Retraites Outre-mer. Point de vue actuel


07-11-2008
Par Admin Admin

La reforme JEGO mérite débat. Le Ministre a fait l'effort de la réforme.  Le décret a été publié le 31 janvier 2009, sur le fondement de l'article  137 de la loi de finances rectificative pour 2008. Mais l'Etat a une nouvelle fois cédé aux corporatismes à l'heure où les déficits publics français explosent. La réforme est un nouveau chèque en bois sur les générations futures.
Le texte du décret est disponible ici : joe_20090131_0067
Le texte de la loi de finances rectificative (article 137) est téléchargeable ici :  loi_finances_2008_art_137

Le système peut être résumé comme suit :

A compter du 1er janvier 2009, l'attribution de pensions indexées est réservée à ceux qui justifieront de 15 ans de services effectifs outre-mer. C'est pour l'essentiel la fin du flux et de l'effet d'aubaine. Pour les bénéficiaires actuels, à partir du 1er janvier 2009 une dégressivité sera mise en place pour arriver à 18 000 euros (2,16MF) de plafond en 2018. Une majoration que les pensionnés pourront garder à vie. Les fonctionnaires qui prendront leur retraite en 2009 et 2010 bénéficieront d’une ITR plafonnée à 14 000 euros (1,68MF), ceux qui prendront leur retraite en 2011 et 2012 d’une ITR plafonnée à 12 000 euros (1,44MF) et ceux qui prendront leur retraite en 2013 et 2014 d’une ITR plafonnée à 10 000 euros (1,2 MF). L’ITR devrait ensuite être plafonnée à  8 000 euros en 2015, 2016, 2017 et 2018 (960 000 F) puis reprendre une dégressivité jusqu’en 2028, date de l’arrêt de nouveaux entrants dans le dispositif.

 

La méthode: les réformes progressives sont souvent vouées à l'échec. Il est difficile pour un gouvernement de conserver l'autorité politique sur le long terme. Par ailleurs, l'inconvénient des réformes progressives est qu'elles provoquent politiquement les désordres sans pour autant apporter rapidement les avantages de la réforme. Yves JEGO va ainsi rendre plus difficile l'exercice de son mandat sans bénéficier lui-même, ni le président de la République, du fruit -réel- des réformes engagées. Les pays qui ont réussi des réformes les ont faites brutalement en début de mandat pour raccourcir la période de transition et permettre à la population d'en constater plus rapidement la pertinence. La France, qui n'a aucune tradition de réforme, croit pouvoir innover…

Cette réforme, attendue depuis longtemps, cherche à diviser en conservant des droits acquis, même sommairement limités, à ceux qui les ont, en sacrifiant une fois de plus les générations futures (ce qui apparaît être la seule vraie spécialité française). Plus on prend sa retraite rapidement, plus on conserve l'avantage acquis, ce qui est contraire aux intentions de réforme du gouvernement par ailleurs… C'est aussi un chêque en bois sur les générations futures, car personne ne sait comment le système de retraite pourra être financé. Les Anglo-saxons avec leur système de superannuation (capitalisation) partagent le fardeau de la crise et ils viennent de le constater avec la crise financière…

Ce projet est surtout inconstitutionnel, car il est contraire au principe d'égalité en conservant à vie des droits acquis injustifiés. Cet argument juridique avait déjà été développé dans le livre "Vers un développement citoyen" Mathias CHAUCHAT, PUG, 2006 (voir ce site et le raisonnement ci-dessous).
On a fait grand cas dans la presse de la décision rendue par le Conseil constitutionnel n° 2008-571 DC du 11 décembre 2008 Loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 qui a déclaré contraire à la Constitution l'article 91 de la loi sur la Sécurité sociale dans laquelle le texte figurait initialement. Un recours avait été déposé par Gaston Flosse. Il faut savoir que le mémoire de Gaston Flosse, déposé sous sa seule signature, a été déclaré irrecevable et n'a donc pas été examiné au fond. L'article incriminé a été déclaré contraire à la Constitution, car inclus dans un texte sans rapport avec son sujet : "25. Considérant que l'article 94 de la loi déférée fixe à soixante-dix ans la limite d'âge des présidents de conseil d'administration des établissements publics de l'État et à soixante-cinq ans celle des directeurs généraux et directeurs de ces établissements ; que son article 96, lequel ne présente pas un caractère permanent, réforme les conditions d'attribution de l'indemnité temporaire d'outre-mer de façon progressive jusqu'à 2028 et la supprime au-delà ; que ces dispositions n'ont pas d'effet ou ont un effet trop indirect sur les dépenses des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement ; que, par suite, elles ne trouvent pas leur place dans une loi de financement de la sécurité sociale". C'est ce texte qui a été revoté dans la loi de finances rectificative (art 137), là où il devait être… Le Conseil ne s'est pas prononcé au fond et il convient de ne pas lui faire dire ce qu'il n'a pas dit, même implicitement. L'argument de l'inconstitutionnalité du fond reste entier et il est présenté à la suite.

 

L'inconstitutionnalité de la réforme différenciée des pensions outre-mer

La réforme a tenté de contourner l’inconstitutionnalité au regard du principe d’égalité d’une indexation différenciée selon la date de la retraite. En effet, le maintien de taux différents de majoration pour des pensionnés se heurte au principe d’égalité. Si l’on peut admettre que des agents arrivés avant la réforme ne sont pas dans une situation tout à fait identique à ceux arrivés après la réforme, il n’est pas concevable de penser que la liquidation d’une pension au même moment pour des agents résidant en Nouvelle-Calédonie à la même période, mais à des taux différents selon leur date de départ en retraite, ne heurterait pas de front le principe d’égalité. La censure du Conseil constitutionnel paraît inévitable.

Le texte de la loi procède par diminution successive de l’avantage en fonction de la date de retraite. Cela ne fait pas échapper cette réforme au reproche de taux différenciés servis au même moment à des pensionnés dans la même situation (sinon leur date de naissance).

Une dérogation au principe d’égalité pour un motif d’intérêt général est néanmoins possible. Ainsi dans la décision n° 2003-483 DC sur les retraites, le Conseil constitutionnel a t-il admis qu’on puisse tenir compte, pour les corriger, d’inégalités de fait entre hommes et femmes, sans porter atteinte au principe d’égalité hommes/femmes. L’intérêt général est ici de faire supporter un coût moindre à la collectivité, pas d’entretenir le train de vie des arrivants les plus précoces, ceux qui ont déjà bien profité ou tout simplement les plus âgés. L’invocation des intérêts moraux et matériels serait encore plus paradoxale, puisqu’elle consisterait à invoquer le « destin commun » au profit du maintien d’avantages liés originellement à l’expatriation. Enfin, cet intérêt général, s’il est de ne pas perturber exagérément l’économie calédonienne et le marché de l’immobilier, doit y être lié. La dérogation alors ne peut être que temporaire pour stabiliser une situation avant de revenir au principe d’égalité sans faire perdurer des inégalités.
Il paraît également inconstitutionnel de pérenniser indéfiniment l’avantage acquis qui devrait disparaître assez rapidement, dès le choc absorbé. L’absence de limite dans le temps est une discrimination injustifiée. Or ceux qui bénéficient de l'indexation aujourd'hui la conserveraient à vie, du moins jusqu'à l'écroulement financier inévitable du système et une nouvelle réforme laissée aux successeurs du Ministre…
Enfin, l’idée d’une durée de service outre-mer n’a aucun fondement juridique. Les retraités d'aujourd'hui n'ont jamais cotisé "indexé". Ils sont à la charge des générations futures qui ne bénéficieront pas du bonus. Ils n'ont au sens strict pas de droits "acquis" à protéger et ce motif rend la loi également inconstitutionnelle par rupture d'égalité entre générations selon leur affectation, largement aléatoire. Bref, notre droit constitutionnel imposerait de toucher les bénéficiaires actuels de manière uniforme en limitant aux quelques années de transition le maintien d’une indexation limitée, avant de la voir totalement disparaître.
Il faut espérer que la réforme constitutionnelle sur l'exception d'inconstitutionnalité permettra de revenir sur le texte voté.  Le Laboratoire y veillera.