct Commission de l’Etat du Queensland australien en suivant le lien :

Les conflits d’intérêt sont mortels

A ce stade, il n’est pas inutile de se demander ce qu’est un conflit d’intérêts. Selon le Conseil de l’Europe, « un conflit d’intérêts naît d’une situation dans laquelle un agent public a un intérêt personnel de nature à influer ou paraître influer sur l’exercice impartial et objectif de ses fonctions officielles » (p. 33). Pour simplifier, c’est toujours une contradiction entre l’intérêt personnel et l’intérêt collectif. On peut les classer par ordre de gravité décroissant : les situations qui ont un impact direct sur le patrimoine (le maire qui rend constructible ses propres terrains) ; les situations où l’on s’enrichit par les conséquences de ses décisions (le ministre qui a un fort patrimoine et qui décide de faire porter l’impôt nouveau sur les revenus…) ; les situations où l’avantage concerne une organisation qu’on représente ou à laquelle on appartient (le chercheur qui siège dans une commission d’agrément des médicaments et dont le laboratoire bénéficie de contrats d’entreprises pharmaceutiques ou encore… le cumul des mandats politiques !) ; les conflits non monétaires (vieille amitié, solidarité de clubs…) (p. 46 et suivantes).

Ces conflits d’intérêts sont « mortels » à tous les sens du terme et doivent être éliminés : l’auteur signale et décrit 3 affaires emblématiques françaises (p. 51) : le sang contaminé, les hormones de croissance et l’amiante. Mais il y a aussi l’international avec le fiasco de la grippe H1N1 et l’OMS, comme les grandes entreprises. La France est un terreau propice à ces conflits d’intérêts, à cause de l’endogamie au sein des conseils d’administration.

Les révélations à scandale

La presse en a beaucoup parlé. Martin HIRSCH cite d’abord Serge DASSAULT : Est prohibé le cumul d’un mandat de parlementaire avec une entreprise bénéficiant d’avantages accordés par l’Etat ; mais Serge DASSAULT dirige la holding dont seules les filiales travaillent pour l’Etat. Il cumule avec la bénédiction du Conseil constitutionnel (p. 89) ! Quelques pages mortelles sont consacrées à Jean-François COPE, le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale. Un parlementaire peut être avocat. Jean-François COPE le revendique « pour garder un pied dans la vraie vie »… Pour deux à trois après-midi par semaine à 20 000 € mensuels, soit un temps plein de… 100 000 € par mois. Sans dire qui sont ses clients et ce qu’il y fait (p. 90). Il faut lire un peu plus loin entre les lignes pour comprendre la valeur d’un amendement parlementaire. Le troisième épinglé est Gérard LONGUET, président du groupe UMP du Sénat. La commission pour la transparence financière de la vie politique s’étonnait de l’achat par l’intéressé en cours de mandat d’une résidence dans le sud de la France dont le prix n’était pas en rapport avec ses capacités financières ; interrogé, Gérard LONGUET a dit que la maison avait été payée avec des timbres ! Explication : Ministre des Postes, il recevait en cadeau les épreuves rares et les hommages philatéliques. Il les avait vendus…

L’auteur a encore un hommage particulier pour Jacques CHIRAC qui décidément aime à entretenir la chronique judiciaire et juridique : il est membre du Conseil constitutionnel. Dans quel autre pays que la France, un membre de la Cour suprême pourrait-il être logé par un homme politique étranger, sans que personne ne s’en émeuve ? (p. 112). La République française, malgré les slogans de campagne, n’est décidément pas irréprochable !

Les enseignements

Martin HIRSCH suggère 9 recommandations toutes simples (p. 122) :

1 – Déclaration d’intérêt obligatoires, la première des préventions ;

2 – Enseigner les conflits d’intérêts (ce qui n’est pas fait, même à l’ENA…) ;

3 – Nommer un commissaire aux conflits ;

4 – Interdire les cumuls de fonctions ;

5 – Plus de cadeaux pour les responsables publics ;

6 – informer les services des conflits d’intérêt ;

7 – Elaborer un code éthique ;

8 – Edicter un régime d’incompatibilités dans le secteur privé ;

9 – Eviter de ne rien faire.

L’auteur conclut par une pirouette en s’appliquant à lui-même ces recommandations (p. 138). Culotté !

Post scriptum : l’Etat a créé une commission de réflexion dont l’un de ses membres, Jean Claude MAGENDIE, qui est au conseil de surveillance du groupe Lagardère, fait les délices du Canard Enchaîné (n° 4695 du 20 octobre 2010). Le décret créant la commission peut être obtenu ici :