Pour supprimer les partis politiques !? de Daniel Cohn-Bendit


16-02-2013

Daniel Cohn-Bendit joue sa « dernière ». Il annonce son retrait de la vie politique avec un petit livre de 50 pages, « Pour supprimer les partis politiques !? », sous titré « Réflexions d’un apatride sans parti », Editions Indigènes 2013, et disponible en iBook à 1,49€. On annonce souvent sa « Dernière » et on repart pour une autre Première, revigoré par le public. Il semble que ce livre soit plus profond.

Le titre est provocateur, à un moment où on ne songe qu’à constitutionnaliser les garanties données aux partis politiques. Mais Daniel Cohn-Bendit essaie de présenter sa vie dans une trajectoire cohérente, qui l’amène à cet épilogue séditieux.

Cours, cours, Camarade, le vieux monde est derrière toi !

Le leader étudiant de 1968, né en France en 1945 de parents réfugiés allemands, est d’abord anarchosyndicaliste. Il se définit par la dissidence à l’égard de l’Etat. L’émancipation passe par l’autogestion, par la capacité des individus à se réapproprier collectivement leur activité. Il récuse le déterminisme historique contenu dans le marxisme et il se proclame « simultanément contre la dictature du prolétariat et contre la dictature du capitalisme » (p. 12). Son expulsion de France en 1968 pour 10 ans le replonge dans le mouvement antiautoritaire allemand. C’est l’époque où se développent parallèlement, en France et en Allemagne, les mouvements écologistes. Il est profondément marqué par André Gorz qui sera le premier à théoriser l’écologie politique. Pour Gorz, le combat antinucléaire n’est pas seulement la lutte contre ses risques ; il est la lutte contre « l’expertocratie ». La lutte va beaucoup plus loin que le seul environnement. Cornélius Castoriadis, dit « Castor », philosophe, économiste et psychanalyste, est l’autre grand penseur qui l’a incontestablement marqué. L’autonomie n’est pas octroyée. C’est une conquête perpétuelle. Le sujet doit s’approprier ses désirs. C’est ce principe qui a déclenché l’explosion du mouvement des femmes et du mouvement gay, alors même que ces revendications ne perçaient pas dans les partis politiques traditionnels.

L’homme politique

Il adhère en 1984 aux Verts allemands, qui rentrent au Bundestag. En 1989, il est adjoint au maire de Francfort au sein d’une coalition rouge-verte. Il y créera le premier parlement des étrangers. Il est souvent en conflit avec les Grünen. Leur pacifisme total, hérité du passé allemand, se heurte à la guerre de Bosnie en 1994. Cohn-Bendit plaide pour le droit d’ingérence. Il est ultra minoritaire. Déjà, il soupçonne les partis de ne jamais supporter la dissidence. En 2008, il lance Europe Ecologie. Dominique Voynet n’avait fait que 1,57 % des voix à la présidentielle de 2007. Les Verts ne répondaient pas aux attentes de la société. Il y a pour lui 4 lignes de fracture que le clivage gauche droite ne résout plus : la solidarité ou l’individualisme où on se retrouve assez classiquement, les libertés où le clivage est devenu incertain, l’Europe qui déchire les deux camps, et l’écologie qui s’oppose aux deux matrices idéologiques de droite et de gauche. Aux élections européennes de 2009, la liste fait 16,3%. Mais l’essai ne sera pas transformé. Le parti, machine à carrière, l’emportera. Celui qui l’emporte est toujours celui qui reste tard aux réunions et décourage tous ceux qui ont une vie. A l’heure des réseaux Internet, ce mode d’organisation est décourageant et désuet.

Appel pour une Coopérative politique

Il appelle à la création d’une coopérative politique, un peu sur le modèle des Indignés (« We are the 99% »). Il faut favoriser la double appartenance associative, syndicale et même politique, plutôt que l’exclure. A l’heure d’Internet, les mobilisations actives à forte charge émotionnelle peuvent mieux transformer l’espace public que les interventions classiques dans un hémicycle. C’est la voie du « réformisme subversif » (p. 36). Il rêve encore à l’Europe fédérale, seule issue pour le continent. Comme un matou madré, il envoie encore quelques coups de patte ; à Duflot, « la course aux strapontins ministériels devient la seule raison d’être d’une direction avide » (p. 25) ; à Hollande et Ayrault, « ils fonctionnent avec le disque dur d’un autre siècle (…). La modernité de la transformation écologique leur est complètement étrangère (…), l’un dirige la France comme il gouvernait le PS et l’autre confond la culture de Premier ministre avec celle de maire de Nantes… » (p. 36, 37). Alors pourquoi quitter ? Il sort d’un cancer à la thyroïde et se sent soixante-huitard encore fidèle à ses idées et à qui il revient de redéfinir lui-même son espace de vie privée, culturel, social et politique. Dany va faire autre chose !

Mathias Chauchat, professeur à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, agrégé de droit public.